Depuis 2005, la société civile palestinienne appelle à exercer toutes sortes de pressions – économiques, politiques, culturelles, universitaires, sportives – sur Israël pour l’amener à choisir la voie d’une solution négociée au conflit avec les Palestiniens.
En France, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, des poursuites ont été très vite engagées contre des participants à des manifestations de boycott.
Communiqué LDH
Paris, le 12 janvier 2010
Une militante de la LDH injustement poursuivie
Sakina Arnaud, militante de la Ligue des droits de l’Homme qui a appliqué dans un supermarché de Talence (Gironde) des autocollants appelant au boycott des produits israéliens ; a fait l’objet de poursuites pour incitation à la haine raciale et sera jugée à ce titre mercredi 13 janvier 2010.
La Ligue des droits de l’Homme considère que ces poursuites sont non seulement injustifiées mais extrêmement choquantes, l’acte de cette militante ne pouvant une seule seconde être considéré sérieusement comme une incitation à la haine antisémite. Plus généralement, la LDH refuse que toute critique de la politique des gouvernants israéliens et tout acte d’opposition aux graves violations des droits de l’Homme dont ces gouvernants se rendent coupables depuis des années soient taxés d’antisémitisme : cet amalgame est non seulement insultant pour les citoyens qui émettent ces critiques mais extrêmement dangereux y compris pour la lutte contre la haine antisémite que la LDH mène depuis son origine même.
Pour autant, la Ligue des droits de l’Homme tient à rappeler que, comme la Plateforme des ONG pour la Palestine dont elle est membre, elle n’appelle nullement au boycott de l’ensemble des produits israéliens mais seulement à celui des produits fabriqués par des entreprises israéliennes implantées dans les colonies, produits qui devraient, si les normes européennes étaient respectées, être clairement identifiables par chaque consommateur. Cette position découle logiquement de l’illégalité incontestable de la colonisation israélienne dans les territoires occupés, alors que l’existence de l’Etat d’Israël est évidemment hors de débat aux yeux de la Ligue des droits de l’Homme.
Alors que l’injustice faite au peuple palestinien perdure dans une inacceptable indifférence de la communauté internationale, il importe plus que jamais d’éviter les confusions qui, qu’elles soient intentionnelles ou involontaires, ne peuvent que desservir la cause de l’universalité des droits et du respect de l’ensemble des populations concernées.
Le 10 février 2010, invoquant l’article 24 alinéa 8 de la « loi de 1881 » sur la presse qui réprime « l’incitation à la haine raciale », le tribunal correctionnel de Bordeaux condamnait Sakina Arnaud à 1 000 euros d’amende.
Une circulaire
Deux jours après cette condamnation, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, adressait une lettre-circulaire aux procureurs généraux où elle leur demandait une répression «?ferme et cohérente?» des appels au boycott. Pour elle en effet, tout appel au boycott des produits d’un pays constitue une « provocation publique à la discrimination envers une nation », délit passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende :
Lettre-circulaire de Michèle Alliot-Marie 1
Le 12 février 2010,
OBJET: Procédures faisant suite à des appels au boycott des produits israéliens.
Depuis le mois de mars 2009, plusieurs procédures faisant suite à des appels au boycott de produits israéliens diligentées sur le fondement de la provocation publique à la discrimination prévue et réprimée par l’article 24 al 8 de la loi du 29 juillet 1881 ont été portées à la connaissance de la direction des affaires criminelles et des grâces.
Ces faits prennent le plus souvent la forme de rassemblements dans des centres commerciaux dans le cadre desquels les appels au boycott sont formulés. Certaines de ces manifestations font ensuite l’objet de diffusions via des sites internet.
Par jugement du 10 février 2010, le tribunal correctionnel de Bordeaux a prononcé une condamnation à l’encontre d’une personne poursuivie sous la qualification précitée pour des faits de cette nature.
Il apparaît impératif d’assurer de la part du ministère public une réponse cohérente et ferme à ces agissements. A cette fin et dans la perspective éventuelle d’un regroupement des procédures motivé par le souci d’une bonne administration de la justice, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir porter à la connaissance de la direction des affaires criminelles et des grâces tous les faits de cette nature dont les parquets de votre ressort ont été saisis. Si certaines procédures ont déjà fait l’objet de classements sans suite, vous prendrez soin d’exposer de manière détaillée les faits et de préciser les éléments d’analyse ayant conduit à ces décisions.
Je vous serais obligé de bien vouloir veiller à la diffusion de cette dépêche et de m’aviser, sous le timbre de la direction des affaires criminelles et des grâces, sous direction de la justice pénale générale, bureau de la politique d’action publique générale, de l’exécution des présentes instructions et des difficultés qui seraient susceptibles de résulter de l’application de ces dispositions.
Lors du procès en appel de Sakina Arnaud, le 22 septembre 2010, Jean-Pierre Dubois, président de la LDH, a adressé un témoignage écrit. Mais la Cour d’appel de Bordeaux a confirmé, le 22 octobre 2010, la condamnation prononcée en première instance. Par un communiqué du 4 août 2012, Sakina a annoncé que, «après le refus de la Cour de Cassation de revoir [s]on jugement», elle avait «décidé de porter [s]a condamnation en France devant la Cour européenne des droits de l’homme.»
Suite aux recommandations de la chancellerie, de nombreuses enquêtes ont été lancées, et plusieurs dizaines de personnes ont été poursuivies.
Quatre organisations de soutien à la politique du gouvernement israélien se sont constituées parties civiles – le Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme (BNVCA) de Sammy Ghozlan, les deux associations (France-Israël et « Avocats sans Frontières ») de l’avocat Gilles-William Goldnadel, ainsi que la Chambre de Commerce France-Israël.
Un bilan des différentes actions en justice est tenu à jour sur le site BDS.
En voici deux exemples :
- Pour une action réalisée en février 2010 dans un magasin Carrefour, le Tribunal d’Alençon a considéré, dans son jugement du 19 septembre 2013, qu’il lui était impossible de condamner les 7 militants pour incitation à la discrimination à raison de l’appartenance à une nation, mais il a condamné chacun d’entre eux à une amende de 500 euros avec sursis, pour délit d’entrave à l’exercice normal d’une activité économique. De plus, les 7 prévenus ont été condamnés à verser, solidairement, 500 euros à chacune des 4 parties civiles au titre de leurs frais de justice plus 1 euro en réparation du préjudice subi ! L’appel est en cours.
- En revanche, après 3 ans de procédure, trois militants BDS ont bénéficié d’une relaxe de la part du Tribunal de Perpignan. La veille du procès, la Ligue des droits de l’Homme avait publié le communiqué suivant :
Communiqué LDH
Paris, le 17 juin 2013
Halte aux amalgames, le mauvais procès de Perpignan
Trois militants s’inscrivant dans la campagne dite « Boycott-Désinvestissement-Sanctions » font l’objet de poursuites pour incitation à la haine raciale et seront jugés à ce titre devant le tribunal correctionnel de Perpignan, le jeudi 20 juin 2013. Il leur est reproché d’avoir appelé au boycott des produits exportés par Israël dans le cadre d’une dénonciation de la colonisation, le 15 mai 2010, dans un magasin Carrefour.
Comme pour d’autres affaires similaires, la Ligue des droits de l’Homme réaffirme que ces poursuites sont non seulement injustifiées mais extrêmement choquantes, l’acte de ces militants ne pouvant une seule seconde être considéré sérieusement comme une incitation à la haine antisémite. Plus généralement, la LDH refuse que toute critique de la politique des gouvernants israéliens et tout acte d’opposition aux graves violations des droits de l’Homme dont ces gouvernants se rendent coupables depuis des années soient taxés d’antisémitisme : cet amalgame est non seulement insultant pour les citoyens qui émettent ces critiques mais extrêmement dangereux, y compris pour la lutte contre la haine antisémite que la LDH mène depuis son origine même.
Appliquer le droit international c’est bien sûr respecter les droits du peuple palestinien, aujourd’hui victime d’un déni d’existence par les autorités israéliennes et la communauté internationale. C’est, d’ores et déjà, appliquer à la lettre la loi de l’Union européenne et permettre à chacun de distinguer entre les produits fabriqués en Israël et ceux fabriqués dans les colonies qui peuvent légitimement faire l’objet d’un boycott.
La LDH demande que cessent les poursuites engagées et demande la relaxe des personnes poursuivies. Par ailleurs, madame la Garde des Sceaux doit retirer la circulaire du 12 février 2010 enjoignant au Parquet d’engager systématiquement des poursuites.
La Cour de cassation
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, la plus haute juridiction pénale en France, a rejeté le 19 novembre 2013 les recours formés par les quatre organisations habituelles contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 juillet 2011 qui relaxait une militante poursuivie pour avoir diffusé une vidéo d’une action de boycott de produits israéliens dans un hypermarché, en 2009 – voir l’arrêt de la Cour de cassation.
Reste à obtenir l’abrogation de la lettre-circulaire de Michèle Alliot-Marie.
Le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI) a lancé le 18 octobre 2013 une pétition qui va dans ce sens :
http://www.france-palestine.org/Boycott-Desinvestissement,20332.