DE QUI PARLE-T-ON ?
Dans cette article, le terme «Roms » désigne les personnes venant essentiellement des pays d’Europe centrale et orientale (Roumanie, Bulgarie, pays d’ex-Yougoslavie), qui ont migré en France et qui se reconnaissent comme Roms ou qui sont désignés comme tels. L’arrivée des Roms en France s’est faite
en plusieurs vagues migratoires : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans les années 70 et à partir des années 90.
Ces arrivées correspondent ainsi pour l’essentiel à une migration économique, liée aux très grandes disparités de niveau de vie dans les pays d’Europe de l’Est qui sont accentuées dans le cas des populations roms par un phénomène de
ségrégation. Concernant les Roms d’ex-Yougoslavie, l’exil fait suite plus
particulièrement aux persécutions subies depuis la guerre.
«Les Roms » ne constituent donc pas un groupe homogène: ils n’ont pas la même nationalité, n’ont pas le même profil migratoire, ni le même statut administratif, peuvent avoir des confessions religieuses ainsi que des attaches socioculturelles différentes.
Selon les estimations, le nombre de Roms en France se situe entre 15 000 et 20 000, dont 85% environ sont des ressortissants européens, venant essentiellement de Roumanie et de Bulgarie. Depuis une dizaine d’années, ce nombre est stable.
Parmi tous les Roms présents en France, seuls les plus pauvres d’entre eux sont les plus visibles car vivant dans des squats et bidonvilles.
Depuis 2010, l’État multiplie les discours stigmatisant à l’égard de ces citoyens européens au point d’en faire les boucs émissaires d’une politique sécuritaire.1
SÉJOUR
PRÉJUGÉ : «Ils n’ont pas le droit de venir et de séjourner en France »
RÉALITÉ : En tant que citoyens européens, ils bénéficient du droit à la libre circulation.
L’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne énonce
que «Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement
sur le territoire des Etats membres».
Cette migration, comme toute autre, s’effectue pour des raisons économiques
auxquelles s’ajoute la volonté d’échapper aux traitements discriminatoires
que les Roms subissent dans leur pays d’origine.
Au même titre que tout autre citoyen européen, les ressortissants roumains
et bulgares ont le droit de venir et se maintenir librement en France pendant
trois mois. Au-delà de cette durée, le droit de séjour des citoyens de l’Union
est soumis à certaines conditions.2
Selon le dernier rapport de la CNCDH3
: en France, «ces migrants (ressortissants roumains et bulgares vivant en bidonville) sont soumis, en matière de droit au séjour, à un régime particulier, qui les contraint à vivre dans une instabilité et une précarité permanentes, qui ont des conséquences préjudiciables à l’exercice quotidien de leurs droits»
HABITAT
PRÉJUGÉ : «Ils aiment vivre en bidonville»
RÉALITÉ : ce n’est qu’une solution par défaut et non un mode de vie choisi.
A défaut de toute autre solution d’hébergement, ces familles sont contraintes
de vivre dans des bidonvilles ou des squats. Leur habitat n’est qu’une manifestation de la politique d’exclusion du marché du travail et une conséquence de la crise du logement en France.
PRÉJUGÉ : «Ils sont nomades »
RÉALITÉ : En France, ils sont contraints à la mobilité du fait des évacuations répétées de leurs lieux de vie.
Ces personnes sont sédentaires dans leur pays d’origine et viennent le plus
souvent de milieux ruraux, mais aussi de la ville.
Les caravanes que l’on peut voir sur certains bidonvilles sont un abri de
fortune pour ces familles et ne correspondent pas à leur habitat traditionnel. Le plus souvent, elles sont mises à disposition par des associations ou
des collectivités, en guise de solution.
PRÉJUGÉ : «Ils ne vivent qu’en communauté»
RÉALITÉ : ils se regroupent afin de pouvoir compter sur la solidarité entre les familles souvent venues du même village.
Ce n’est pas un idéal de vie mais le produit d’une migration familiale et
une conséquence de leurs conditions de vie précaires.
TRAVAIL
PRÉJUGÉ : «Ils ne veulent pas travailler»
RÉALITÉ : ils travaillent mais sont contraints de le faire dans le secteur informel car la législation actuelle restreint fortement voire empêche leur accès au travail salarié.
En principe, les citoyens européens ont le droit de travailler sur le territoire
d’un autre Etat membre de l’Union européenne. Cependant, les ressortissants roumains et bulgares sont soumis à des «mesures transitoires»4 qui limitent fortement leur accès au travail5. Contrairement aux autres citoyens européens en France, ils doivent au préalable obtenir une autorisation de travail et un titre de séjour afin d’accéder à un emploi. Ces formalités sont longues et difficiles à remplir, ce qui décourage les employeurs. Cependant, la plupart d’entre eux travaille pour subvenir aux besoins basiques de leur famille. Ces activités, souvent utiles socialement, pourraient être valorisées.
PRÉJUGÉ : «Ils préfèrent faire la manche»
RÉALITÉ : c’est une stratégie de survie pour assurer les besoins quotidiens de la famille. Mendier n’est pas un crime.
C’est sur cet aspect le plus visible que se cristallise une forte stigmatisation
de ces populations. Pourtant la mendicité n’est pas un choix délibéré mais
un moyen de survie que d’autres personnes, vivant dans des conditions
tout aussi précaires, pratiquent lorsqu’elles ne peuvent accéder à un emploi.
ÉDUCATION
PRÉJUGÉ : «ils ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’école»
RÉALITÉ : très souvent, les pouvoirs publics font obstacle aux démarches d’inscription scolaire, en toute illégalité car en France la scolarisation des enfants est obligatoire6 quelle que soit la situation administrative des parents.
La migration des familles bulgares et roumaines est souvent motivée par
la volonté d’assurer à leurs enfants un meilleur avenir.
Alors même que nombre d’entre elles souhaitent scolariser leurs enfants,
elles se heurtent à de multiples obstacles tels que des refus d’inscription de
la part des administrations ou des maires, des délais d’affectation extrêmement longs, une exigence abusive de documents administratifs, etc.
Même lorsqu’un enfant est enfin inscrit à l’école, le décrochage scolaire est
fréquent en raison des évacuations répétées des lieux de vie qui les obligent à entreprendre de nouvelles démarches d’inscription. Par ailleurs, bien
des familles sont dissuadées d’envoyer leurs enfants à l’école, de peur d’être
séparées d’eux en cas d’évacuation.
En outre, les conditions de pauvreté dans lesquelles vivent ces familles
ont un impact sur l’assiduité des enfants à l’école. En effet, la scolarisation
représente un coût important: habillement, fournitures scolaires, cantine,
transports, etc, alors même que les dispositifs d’aides existant ne leur sont
que très rarement accessibles.
SANTÉ & PRESTATIONS SOCIALES
PRÉJUGÉ : «ils apportent en France des maladies»
RÉALITÉ : ce sont les conditions d’extrême précarité dans les squats et les bidonvilles qui fragilisent leur état de santé.
Dans les lieux de vie précaires, les conditions d’hygiène et sanitaires
constituent un danger pour leurs habitants, en particulier pour les femmes
enceintes et les enfants. En effet, dans la plupart des squats et bidonvilles,
les familles n’ont accès ni à l’eau, ni à des sanitaires, ni à l’électricité, ni au
chauffage, ni au ramassage des ordures, en raison de refus opposés par
les collectivités.
Le seul dispositif d’accès aux soins auquel ils ont droit est l’aide médicale
d’Etat (AME), destiné aux étrangers résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. Néanmoins, peu d’habitants de bidonvilles et squats y ont effectivement accès en raison d’attitudes illégales des administrations qui retardent voire empêchent leurs démarches
PRÉJUGÉ : «ils profitent des aides publiques»
RÉALITÉ : ils n’ont pas accès à la plupart des prestations sociales.
Les Roumains et Bulgares séjournant en France depuis moins de trois mois
ne bénéficient d’aucune protection sociale.
Après trois mois, pour pouvoir bénéficier des droits sociaux, il est nécessaire
d’avoir une domiciliation reconnue par l’administration. Pour les habitants
de squats et bidonvilles, avoir une adresse de ce type s’avère presque impossible, en raison notamment de l’attitude discriminatoire des administrations.
Même les aides qui ne sont subordonnées à aucune condition de séjour
ne sont mobilisées que très marginalement par les habitants de lieux de vie
précaires en raison de leur méconnaissance du système et des discriminations au guichet qu’ils subissent.
- Voir le communiqué de Romeurope du 22 juillet 2010.
- La directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 pose les conditions suivantes:
– soit exercer une activité économique en qualité de travailleur salarié ou non salarié;
– soit disposer de ressources suffisantes et d’une assurance maladie;
– soit suivre une formation en tant qu’étudiant et disposer de ressources suffisantes et
d’une assurance maladie;
– soit être membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui entre dans une des catégories susdites.
Rapport CNCDH, Racisme, antisémitisme et xénophobie en France, 2013.- Les mesures transitoires prendront fin le 31 décembre 2013. A partir de cette date, les ressortissants roumains et bulgares auront la possibilité d’intégrer le marché du travail français comme tout autre citoyen européen.
- Suite à l’instruction du 30 janvier 2013 du Ministre du travail, les mesures transitoires ont été assouplies. Depuis, le nombre d’autorisations de travail délivrées aux ressortissants roumains et bulgares a triplé.
- L’article L.131-1 du Code de l’éducation énonce: «L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans».