La ministre noire italienne traitée d’orang-outan
L’on pensait avoir atteint le comble de l’intolérance, lorsqu’à la mi-juin, une élue locale, membre du parti xénophobe de la Ligue du Nord, regrettait que la première noire à être nommée ministre en Italie n’ait jamais été violée. L’on pensait en avoir assez entendu, et les vives critiques qui ont suivi cette sortie honteuse on fait espérer que Cécile Kyenge Kashetu puisse connaître quelque répit.
Mais, c’était sans compter avec l’obsession raciste et xénophobe de la Ligue du Nord. Le 13 juillet 2013, devant près de 1.500 personnes, lors d’une fête de ce parti à Treviglio, près de Bergame, l’ancien ministre et aujourd’hui vice-président du Sénat italien, Roberto Calderoni, a tout bonnement qualifié la toute nouvelle ministre de l’Intégration du gouvernement d’Enrica Latta d’orang-outan.
«Quand je vois des images de Kyenge, je ne peux m’empêcher de penser à un orang-outan», a déclaré le numéro deux du Sénat.
Cette déclaration, comme chaque fois que la ministre Kyenge reçoit des insultes de cet ordre, a provoqué une levée de boucliers et l’indignation générale. Le président du Conseil, Enrico Letta, sur son compte Twitter a estimé que cela était «inacceptable» et a renouvelé son soutien à sa ministre.
Même le président de la République, Giorgio Napolitano, est monté au créneau et s’est dit «choqué et indigné». L’ensemble du Parti démocrate a aussitôt exigé la démission du sénateur Roberto Calderoni. Ce dernier, sans retirer le fond de sa pensée, s’est excusé (sous la contrainte) auprès de la ministre, en parlant d’une «plaisanterie sympathique».
Quant à Cécile Kyenge, en toute dignité, elle a répondu qu’elle ne se sentait pas personnellement offensée, et qu’il s’agit plutôt là, des insultes faites à l’Italie.
«Je ne prends pas personnellement les paroles de Calderoni, mais elles m’attristent à cause de l’image qu’elles donnent de l’Italie. Je crois que toutes les forces politiques doivent réfléchir à l’usage qu’elles font de la communication», a fait savoir la ministre à l’agence de presse italienne Ansa.
Sauf que, si Cécile Kyenge prend chaque nouvelle insulte avec beaucoup de philosophie et de hauteur, il n’empêche qu’il est urgent que tout cela s’arrête. Mais comment? Faut-il répondre à l’idiotie par l’idiotie? Certainement pas. Continuer d’accepter des excuses qui n’en sont pas en réalité, est-ce la solution?
La question du racisme et de la xénophobie en Italie, est bien réelle, malgré les dénégations de Cécile Kyenge. Une nouvelle fois, elle a estimé dans une interview accordée ce lundi 15 juillet au Corriere della sera que l’Italie «n’est pas raciste».
Est-ce une position tenable que de refuser de voir la réalité en face, lorsqu’on est, comme c’est son cas, régulièrement l’objet de propos racistes et xénophobes et que l’on est chargé, au niveau gouvernemental, de faire avancer des dossiers liés à la difficile question de l’intégration des étrangers en Italie?
Depuis sa nomination dans le gouvernement d’Enrico Letta, fin avril, la ministre d’origine congolaise a entendu pis que pendre… Elle a subi des agressions verbales et même des menaces de mort, comme le rappelle le site de La Presse. Et cela risque de continuer encore un certain temps, si aucune mesure sérieuse n’est prise sur le plan institutionnel et juridique.
Car, il faut bien dire que jusqu’ici tous les auteurs de ces insultes n’ont ni été contraints à la démission ni été pénalement condamnés. Tous se sont contentés de présenter des excuses minables et l’on est ensuite passé à autre chose… ou plutôt à une nouvelle insulte.
Roberto Calderoni, qui a donc traité Cécile Kyenge d’orang-outang, refuse de démissionner du Sénat. Et comment! Faut-il s’en étonner? Il faut dire qu’il est un habitué des provocations. En 2006, alors qu’il était ministre dans le dernier gouvernement de Silvio Berlusconi, il s’était exhibé avec T-shirt anti-islam.
L’Italie, ce pays où il fait bon être raciste
La ministre noire Cécile Kyenge a de nouveau été victime d’un acte raciste : des jets de bananes en plein meeting. Trop c’est trop, s’insurge l’éditorialiste Gad Lerner, pour qui la banalisation de la xénophobie est une redoutable arme politique.
Maintenant ça suffit. Les offenses et les menaces à l’encontre de la ministre Cécile Kyenge ne sont plus supportables. Elles déshonorent notre pays et appellent une réponse collective ferme. Si nos dirigeants ne parviennent pas à expulser les racistes des institutions – comme le laisse penser l’inamovibilité du vice-président du Sénat, Roberto Calderoli [qui a comparé Cécile Kyenge à un orang-outan], protégé par son parti – chacun d’entre nous devra se mobiliser.
Lancer des bananes contre une citoyenne noire a un lien évident avec la violence verbale de celui qui l’a comparée à un orang-outan. [Une élue de la Ligue du Nord] est allée jusqu’à lui souhaiter de subir un viol. D’autres [des membres de l’organisation d’extrême droite Forza nuova] ont déposé des poupées grandeur nature, inondées de faux sang à l’endroit où elle devait tenir un meeting. Ils ont mis en doute son droit à la citoyenneté italienne du fait qu’elle est née au Congo. Ils insinuent que son diplôme d’ophtalmologie la rendrait inapte à sa fonction ministérielle, etc.
Face à ces infamies, j’admire, certes, la maîtrise de soi dont fait preuve Cécile Kyenge. On peut considérer élégant l’effort qu’elle produit à minimiser les humiliations qu’elle subit en permanence [elle a ironisé sur les bananes en disant que c’était un « gaspillage de nourriture »]. Mais contrairement à elle, nous ne pouvons pas nous permettre de minimiser.
Légitimation intolérable
Entendre qu’il ne s’agit que d’idiots, comme l’a dit l’ex-ministre du Peuple de la Liberté [droite], est une bien maigre consolation. S’il vous plait, ne fermons pas les yeux : la folle campagne raciste qui s’est déchaînée contre Cécile Kyenge est un condensé de la haine qui s’est diffusée en Italie grâce à sa légitimation intolérable et prolongée venue d’en haut. Les « idiots » ont joui d’une compréhension, sinon d’une justification et se sont donc multipliés. Ce racisme typiquement italien provient des guerres coloniales et de l’antisémitisme du 20ème siècle. Mais ces vingt dernières années, il s’est régénéré et a prospéré grâce à une tolérance ostensible et scandaleuse de la part des institutions.
Le 24 juillet dernier, en France, le député Gilles Bourdouleix a démissionné de son parti [l’UDI] parce qu’il avait soutenu qu’Hitler n’avait pas tué assez de Roms. Au même moment, en Italie, Calderoli s’ en est sorti avec un petit reproche de la part du secrétaire de son parti [La Ligue du Nord] qui, au même moment, organisait une manifestation nationale contre l’immigration clandestine.
En réalité, la xénophobie, plus ou moins camouflée, est une arme politique rentable à laquelle il serait dommage de renoncer, alors qu’elle devrait être une frontière indépassable de la démocratie. Les observateurs internationaux ont du mal à comprendre ce qui se passe en Italie. Ils se demandent comment il est possible qu’un pays membre de l’Union européenne ne dispose pas d’anticorps suffisants pour exclure du débat public ceux qui nient toute dignité à des concitoyens, en fonction de leur naissance, la couleur de leur peau et leur croyance.
Ils ignorent l’héritage historique dont la droite italienne ne parvient pas à se libérer. Si le racisme d’en haut précède et justifie les pulsions dignes d’hooligans des lanceurs de bananes, il nous revient donc d’organiser, d’en bas, une chaîne de solidarité. Cette solidarité à l’égard de Kyenge et de toutes les personnes victimes du racisme en Italie, doit se manifester par des gestes tangibles.
Alain Jakubowicz, président de la LICRA, dit son inquiétude devant la montée du racisme en Europe (interview donnée à la BBC le 16 juillet 2013) :