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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

déplacer les bidonvilles ne règle rien !

Le Premier ministre a reçu le 14 mai le collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées, ainsi que le collectif Romeurope. Accompagné de Cécile Duflot, Manuel Valls et Marie-Arlette Carlotti, Jean-Marc Ayrault a fait le point sur la situation des mal-logés à la sortie de l’hiver, ainsi que sur le dossier des bidonvilles. Concernant la question de l’accompagnement des familles vivant dans des bidonvilles et campements illicites, le Premier ministre a rappelé la «ligne politique équilibrée du Gouvernement : premièrement, un partenariat étroit avec le Gouvernement roumain, pour l’amélioration des conditions de vie et de retour des Roms dans leur pays d’origine ; deuxièmement, la nécessité de procéder à l’évacuation des campements illicites, notamment quand la situation sanitaire ou de sécurité l’exige ; enfin, le respect de la circulaire du mois d’août dernier sur l’anticipation de ces évacuations, associée à une volonté de mener une véritable politique d’intégration pour les familles qui ont vocation à rester en France, en rompant définitivement avec la stigmatisation d’une population en proie à la misère.»1 Vous trouverez ci-dessous l'appel, publié le 17 mai, adressé au premier ministre et au gouvernement par les présidents de plusieurs associations, à changer de regard, de discours et de pratiques vis-à-vis des personnes les plus fragiles, suivi d'un point sur l'hébergement des Roms.

Déplacer les bidonvilles ne règle rien !

[Publié le 17 mai 2013, sur Le Monde.fr]

En pleine zone industrielle, coincés entre voies de chemin de fer désaffectées, autoroutes, et entrepôts, des baraquements de fortune abritent des hommes, des femmes et des enfants. A l’instar des pays les plus pauvres, en France, nous voyons réapparaître des bidonvilles qui témoignent d’une pauvreté extrême dans laquelle des milliers de personnes sont contraintes de survivre.

Et pourtant, vingt mille personnes environ habitent ces bidonvilles. Ces citoyens européens à part entière originaires de Roumanie, de Bulgarie mais aussi des ressortissants d’ex-Yougoslavie sont contraints à la mobilité pour des raisons économiques que la discrimination ne fait qu’aggraver. Personne ne souhaite que ces personnes restent condamnées à ces conditions de vie indignes. Pour autant, détruire leur lieu de vie, les chasser, les contraindre d’abandonner leur peu d’effets personnels, en n’offrant aucune alternative d’hébergement ou de relogement pérenne, n’est évidemment pas une solution. Depuis vingt ans déjà, cette politique a largement démontré sa coûteuse inefficacité. Elle détruit les liens sociaux tissés par ces familles, mais aussi le travail d’insertion engagé avec les différents acteurs associatifs et institutionnels (scolarisation des enfants, accès à la santé, au travail, aux droits sociaux…) et ne fait que renforcer la précarité de ces habitants déjà fragilisés.

Depuis le début de l’année, on dénombre près d’une quarantaine d’évacuations de terrain sur l’ensemble du territoire au cours desquelles de nombreuses familles ont été expulsées de leur lieu de vie au déni de leurs droits les plus élémentaires. Le drame qui s’est déroulé à Lyon le 13 mai1
révèle que l’absence de proposition de solution durable peut avoir des conséquences tragiques, contraignant les familles à trouver des abris de fortune. Or, il existe un cadre interministériel fixé par la circulaire du 26 août 2012 adressée à tous les préfets qui prévoit un diagnostic social et un hébergement durable avant toute évacuation de bidonvilles. Malgré le travail engagé par le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, et la concertation engagée entre le gouvernement et les associations, ce cadre n’est pas respecté dans la grande majorité des territoires. Le gouvernement semblait alors vouloir mettre en place une politique nationale de résorption des bidonvilles. Qu’en est-il aujourd’hui ?

UNE ACCÉLÉRATION DES ÉVACUATIONS

En dépit de cette volonté, nous constatons une accélération des évacuations sans solution de relogement, jetant des centaines de personnes à la rue et les contraignant à dormir sur les trottoirs avec de très jeunes enfants. Ces personnes sont victimes comme tant d’autres d’un dispositif d’hébergement d’urgence structurellement saturé et inadapté à l’accueil familial. Rappelons que la loi consacre l’inconditionnalité et la continuité de l’hébergement pour toute personne en détresse. Doit-on se résoudre à des actions contentieuses pour les faire respecter comme le tribunal administratif de Lyon l’a fait le 4 avril en condamnant le préfet du Rhône ?

Le 14 mai, suite à notre demande, nos associations ont été reçues par le premier ministre afin d’exprimer nos vives inquiétudes face à la reprise d’évacuations des squats et bidonvilles. A cette occasion, nous avons rappelé que nous ne pouvions tolérer que des membres du gouvernement, des représentants de l’Etat ou élus locaux se livrent à des discours stigmatisants qui ne font qu’exacerber les tensions locales et le rejet de ces familles en souffrance dont la plupart souhaite s’installer durablement en France. Le premier ministre s’est engagé à veiller à une application homogène de la circulaire du 26 août 2012.

Nous attendons maintenant une parole forte du premier ministre et un engagement de l’ensemble du gouvernement pour porter un changement de regard, de discours et de pratiques vis-à-vis des personnes les plus fragiles, et pour mettre en place une politique en accord avec les valeurs de notre République à travers l’application du droit commun. Nous réaffirmons que toute solution passe d’abord par le respect des droits fondamentaux des personnes : l’accès au travail, aux soins, à un hébergement, le respect de la scolarisation des enfants.

Les présidents de

CCFD-Terre solidaire, Médecins du Monde, Emmaüs France, Fondation Abbé Pierre, FNARS, Amnesty International France, Association des Cités du Secours Catholique et ATD Quart Monde, Cimade, Emmaüs Solidarité, Secours Catholique, Ligue des Droits de l’Homme et Le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope

Où en est-on de l’hébergement des Roms en France ?

par Angela Bolis et Jules Bonnard, Le Monde.fr, le 17 mai 2013

L’incendie d’une ancienne usine squattée par cent cinquante à trois cents Roms, qui a causé la mort d’au moins deux femmes et un enfant lundi 13 mai à Lyon (Rhône), a une nouvelle fois braqué les projecteurs sur les conditions d’accueil des Roms en France. La valse des expulsions et les conditions de vie insalubres caractérisent toujours le quotidien de cette minorité rom – désignant ici les Tziganes récemment immigrés de Roumanie et de Bulgarie.

  • Une itinérance imposée

Les familles roms victimes de l’incendie de leur squat à Lyon y avaient élu domicile après avoir été expulsées d’un autre lieu, dans le quartier de Vaise. Un parcours emblématique de cette communauté, sédentaire, mais contrainte à une mobilité permanente au gré des évacuations successives des camps et des squats qu’elle occupe illégalement.

Ainsi, en 2012, sur les 20 000 Roms qui vivent dans quelque 400 bidonvilles en France – chiffre du ministère de l’intérieur –, plus de la moitié d’entre eux ont été expulsés, d’après Philippe Goossens, de l’Association européenne pour la défense des droits de l’homme (voir cette page).

[…] D’après la même association, 39 évacuations qui ont eu lieu entre le 1er et le 31 mars 2013. Les familles ont bénéficié d’une solution de relogement partiel dans moins de la moitié des cas. Selon Philippe Goossens, rien que depuis un mois, 2 400 personnes ont été expulsées, dont 400 du fait d’incendies ou de pressions (voir cette page).

Cette errance des Roms, caractérisée par des déplacements fréquents dans un périmètre restreint […] fragilise un peu plus, note l’ORS-IDF, une population qui vit déjà dans des conditions extrêmement précaires dans les bidonvilles d’Ile-de-France – généralement construits sur des friches ou interstices urbains pollués, à proximité de voies ferrées, d’autoroutes ou de décharges qui présentent des risques pour leurs habitants, et privés, ou presque, d’eau, d’électricité, du ramassage des ordures et de sanitaires.

« Cette situation d’errance permanente renforce la précarisation et la marginalisation de ces populations, d’autant que durant les opérations d’évacuation, une partie des biens est fréquemment perdue, nécessitant alors pour les familles de recommencer l’ensemble du processus leur ayant permis d’obtenir le minimum (un toit, des murs, des matelas, etc.) », explique l’ORS-IDF.

  • Une politique d’évacuations…

Après la série d’expulsions de camps roms l’été dernier, cette politique a été une nouvelle fois défendue par Manuel Valls en mars, le ministre de l’intérieur affirmant que « plus que jamais, les démantèlements sont nécessaires et se poursuivront ». Ses propos, selon lesquels « les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution », avaient alors suscité la polémique. […]

Cet été, le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait lui-aussi légitimé ces opérations, « dès lors qu’elles interviennent en application d’une décision de justice ou pour mettre fin à une situation de danger ou de risque sanitaire immédiat », quelques jours avant la publication d’une circulaire (PDF) allant dans le même sens.

  • … accompagnées de solutions d’hébergement

Cette même circulaire préconisait toutefois, en cas d’évacuation, d’assurer un diagnostic social des personnes expulsées, et de leur proposer des solutions d’accompagnement en matière de logement, mais aussi de scolarisation, de santé ou encore d’emploi, « chaque fois que possible ». Du côté du logement, elle évoque un recours à l’hébergement d’urgence suivi, à plus long terme, de « l’aménagement d’un site d’accueil provisoire ou d’autres solutions d’hébergement (…) dans l’objectif de stabiliser transitoirement les personnes concernées pour favoriser leur insertion ».

L’application de cette circulaire est aujourd’hui contestée par les associations de défense des droits des Roms. Pour le collectif Romeurope par exemple, son application est trop fluctuante en fonction des territoires concernés et souffre d’un manque de concertation entre la préfecture, qui expulse, et les acteurs qui tentent, au mieux, d’établir un diagnostic social afin de proposer des solutions aux familles. Dans un chat au Monde.fr, le chercheur Grégoire Cousin explique qu’en Seine-Saint-Denis par exemple, cette circulaire « n’a rien changé ». « Aucun accompagnement n’a été proposé pour des personnes expulsées d’un camp. »

Couplé au droit européen, ce document a toutefois servi de référence lors de récents procès de Roms expulsés de leur camp. Fin mars, pour la première fois, une douzaine de familles évacuées d’un bidonville près de Lyon ont ainsi attaqué en justice le préfet du Rhône, et gagné leur procès. Le tribunal a considéré que « la carence de l’Etat dans son obligation d’assurer un hébergement d’urgence à des personnes sans abri est caractérisée et constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale des requérants ». Quinze jours plus tard, mi-avril, c’est à Ris-Orangis qu’un juge a demandé au préfet de reloger le soir-même les familles qui l’avaient assigné, relate Le Figaro.

  • Quelles solutions d’accueil pour les Roms de France ?

Face à ces problèmes persistants d’hébergement des Roms en France, les solutions peuvent être aussi variées que les profils de ces migrants – implantés en France depuis plusieurs années ou fraîchement débarqués, plus ou moins alphabétisés, avec enfants scolarisés ou non… En dehors de l’hébergement d’urgence, un certain nombre d’initiatives ont fleuri depuis quelques années dans l’Hexagone, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, issue de données de la Commission européenne.

Dans un rapport datant de janvier 2012, Romeurope en recense ainsi vingt-deux en Ile-de-France, allant du pavillon appartenant à la municipalité, qui héberge trois familles à Saint-Denis, au MOUS (Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale) qui loge dix-sept familles dans des caravanes sur un terrain à Saint-Ouen, en passant par les villages d’insertion. Ces quelques villages, la plupart en région parisienne, sont les solutions à la fois les plus abouties et les plus controversées : les droits de visite aux Roms y habitant sont contrôlés, les familles y sont sélectionnées selon leur volonté d’intégration ou leur insertion professionnelle…

Ainsi, pour le collectif Romeurope notamment, une solution d’urgence serait, plutôt, de garantir un minimum de salubrité et de dignité dans les bidonvilles existants, afin de mettre un terme à la dispersion et à l’instabilité des populations roms, et favoriser leur insertion. A long terme, il s’agirait de leur faciliter l’accès au parc de logement « de droit commun, comme n’importe quel citoyen européen », explique Romeurope.

Cette dernière solution implique néanmoins un facteur tout aussi primordial que l’hébergement : l’emploi. De ce côté, le gouvernement a assoupli, cet été, les « mesures transitoires » qui restreignent l’accès au marché du travail des ressortissants roumains et bulgares depuis l’adhésion de leur pays à l’UE en 2007. Ainsi, la taxe due par l’employeur à l’Office français de l’immigration s’il souhaitait embaucher un Roumain ou un Bulgare – qui atteignait jusqu’à un demi salaire brut – a été supprimée. Et la liste des 150 métiers pour lesquels les employeurs n’ont pas à démontrer qu’ils ont d’abord cherché à recruter un Français a été élargie. En attendant que soit totalement levés, le 31 décembre 2013, ces freins à l’emploi des Roms.

Angela Bolis et Jules Bonnard

  1. Au sujet du dramatique incendie de Lyon, lire

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