Commémoration de la fin de la guerre d’Algérie
Le 19 mars, le maire de Nice brise le cessez-le-feu
Ce 19 mars, on comptera les municipalités refusant d’appliquer la loi de décembre 2012 qui instaure ce jour-là, en France, une journée nationale du souvenir de la guerre d’Algérie. Avant tireur ou sniper, le maire de Nice a dégainé le premier.
Depuis que la loi du 6 décembre 2012 a instauré le 19 mars comme Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, on savait qu’il y aurait des réticences. Certains maires ont déjà fait savoir que cette date ne leur convient pas, sans pour autant dire qu’ils ne respecteraient pas la loi. Le maire de Nice, Christian Estrosi, est le premier à franchir le pas en annonçant devant des associations d’anciens combattants qu’il n’appliquerait pas la disposition légale, en réponse à une circulaire préfectorale d’application qui demande l’organisation des cérémonies commémoratives et le pavoisement des bâtiments publics.
Reprenant un terme qui qualifiait jadis ceux qui ne voulaient pas partir combattre en Algérie, au péril de leur avenir, le maire se dit «prêt à supporter toutes les conséquences» que son «insoumission» pourrait entraîner, suivant l’argumentaire de l’OAS : «La signature des Accords d’Evian, respectés unilatéralement par la France, marqua le début d’enlèvements et du massacre de plus de 3000 civils européens et 60 000 harkis.» Pourtant, la discussion à l’Assemblée nationale, en 2002, puis au Sénat en 2012 avait épuisé ce sujet et force était restée à la majorité parlementaire. Le rapporteur de la loi nous avait d’ailleurs indiqué dans nos colonnes que si «la guerre d’Algérie fut un rude choc pour le pays, il est temps qu’on rende hommage avec sérieux et qu’on œuvre à la réconciliation entre nos deux pays». On attend maintenant de voir d’autres maires, surtout dans le Sud-Est, briser le cessez-le-feu, 51 ans après le 19 Mars 1962.
Dans le Midi, un certain nombre de communes françaises sont tenues par des nostalgiques de l’Algérie française, élus de droite ou d’extrême droite, ou complaisants vis-à-vis d’une frange de la population toujours revancharde. Pourtant, paradoxalement, cette nouvelle journée du souvenir instaurée le 19 mars n’abroge pas l’autre date, celle du 5 décembre, voulue par Jacques Chirac et qui ne correspond à aucune date anniversaire en Afrique du Nord. Parmi les associations, la Fédération nationale des anciens combattants en Afrique du Nord (Fnaca) a toujours respecté le 19 mars comme journée de commémoration. Si quelques élus avaient critiqué la nouvelle loi, personne n’avait encore annoncé la fronde antirépublicaine.
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Christian Estrosi, le vote pied-noir et la tentation communautariste
On ne peut que s’interroger sur la stratégie d’exacerbation permanente de la question pied-noire à Nice par Christian Estrosi.
De la stèle érigée sur la Promenade des Anglais symbolisant la fracture au lieu d’inciter à la réconciliation, du « vive l’Algérie française » lancé en marge d’une manifestation de rapatriés le 20 octobre 2012, au refus catégorique de commémorer le 19 mars, il est rare, de nos jours, que le réflexe communautariste pied-noir reçoive autant d’encouragements et de soutiens de la part d’un élu de la République.
La communauté pied-noire à Nice pèse lourd sur les échéances électorales et notamment municipales. Pire, elle vient peser de tout son poids… du côté du FN. Déjà en campagne pour 2014, Christian Estrosi n’a de cesse de flatter les Pieds-Noirs niçois pour siphonner le vote FN à Nice.
Surfant sur le rejet de la date du 19 mars, et quand bien même cette commémoration célèbre les victimes civiles et militaires des deux camps, de la guerre d’Algérie mais aussi des combats en Tunisie et au Maroc, le maire de Nice cultive le ressentiment, empêche volontairement les cicatrices de se refermer et souffle en permanence sur les braises de l’histoire à des fins électoralistes.
Ce faisant, il entre en contradiction évidente avec sa revendication constante de l’héritage gaulliste.
Fait passé inaperçu pour beaucoup, Christian Estrosi vient de lancer, contre toute attente, un nouveau courant politique, le « gaullisme à mi-temps » : gaulliste le 18 juin mais anti-gaulliste le 19 mars !
Mais, au-delà du calcul politicien, c’est le vivre ensemble niçois que l’ancien bébé-Médecin remet en cause. Celui qui sur-communique sur la sécurité, celui qui s’oppose au droit de vote des étrangers car cela reviendrait à « donner le droit de vote à des personnes qui haïssent la France », celui qui prépare une campagne municipale sur une « ligne Buisson » assumée, à force de clientélisme électoral, ravive les tensions, la défiance et l’exclusion.
Alors que les meilleurs analystes s’interrogent sur la politique à mener, entre universalisme, différentialisme et multiculturalisme, Christian Estrosi, lui, a déjà choisi : l’opportunisme.