A quoi ressemblait la guerre d’Algérie à Paris ?
L’historienne Sylvie Thénault, une des commissaires de l’exposition,raconte :
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PARIS EN GUERRE D’ALGÉRIE
Comment la guerre d’Algérie a-t-elle été vécue par les Parisiens et par les « Français musulmans d’Algérie », installés à Paris et en banlieue où ils travaillaient ? Capitale d’un empire colonial en train de sombrer, Paris a été du début à la fin un front de cette guerre.
La région parisienne a été un espace de la guerre d’Algérie, mais il ne faut pas entendre «la guerre » au sens strict et la limiter à un affrontement entre le FLN et la France coloniale. Car la guerre a pris plusieurs formes et elle a touché les métropolitains de diverses manières. Les a-t-elle d’ailleurs touchés tous? Les vécus diffèrent selon les parcours individuels ou collectifs des acteurs et des témoins. L’exposition avance même l’hypothèse que des Parisiens ont pu passer à côté de la guerre d’Algérie, qu’elle ne les a pas tous éprouvés, personnellement ou à travers leurs proches. Si beaucoup l’ont ressentie dans leur chair, dans leur affect – parce qu’un frère, un mari a été requis sous les drapeaux, ou parce qu’ils se sont éveillés à la politique par un engagement à ce moment-là –, d’autres l’ont vécu comme une « absence de guerre ». De fait, alors que certains manifestent ou font grève, alors que règlements de comptes et attentats déchirent la ville, pour d’autres (la majorité ?), la vie continue à Paris, les spectacles ont lieu normalement. Au printemps 1956, alors que les événements politiques s’accélèrent avec le rappel des jeunes hommes pour être envoyés en Algérie, que la guerre ipso facto prend un tournant décisif, de quoi parle-t-on d’abord dans la rue et dans les journaux ? Du mariage de Rainier de Monaco avec l’actrice Grace Kelly, auquel assiste le tout Hollywood autour d’Alfred Hitchcock et, représentant la France, le Garde des sceaux, François Mitterrand. On peut s’étonner de cette indifférence mais, pour en rester
à 1956 et s’affranchir d’une actualité frivole, sans doute la crise de Suez a-t-elle plus d’importance cette année-là que n’importe quelle autre affaire. Cependant, la guerre d’Algérie a pu avoir des effets sur celles et ceux qui n’ont pas été concernés directement, mais qui, ouvriers (photo ci-dessous) ou employés, étudiants ou lycéens, ont été transformés, sans en prendre conscience sur- le-champ, par le déroulement d’un événement auquel ils ont été confrontés malgré eux. Un défilé, une photo, un fait plus saillant qu’un autre, même s’il se situe à la fin de la guerre – les plasticages de l’OAS à partir de 1961, le cliché de la petite Delphine Renard défigurée par l’attentat contre le domicile d’André
Malraux à Boulogne-Billancourt en 1962, la manifestation de Charonne quelques jours plus tard – ont marqué les mémoires. L’exposition, autant qu’il est possible, veut aussi faire comprendre cette lente imprégnation des esprits.
Recrutement de masse
En 1954, dans le seul département de la Seine, entre 10 000 et 15 000 Algériens travaillent, comme cet ouvrier, sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics. Pour tous les migrants, ruraux, étrangers ou coloniaux, Paris et sa région constituent un bassin d’emploi attractif. Les Algériens n’échappent pas à la règle: à lui seul, le département-capitale concentre un tiers des actifs algériens de métropole au milieu des années 1950, dont un quart dans le bâtiment et les travaux publics et près de la moitié dans la métallurgie. Singularité du marché du travail de la capitale, les grandes usines métallurgiques parisiennes, et notamment automobiles, recrutent en masse les Algériens. La guerre d’indépendance algérienne change un temps la donne : jugés suspects, les Algériens peinent davantage à se faire embaucher dans les usines de métropole.
Le Paris de 1954
Dans le prolongement du renouveau historiographique de la guerre d’Algérie engagé depuis quelques années, l’exposition fait le pari, en filigrane, d’une histoire « par le bas » de cette guerre vécue par les Parisiens. Une histoire locale en somme, au cœur de Paris et de ses banlieues. Une histoire qui tient compte du contexte social et économique du temps. Contrairement à une idée reçue, les Algériens – plus de 100 000 au début de la guerre qui les vit continuer d’arriver en nombre – ne résident pas tous dans des bidonvilles. Le visiteur serait bien inspiré de laisser au vestiaire de l’exposition les représentations qu’il peut avoir de certains quartiers de la capitale, qui risqueraient de faire écran à la réalité sociale de l’époque. Le bas du quartier Latin fut longtemps un lieu d’habitation de l’émigration d’Afrique du Nord, et certains Algériens habitaient dans des meublés du 6e arrondissement, rue Mazarine, par exemple. S’ils rencontrèrent des difficultés pour se loger, ce ne fut pas seulement en raison des discriminations, bien réelles, dont ils étaient l’objet, mais aussi parce que Paris traversait alors une crise du logement qui affectait toutes les familles, au cœur des trente Glorieuses. Des familles françaises, ne l’oublions pas, vivent encore, à cette époque, à l’hôtel. Pour autant, le bidonville de Nanterre n’appartient pas à une pieuse légende. Mais tous les Algériens ne s’y sont pas réfugiés, loin s’en faut, et, surtout, il existe d’autres bidonvilles – tel celui de Champigny peuplé majoritairement de Portugais et tout aussi misérable – qui n’ont pas bénéficié de la même exposition médiatique. C’est la guerre d’Algérie, et les reportages de la presse, qui ont produit la thématique du bidonville de Nanterre et contribué à diffuser des stéréotypes qui lui préexistaient. Ainsi, le quartier de la Goutte-d’Or était-il couramment décrit comme une médina. En fait, d’autres Algériens que ceux du quartier s’y rendaient en masse en fin de semaine bien avant la guerre d’indépendance, renforçant sa vocation commerçante, au-delà de sa fonction « résidentielle » ordinaire. L’emprise du FLN et la répression policière ont accentué des formes de séparation des espaces de vie et de loisirs. Il n’était cependant pas rare qu’un Algérien ait pour épouse ou pour compagne une Française. Ce qui ne sera pas sans incidence sur les solidarités dont jouiront les militants FLN de la lutte pour l’indépendance algérienne et sur le concours que leurs femmes leur apporteront. Dès les années 1930, les mariages dits « mixtes » – un Algérien avec une Française, très exceptionnellement l’inverse – brisent l’idée de communautés parfaitement étanches les unes aux autres – les Algériens sont, avec les Italiens, ceux qui convolent le plus avec des Françaises – même si la guerre va freiner le mouvement. Par ailleurs, les années 1950 voient se renforcer considérablement l’immigration familiale. Dès lors, la scolarisation et la socialisation des enfants algériens prennent une nouvelle dimension. Les lieux communs ont la vie dure. Cette exposition contribue à sa façon à les combattre. Évitons de croire que, dans le Paris de 1954, les Algériens sont tous engagés dans la lutte pour l’indépendance de leur pays. La plupart sont des hommes jeunes pas forcément intéressés par la politique. Il en est qui apprécient de se frotter à la vie des Français de métropole et qui vont au bal, au cinéma, qui se plaisent à déambuler sur les boulevards. Ils n’ont pas tous choisi de travailler à Paris et en métropole uniquement pour envoyer en Algérie l’argent épargné sur leur paie, et tous ne retournent pas chez eux chaque été, loin s’en faut. Il va de soi que les contrôles policiers et la guerre vont bouleverser la donne.
Contrôles policiers systématiques
Les immigrés algériens furent fréquemment l’objet de discriminations, de mépris et furent également considérés comme un danger ou, au mieux, une vague menace. Par ailleurs, leur politisation précoce éveilla la vigilance de la police, qui mit en place un système efficace de contrôle. Avec le déclenchement de la guerre, cette communauté épousa rapidement les thèses nationalistes, malgré les déchirements sanglants et sans merci entre FLN et MNA. Pour la police, tous les Algériens furent vite rangés au nombre des suspects, des complices des terroristes, et les contrôles au faciès, parfois assortis de brutalités et d’insultes, devinrent leur lot quotidien. Dès les premières émeutes (Goutte-d’Or, 1955), les arrestations se multiplièrent, en particulier dans certains quartiers ou îlots dits arabes. La décision du FLN de porter la guerre en France, en 1958, amplifia la répression.
Au contraire des Français, les Algériens ne pouvaient pas longtemps ignorer la guerre.
Paris, un front
Paris ne fut pas seulement un lieu d’effervescence politique au cours des sept ans de la guerre d’indépendance algérienne, elle fut la capitale d’un empire colonial en train de vaciller. Plus même : un front de la guerre s’y installa. Nous sommes là en présence d’un cas unique dans le processus de décolonisation : une capitale impériale devenue l’une des scènes de la guerre. Mieux : avant le déclenchement des hostilités, le 1er novembre 1954, Paris était déjà l’épicentre de phénomènes nationalistes qui couvaient. L’exposition met en exergue la répression inouïe du 14 juillet 1953, place de la Nation. Ce jour-là, environ 5 000 Algériens défilent en queue de cortège dans le cadre d’une manifestation organisée par le Mouvement de la paix avec le PCF et les organisations syndicales. Au moment de la dispersion, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants qui auraient tardé à obtempérer. On relève sept morts, dont six militants du MTLD, le parti de Messali Hadj. Les tirs nourris sont avérés, des dizaines de douilles sont retrouvées sur place. Les circonstances rangent l’« incident » dans la catégorie des « tueries coloniales », ni plus ni moins. il y a même des comparaisons à établir entre ce qui s’est passé place de la Nation, ce jour-là, et ce qui advenait couramment en Tunisie et au Maroc marqués par des cycles de manifestations/répressions de plus en plus violentes.
5 000 manifestants en 1953
La participation massive aux manifestations ouvrières des 1er-Mai et 14-Juillet démontrait l’organisation et la résolution du PPA-MTLD. Le 14 juillet 1953, l’allure quasi militaire du cortège encadré par l’imposant service d’ordre du parti nationaliste adressait un signal fort aux autorités françaises engagées dans une violente répression en Tunisie et au Maroc. Ces « provocations policières » étaient d’ailleurs dénoncées par certaines banderoles. Les 5 000 manifestants algériens appelaient aussi à la libération de leur leader, Messali Hadj (dont le portrait est arboré au revers des vestes), assigné à résidence depuis plus d’un an. Ce défilé fut dispersé dans le sang, place de la Nation, sous le feu massif de la police parisienne. Sept manifestants (six du PPA-MTLD, un de la CGT) furent tués par balles. Les jours et semaines suivantes, ils furent honorés par une large partie du mouvement ouvrier, avant de sombrer dans l’oubli.
Gardons-nous cependant de voir dans l’événement, passablement oublié de nos jours, les prémisses du soulèvement général de l’année suivante. Paris, comme la France, ne s’attarde pas sur les victimes tombées au cœur de l’été. Si des meetings sont organisés au Cirque d’hiver et à la Fédération du syndicat de la métallurgie, de même qu’une cérémonie à la Mosquée de Paris, les Français ne se disent pas qu’ils sont en train de perdre l’Algérie. Pas plus qu’ils ne comprennent la portée du soulèvement du 1er novembre 1954. Pour l’heure, le Parti communiste et la CGT rendent hommage aux travailleurs victimes de la répression et ne distinguent pas entre Français et Algériens, confondus dans « le glorieux peuple de Paris ». Au début de la décennie, ce qui préoccupe l’opinion publique, c’est – davantage que l’Algérie, et après le choc de Dien Bien Phu – la situation au Maroc et en Tunisie aggravée par le durcissement de la politique de Paris envers les protectorats. Même après 1954, on sera longtemps tenté de globaliser les troubles en Algérie en les situant indistinctement en «Afrique du Nord ». La prise de conscience – l’exposition s’attache à le démontrer – est longue à venir. Les Parisiens ne s’interrogent pas outre mesure lorsque, le 30 juillet 1955, une opération de contrôle à la Goutte-d’Or tourne mal. Des boutiques sont saccagées, des voitures renversées et incendiées, des passages à tabac sont signalés. Tant du côté de la Préfecture que de la presse, on parle d’« émeute ». Le quartier est bouclé, comme on le fait déjà à Alger. et la police en profite pour « épurer le milieu », rafler, arrêter les militants indépendantistes identifiés et les expulser en Algérie. Paris est bel et bien l’espace d’une guerre qu’il ne reconnaît pas encore comme telle.
Paris et l’histoire de plein fouet
Mais, vaille que vaille, la capitale, et la métropole derrière elle, vont progressivement prendre le pouls d’une situation qui se radicalise.
Peu de permissionnaires
À partir du printemps 1956, l’ensemble des métropolitains en âge de faire leur service militaire peut être envoyé en Algérie pour participer aux « opérations de maintien de l’ordre ». Les cas d’exemption sont rares : l’armée a besoin de tous ses hommes pour écraser une rébellion qui s’étend. On autorise cependant les hommes dont un frère sert déjà en Algérie à effectuer leur service en France ou en Allemagne. On dispense aussi d’aller en Algérie les pères de deux enfants et les soutiens de famille. Des sursis sont, par ailleurs, octroyés aux étudiants. Une fois partis en Algérie, les soldats ne peuvent espérer que de rares permissions, souvent trop courtes, pour envisager un retour chez eux. La situation de ce permissionnaire, père de famille, explique certainement qu’il ait, malgré tout, choisi de rentrer en France. Ces moments de retrouvailles permettaient de renforcer le lien maintenu par une correspondance régulière pendant l’absence. Ils n’étaient pas pour autant propices aux récits sur ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée.
Le départ des jeunes appelés en Algérie dès l’été 1955 reste un moment clé de cette tension au fur et à mesure que les familles vont affronter de plein fouet la réalité de la guerre : les fils embarqués vers le « bled », les permissions, les lettres, malgré la censure, les retours, les blessés, les morts… Les Parisiens arrachés à leurs habitudes réagissent, progressivement, quand un enfant ou un mari qui n’avait rien demandé et qui se désintéressait peut-être du sort de l’Algérie, s’apprête, son paquetage ficelé, à franchir la Méditerranée. Et puis, tout va s’accélérer. Lancée très tôt par des militants de gauche, des chrétiens, des universitaires, la question de la torture enflamme les débats, portés à ébullition par la presse nationale, les « grands journaux parisiens », dit-on.
La Fédération de France du FLN s’organise, se manifeste par des attentats et se heurte à la répression.
Répression
En France, comme en Algérie, les autorités répondirent à la lutte pour l’indépendance par une répression judiciaire. Impliquant largement les tribunaux militaires à partir de 1958, celle-ci conduisit des milliers d’Algériens en prison, ainsi que des Français engagés à leurs côtés. À La Santé, étaient notamment détenus des condamnés à mort, dont six furent guillotinés. Abdallah Bellil est le premier d’entre eux. Dans le registre des mouvements journaliers de la prison, il figure au début de la liste des sortants, étant donné que les exécutions avaient lieu à l’aube. La criminalité ordinaire perdurant, cependant, tous les Algériens condamnés ne l’étaient pas pour leur engagement. La mention « ASEE » permet alors d’identifier avec certitude les nationalistes : « l’atteinte à la sûreté extérieure de l’État » était l’une des infractions majeures du Code pénal en matière politique.
En 1958, avec l’agonie d’un régime que personne ne regrette, s’installe de plus en plus l’idée que la guerre met en péril la démocratie. Le 13 mai, Paris s’inquiète du rôle des militaires à Alger et du danger qu’ils représentent, qualifié de « fasciste ». La manifestation républicaine du 28 mai, qui rassemble au moins 200 000 personnes de la Nation à la République, répond à l’acceptation, la veille, par le général de Gaulle de son retour aux affaires. Pour les républicains de cœur, l’homme du 18-Juin s’est mué, quoiqu’il s’en défende, en l’homme du 13-Mai. La tache originelle de sa prise de fonction et sa pratique du pouvoir, surtout au lendemain du putsch avorté d’avril 1961, amplifient un discours de suspicion.
L’échec du putsch d’Alger
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français (M. Challe, R. Salan, E. Jouhaud, A. Zeller) tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-Noirs dans un effort désespéré pour maintenir l’Algérie à l’intérieur de la République française. C’est le putsch d’Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours. À Paris, le général de Gaulle laisse les généraux factieux s’enferrer, avec le secret dessein de dramatiser la situation pour resserrer les citoyens autour de lui et des nouvelles institutions de la Ver République, encore très fragiles. Il fait arrêter immédiatement les sympathisants des putschistes. Le dimanche soir 23 avril, il apparaît en uniforme à la télévision en qualifiant les factieux de « quarteron de généraux en retraite ». Plus tard dans la nuit, le Premier ministre Michel Debré intervient avec emphase à la télévision. « Dès que les sirènes retentiront, allez, à pied ou en voiture, convaincre ces soldats trompés de leur lourde erreur. » Des chars prennent position devant l’Assemblée nationale et l’on distribue des casques à des volontaires, regroupés ici dans la cour du ministère de l’Intérieur.
Mais, à compter de 1961, ce sont les irréductibles de l’OAS qui font de Paris leur cible de prédilection et laissent planer, sur leurs adversaires républicains, la menace explosive de leur pouvoir de nuisance. L’exposition ressuscite quelques-uns des lieux emblématiques de ce front qui traversait le département de la Seine. En tête, le quartier Latin, théâtre agité de manifestations et de contre-manifestations dès 1956 autour de la Mutualité et où, le 27 octobre 1960, l’UNEF, avec le PSU et plusieurs syndicats, organise une démonstration de force en faveur de la paix en Algérie. Les militants de la très droitière Corpo de droit croisent dans ces parages les militants de la gauche anticolonialiste, l’occasion d’échauffourées aussi brèves que violentes. Symboles de cette effervescence, citons la librairie de François Maspero – indissociable de son fondateur tiers-mondiste –, qui ouvre en 1957 en même temps que la maison d’édition, citons la librairie communiste de la rue Racine mise à sac par les partisans de l’Algérie française… Le Paris de ce temps-là, c’est aussi celui de la guerre fratricide que se livrent les nationalistes algériens, ceux du FLN et ceux du MNA de Messali Hadj. Dans la rue, dans les cafés, des attentats, des assassinats émaillent une actualité sordide dont les journaux rendent compte dans la rubrique des « faits divers », même si ceux survenus en banlieue sont moins couverts que ceux ayant touché la capitale. Le FLN a parfaitement conscience qu’au cœur de Paris se joue aussi une bataille de l’image et l’accès à la presse internationale. Le 17 octobre 1961, en bravant la police du préfet Maurice Papon, qui lui-même agit sur ordre des plus hautes instances de l’État, et en passant outre un couvre-feu discriminatoire, les Algériens et les Algériennes s’affichent dans des espaces qui leur étaient interdits et s’exposent à la répression. une répression terrible, sans égale et aussitôt minimisée par les autorités. Ce n’est que beaucoup plus tard que la mémoire de ces événements affleurera et que l’histoire tentera de rétablir une vérité. La solidarité ouvrière a été mise à mal au lendemain du 17 octobre 1961. Tandis qu’elle avait joué après le 14 juillet 1953, elle ne prend plus la forme que de réactions très locales, dans quelques usines ou quartiers. Pas le moindre meeting. Revoyons le film, longtemps interdit, Octobre à Paris de Jacques Panijel.
Paris dans la sortie de guerre
Quand la guerre d’Algérie se termine-t-elle à Paris ? L’exposition pose la question. En 1962, bien sûr, avec les accords d’Évian, la fin des hostilités entre Français et Algériens et la déclaration d’indépendance du 5 juillet. Une indépendance célébrée à Alger mais aussi à Paris par les Algériens eux-mêmes. L’année 1962 peut paraître une borne trop commode. L’achèvement de la guerre a eu des effets de longue portée, à Paris et ailleurs, avec l’arrivée des Pieds-Noirs et des harkis. Pourquoi pas 1968 ? Une date à retenir si l’on se souvient que, cette année-là, de Gaulle fait voter l’amnistie des derniers militants de l’OAS encore emprisonnés. Mais 1968 aussi parce que bien des acteurs des événements qui ont secoué Paris au printemps ont fait leurs classes politiques pendant la guerre d’Algérie, souvent par opposition à des organisations de gauche trop compromises (la SFiO) ou jugées trop timorées par rapport à l’indépendance algérienne (le PCF). Dans la préface au Journal de la commune étudiante, coprésenté avec Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet dit de la guerre d’Algérie qu’elle a été un « précédent micros- copique » dans la mesure où elle a préparé le terrain à des engagements futurs. Sans doute, entre 1954 et 1962, une génération politique est-elle née sur le pavé de Paris.
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Les commissaires de l’exposition
- Emmanuel Blanchard, historien et politiste, maître de conférences à l’université de Versailles – Saint-Quentin en Yvelines
- Raphaëlle Branche, historienne, maîtresse de conférences à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Omar Carlier, historien, professeur à l’université de Paris 7 Denis-Diderot
- Laure Pitti, sociologue, maitresse de conférences à l’université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis
- Alain Ruscio, docteur ès-lettres, historien indépendant
- Sylvie Thénault, historienne, directrice de recherches au CNRS
Informations pratiques
Entrée libre et gratuite
Réfectoire des Cordeliers, 15 rue de l’École de Médecine à Paris-6e (M° Odéon)
Du vendredi 7 décembre 2012 au jeudi 10 janvier 2013
Tous les jours de 11h à 19h (sauf les lundis 24 et 31 décembre : 11h – 17h ) – Nocturne le jeudi jusqu’à 20 h 30
Fermeture les jours fériés (25 décembre et 1er janvier).