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Édition du 1er au 15 octobre 2024

“l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage”, synthèse du rapport de la Cour des comptes

La Cour des comptes a publié en octobre 2012 un rapport sur L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage, ainsi qu'une synthèse qui en facilite la lecture et l’utilisation et que nous reprenons ci-dessous1. On estime le nombre de gens du voyage en France à environ 250 000 personnes, réparties de la manière suivante : 70 000 itinérants, 65 000 semi-sédentaires et 105 000 sédentaires 2. Le rapport de la Cour des comptes rappelle que la loi du 5 juillet 2000 est centrée sur le dispositif d’accueil prévu pour les gens du voyage itinérants : elle prévoit la mise en oeuvre dans chaque département de schémas d'aires d'accueil pour répondre aux besoins des gens du voyage nomades, mais elle n'aborde pas véritablement l’habitat des gens du voyage en voie de sédentarisation, sédentarisés ou semi-sédentarisés – en la matière, elle ne crée pas d’obligation et se limite à inciter les communes à mettre en place des solutions adaptées3.

LA SYNTHÈSE DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

Le plan

– Introduction
-1. Une politique publique ambitieuse mais insuffisamment pilotée
-2. L’obligation d’accueil : une mise en oeuvre partielle et un effet difficile à apprécier sur les stationnements illicites
-3. L’aménagement, la gestion des aires et l’habitat adapté : une faible mobilisation des acteurs publics
-4. L’accompagnement social et scolaire : des résultats insuffisants
-Conclusion
– Recommandations

Introduction

L’appellation « gens du voyage », d’origine administrative, a été retenue par le législateur pour désigner une catégorie de la population caractérisée par son mode de vie spécifique : l’habitat traditionnel en résidence mobile. Couramment qualifiés de « tsiganes », les gens du voyage, de nationalité française dans leur très grande majorité, sont une population distincte de celle des Roms, qui sont des migrants de nationalité étrangère, venus principalement d’Europe centrale et orientale, sédentaires dans leur pays d’origine. Ces derniers relèvent de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire français et non de la législation sur les gens du voyage.

La France est l’un des rares pays à avoir adopté une législation consacrée spécifiquement relative aux gens du voyage. La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage a cherché à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités territoriales, afin de favoriser une cohabitation harmonieuse de différentes
populations sur le territoire national. Cette loi impose une obligation d’organisation de l’accueil des gens du voyage aux collectivités territoriales, tout en leur permettant, en contrepartie, de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites des gens du voyage.

Le rapport de la Cour et des chambres régionales des comptes synthétise les enquêtes menées conjointement depuis 2009 et dresse un bilan global de la politique d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage, plus de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi.

Le rapport analyse le statut juridique spécifique, les principales difficultés rencontrées par les gens du voyage et la manière dont la loi du 5 juillet 2000 y répond, par la mise en place d’une politique centrée sur l’obligation d’accueil des gens du voyage. Il montre les carences du pilotage de cette politique publique, qui contribuent à son bilan contrasté. Le niveau et les conditions
de réalisation des structures d’accueil des gens du voyage sont en effet insatisfaisants et leur impact sur les stationnements illicites difficile à mesurer. Le rapport permet également de onstater les difficultés posées par la gestion des aires d’accueil, qui fait l’objet d’une faible attention de la part de l’Etat et des collectivités, et la réponse limitée apportée à l’évolution importante
des besoins des gens du voyage en termes d’habitat. Il analyse enfin les mesures prises en matière d’accompagnement social et de scolarisation, qui ne sont pas à la hauteur des difficultés sociales et des problèmes particuliers d’accès aux droits des gens du voyage.

1. Une politique ambitieuse mais insuffisamment pilotée

Une population caractérisée par son mode de vie et sujette à des difficultés
sociales

Les gens du voyage sont juridiquement définis par leur mode de vie, caractérisé
par un habitat traditionnel en résidence mobile. Cependant, dans les faits, ils ne sont pas nécessairement itinérants. Pour une partie importante de la population des gens du voyage, semi-sédentarisée, la mobilité géographique est plus réduite et plus ponctuelle.

La population des gens du voyage reste mal connue, en l’absence de données
statistiques fiables et actualisées. Les estimations existantes, qui prennent appui sur les titres de circulation que détiennent les gens du voyage, se révèlent le plus souvent partielles et fragiles. Au regard de ces données, la population des gens du voyage représenterait entre 250 000 à 300 000 personnes a minima en France. Cette absence de données statistiques constitue une difficulté majeure pour répondre aux besoins de cette population qui fait face, pour partie, à d’importantes difficultés sociales, à la fois en matière d’accès aux soins et à la prévention sanitaire mais aussi à l’éducation et au marché du travail.

L’objectif ambitieux de la loi du 5 juillet 2000 : rechercher un équilibre entre
droits et devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités

La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage
cherche à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des
gens du voyage et des communes.

Cette loi impose une obligation d’organisation de l’accueil sur les communes
de plus de 5000 habitants et les établissements publics intercommunaux
compétents inscrits au schéma départemental. Elle leur permet en contrepartie de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites.
Les gens du voyage se voient ainsi reconnaître un droit au stationnement,
assorti d’obligations, et un droit à un accompagnement social intégrant la
question de la scolarisation des enfants.

Pour atteindre l’objectif de création d’aires permanentes d’accueil et de
grand passage, la loi confère aux schémas départementaux d’accueil des gens
du voyage un rôle pivot. L’élaboration de ces schémas est de la responsabilité
du président du conseil général et du préfet de chaque département.

Toutefois, le rythme et les modalités d’adoption de ces schémas sont peu
satisfaisants. L’évaluation préalable des besoins ayant été inégale, les objectifs
des schémas n’ont pris que partiellement en compte les besoins identifiés. Les
schémas sont également imprécis, notamment sur la localisation des aires,
peu opérationnel.

La révision des schémas actuellement en cours cherche à tirer les conséquences de certaines de leurs faiblesses initiales, en mettant l’accent sur les besoins d’ancrage territorial et sur la réalisation des aires de grand passage.

Un pilotage à renforcer

Les politiques conduites en matière d’accueil et d’accompagnement des gens
du voyage mettent en jeu un grand nombre d’acteurs – collectivités territoriales, administrations d’Etat, opérateurs privés, associations – et impliquent, au sein même de l’Etat, l’intervention de plusieurs ministères, ceux chargés du logement, des affaires sociales, de l’intérieur et de l’éducation nationale.

Au croisement des compétences de plusieurs ministères, la politique d’accueil
et d’accompagnement des gens du voyage souffre d’un manque de coordination
interministérielle et de pilotage. En résultent des difficultés pour organiser et orienter la politique conduite et des lacunes importantes dans son suivi et son évaluation.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que la commission nationale
consultative des gens du voyage, seule instance nationale de réflexion et
de concertation réunissant l’ensemble des acteurs concernés par les actions à
mener envers les gens du voyage, a accumulé les dysfonctionnements depuis sa mise en place en 1992. Elle n’a pas établi de constats ni proposé d’orientations ou préconisations. Elle n’a dès lors pas été en mesure d’être une force d’analyse et de proposition ni de contribuer à infléchir et donner une cohérence d’ensemble à la politique d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage.

Enfin, le pilotage local de cette politique, confié conjointement aux préfets et aux présidents des conseils généraux, est inégal sur le territoire et souvent peu
mobilisé. Il n’a pas permis de répondre aux problèmes rencontrés en matière de réalisation et de gestion des aires ou d’accompagnement social des gens du
voyage. Les instances prévues (commission départementale consultative des
gens du voyage notamment) n’ont pas fonctionné au rythme attendu et leurs
compétences ont été peu utilisées. Les conditions du pilotage local n’ont ainsi
pas permis d’impulser une dynamique facilitant la mise en oeuvre du schéma
départemental d’accueil des gens du voyage.

2. L’obligation d’accueil : une mise en oeuvre partielle et un effet difficile à apprécier sur les stationnements illicites

Un bilan contrasté

Malgré une accélération des réalisations au cours des dernières années, le
taux de réalisation des aires reste insatisfaisant dix ans après l’adoption de la loi : au 31 décembre 2010, seules 52 % des places prévues en aires d’accueil et
29,4 % des aires de grand passage avaient été réalisées.

Le taux de réalisation devrait cependant s’améliorer au cours des années à
venir, le nombre de places déjà financées par l’Etat étant sensiblement supérieur au nombre de places réalisées, en particulier pour les aires d’accueil.

Le taux global de réalisation masque de très fortes disparités territoriales.
Alors que près des trois quarts des aires ont été réalisées à l’Ouest et dans le
Centre, il est particulièrement faible en régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur,
Ile-de-France et Languedoc-Roussillon.

Les subventions d’investissement de l’Etat représentent un effort financier
important, qui ne correspond toutefois qu’à une part minoritaire du coût réel de
réalisation des aires, estimé au total à 632 M€ sur l’ensemble de la période
2000–2011. Le coût d’investissement moyen, sensiblement supérieur aux
attentes, est fortement hétérogène d’un département et d’une aire à l’autre. La
charge foncière et les coûts de voirie et réseaux divers pèsent d’avantage dans le coût de réalisation des aires que l’aménagement d’équipements sanitaires individualisés.

L’obtention de co-financements, facultatifs, de la part des conseils généraux,
des caisses d’allocations familiales et plus rarement des conseils régionaux,
est aléatoire, alors qu’ils peuvent réduire les dépenses d’investissement restant à la charge des communes ou établissements publics de coopération intercommunale, chargés de la réalisation des aires.

La réalisation des aires a été freinée par des obstacles multiples : imprécision
initiale des schémas départementaux conduisant à des retards de réalisation ;
réticence forte des populations riveraines ; coûts prévisionnels de réalisation
largement dépassés, notamment du fait de travaux de raccordements onéreux,
directement imputables aux décisions des collectivités territoriales
d’éloigner les aires des zones habitées ; absence de volonté des collectivités sur
certains territoires ; arrêt des subventions versées par l’Etat pour la réalisation
des aires depuis la fin 2008.

La difficile mesure de l’impact sur les stationnements illicites

En contrepartie de l’obligation de création d’aires d’accueil, les moyens de
lutte contre les stationnements illicites ont été renforcés pour les communes
qui ont rempli l’ensemble de leurs obligations.

En cas de non-respect des arrêtés d’interdiction de stationnement, une procédure d’évacuation administrative des résidences mobiles a été mise en
place par les lois du 5 juillet 2000 et du 5 mars 2007. Elle permet aux collectivités d’obtenir le concours de la force publique pour mettre fin aux stationnements illicites. Les gens du voyage ont en effet le devoir de résider sur les aires d’accueil existantes et encourent le risque d’une évacuation forcée s’ils choisissent un stationnement illicite.

L’efficacité du dispositif juridique mis en place pour lutter contre les stationnements illicites est toutefois relative. En effet, la procédure d’évacuation administrative est utilisée de manière hétérogène d’un département à l’autre et il est peu fait recours à l’évacuation forcée.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette situation.

Tout d’abord, seules les communes qui ont réalisé l’ensemble de leurs obligations en termes de création de structures d’accueil peuvent faire appel à
l’évacuation administrative. Ensuite, les gens du voyage en stationnement illicite
partent le plus souvent dès qu’ils sont mis en demeure, sans attendre le déroulement complet du processus d’expulsion. Enfin, au-delà des possibilités offertes par la procédure d’évacuation, les collectivités locales et les préfectures privilégient les solutions amiables avec les gens du voyage lorsqu’aucune nuisance n’est constatée sur le terrain ou que la mise en oeuvre de la procédure d’évacuation forcée est particulièrement délicate.

Le départ volontaire des occupants illicites d’un terrain par la voie de la
négociation constitue l’objectif privilégié. Des dispositifs de médiation ont été mis en place dans certains départements, afin de gérer plus en amont les stationnements illicites et de mieux anticiper les conflits potentiels des gens du voyage avec les communes.

Les constats locaux, bien qu’hétérogènes, accréditent l’idée d’une corrélation
possible entre la création des aires et une baisse des stationnements illicites.
C’est le cas sur de nombreux territoires, l’impact sur les stationnements illicites
est d’autant plus important que l’ensemble des collectivités au sein d’une même
zone géographique a réalisé les aires d’accueil prévues.

Les occupations illégales demeurent toutefois importantes en période estivale,
à l’occasion des grands passages et des déplacements dans le cadre des
grands rassemblements. De grands groupes s’installent alors massivement
et illégalement sur des terrains privés ou publics. Le taux de réalisation particulièrement faible des aires de grand passage, destinées à accueillir ces grands groupes de voyageurs, accentue ce phénomène.

Une réponse spécifique plutôt efficace aux grands rassemblements

Compte tenu de l’ampleur des grands rassemblements, leur organisation
matérielle relève essentiellement d’une gestion de l’ordre public à la
charge de l’Etat. Organisée très en amont en concertation avec les associations
concernées et les collectivités, la gestion des grands rassemblements
apparaît complexe mais efficace.

De manière générale, les grands rassemblements se déroulent dans des
conditions satisfaisantes. Si les troubles à l’ordre public constatés sont rares, les
comportements en matière d’hygiène et de salubrité restent préoccupants.

Eu égard à l’ampleur de ces manifestations, l’Etat est le seul à pouvoir
disposer de terrains de taille suffisante, ou à les mobiliser, même si la politique
de cessions immobilières et foncières réduit progressivement les terrains disponibles.

Le rapport avec les populations locales est un sujet sensible. En 2011, pour la première fois, la pression des élus locaux a conduit l’Etat à renvoyer sur un terrain privé appartenant à l’association organisatrice, la tenue du grand
rassemblement pentecôtiste au mois d’août, alors qu’un terrain adéquat avait
été identifié.

Les mesures réparatrices mises en oeuvre et les retombées économiques
positives de ces grands rassemblements ne permettent pas de compenser le déficit persistant d’image auprès de la population locale, dont les élus se font souvent le relais.

3. L’aménagement, la gestion des aires et l’habitat adapté :
une faible mobilisation des acteurs publics

Une faible attention à l’aménagement et à la gestion des aires

La faible attention portée tant par l’Etat que par les collectivités territoriales
à l’aménagement et la gestion des aires ne garantit pas une utilisation efficiente
des fonds publics.

Déterminant pour en assurer le bon fonctionnement au moindre coût, l’aménagement des aires est souvent mal adapté. Les problèmes techniques liés à la faible qualité ou à l’inadaptation des infrastructures peuvent résulter d’investissements trop réduits, d’une mauvaise conception de l’aménagement, d’un suivi insuffisant des travaux par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’oeuvre ou de défaillances dans la réalisation elle-même.

Une plus grande attention doit être portée à l’aménagement des aires, tant
par les collectivités que par l’Etat.

L’Etat qui subventionne le fonctionnement des aires d’accueil par l’allocation de logement temporaire (ALT) 2 s’est peu impliqué. Au niveau national, l’Etat ne s’est pas donné les moyens de piloter l’allocation de logement temporaire ni d’analyser les caractéristiques de la gestion des aires. Au niveau déconcentré ses services ne contrôlent pas suffisamment la conformité à la réglementation des modalités de gestion de l’aire. Ils exercent par ailleurs peu leur fonction de conseil auprès des collectivités.

Les collectivités attachent une attention variable à la gestion des aires,
alors que les dépenses de fonctionnement qui restent à leur charge après le
versement de la subvention de l’Etat et des redevances des usagers sont significatives. Certaines d’entre elles s’y sont toutefois investies, notamment en mettant en place des dispositifs de suivi de qualité.

Le manque d’attention portée à la gestion des aires est particulièrement
problématique lorsque cette gestion est déléguée. Le marché de la gestion
déléguée, largement occupé par des sociétés privées, a en effet connu un fort
développement, au point qu’il représente près de 40 % des places en aires
d’accueil gérées.

L’Etat et les collectivités n’ont pas cherché à organiser ou à suivre ce nouveau secteur d’activité, pourtant essentiellement financé sur des fonds publics.
Il en résulte non seulement un recours inapproprié à la délégation de service
public mais aussi un risque que les bénéfices dégagés par certains opérateurs ne soient que partiellement justifiés.

Un encadrement de la délégation de la gestion et une implication plus forte
de l’Etat et des collectivités apparaissent en conséquence nécessaires.

Les modalités de gestion des aires sont très hétérogènes d’un territoire à l’autre, notamment en matière de tarification, et peuvent être à l’origine d’inégalités entre usagers. A l’image des bonnes pratiques de certains
départements, l’harmonisation des règles de gestion doit être plus largement
favorisée pour améliorer l’efficacité de l’accueil des gens du voyage. De
même, le métier de gestionnaire d’aire d’accueil, difficile et peu reconnu, mériterait d’être mieux organisé et professionnalisé.

Des besoins en termes d’habitat adapté insuffisamment pris en compte

Les situations et demandes d’ancrage territorial identifiées mettent en évidence l’importance et la diversité du phénomène, qui va de l’ancrage sur des terrains privés, dans un cadre conforme ou non au droit de l’urbanisme, à l’installation durable sur les aires d’accueil. La réalité des besoins d’ancrage territorial est probablement sous-estimée, un état des lieux précis n’ayant pas été réalisé dans chaque département.

Cet ancrage territorial de plus en plus marqué d’une partie de la population
des gens du voyage appelle des solutions alternatives aux aires d’accueil.
Celles-ci sont en principe destinées à des itinérants et non à une population
sédentarisée, provisoirement ou définitivement. Encore trop peu prises en compte dans les schémas départementaux et les plans départementaux d’aide au logement des personnes défavorisées (PDALPD), les offres alternatives adaptées restent limitées au regard des besoins croissants. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la demande d’ancrage territorial sur les aires d’accueil reçoit dans l’intervalle, des réponses différentes voire opposées, tant au niveau national que départemental.

Enfin, les réponses apportées aux besoins spécifiques des gens du voyage
sédentarisés sont marquées par des incertitudes qui peuvent engendrer des
inéquités. Ainsi, les conditions de versement des aides au logement pour les
occupants des terrains familiaux, la possibilité de proposer ou non un habitat
aux gens du voyage dans le cadre des recours au titre du droit au logement
opposable (DALO) et les modalités de régularisation des situations d’ancrage
territorial sur des terrains privés ne sont pas fixées de manière précise.

4. L’accompagnement social et scolaire : des résultats insuffisants

Un accompagnement social restreint

L’accompagnement social des gens du voyage reste limité, alors que les
besoins sont importants. Bien que l’article 6-1 de la loi du 5 juillet 2000 prévoie
un projet social pour chaque aire d’accueil en association avec l’ensemble des
acteurs concernés, son élaboration est loin d’être systématique.

Conséquence du caractère général des objectifs fixés par les schémas, l’accompagnement social recouvre des actions d’ampleur variable, qui peuvent
se réduire à une simple information sur la localisation des services de droit commun.

Diverses actions d’accompagnement spécifiques, portées essentiellement par
des associations, sont également développées : accès aux droits sociaux et à
l’aide sociale, soutien à l’insertion professionnelle, scolarisation, prévention en
matière de santé. De manière générale, les actions conduites souffrent d’un
manque d’évaluation qui ne permet pas d’apprécier leur efficacité et de diffuser
les bonnes pratiques.

Si l’Etat apporte un soutien financier aux têtes de réseau associatives et,
de manière plus ponctuelle, aux actions conduites au niveau local, l’implication
forte des conseils généraux apparaît nécessaire pour assurer une bonne prise
en compte des difficultés spécifiques des gens du voyage dans la politique
d’aide et d’action sociales.

Les circulaires de 2002 et, dans une moindre mesure, les schémas départementaux d’accueil des gens du voyage résultant de la loi du 5 juillet 2000 proposent un cadre permettant la prise en compte des difficultés de scolarisation des enfants du voyage et constituent, en ce sens, un progrès réel.

Toutefois, le dispositif mis en place afin de favoriser la scolarisation des
enfants du voyage n’apparaît pas à la hauteur des enjeux, face à la non-scolarisation préoccupante d’une partie de ce public.

Une partie importante des enfants du voyage n’est en effet pas scolarisée, en particulier à l’école maternelle et au collège, et les retards dans l’acquisition des savoirs fondamentaux pour les enfants scolarisés s’accumulent. Plusieurs dispositifs et initiatives sont mis en place au sein de certaines académies pour assurer l’accès à la scolarisation des enfants du voyage. Leur efficacité mériterait d’être évaluée. Dans l’ensemble, l’organisation de la prise en charge de ces élèves apparaît disparate et encore insuffisante, tant sur le plan des structures de scolarisation que des outils pédagogiques.

Conclusion

La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage vise à définir un équilibre entre droits et obligations réciproques pour les collectivités territoriales et les gens du voyage ; en contrepartie de l’obligation d’accueil, les communes disposent de moyens renforcés pour lutter contre les stationnements illicites des gens du voyage sur leur territoire.

L’appréciation de l’efficacité de cette politique se heurte à un suivi très partiel des actions mises en place et à l’absence d’une évaluation partagée entre les collectivités territoriales et l’Etat.

Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi, la mise en oeuvre de ses objectifs demeure insuffisante.

La réalisation tardive et encore insatisfaisante de l’obligation d’accueil des gens du voyage et l’insuffisante prise en compte des enjeux liés aux modalités de gestion des aires et des besoins d’accompagnement de ce public s’expliquent notamment par les importantes difficultés de pilotage de la politique conduite. La mise en oeuvre opérationnelle au niveau local s’effectue sans orientations suffisantes et harmonisées, tandis que le pilotage de cette politique au niveau national reste cloisonné entre les différents ministères.

Les mesures recommandées par la Cour et les chambres régionales des comptes pour améliorer l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage sont d’abord des actions visant à assurer l’efficacité de la politique existante, par le renforcement de son pilotage et la définition de conditions permettant
la poursuite de la réalisation des aires et l’efficacité de leur gestion.

D’autres mesures doivent permettre de préparer l’avenir. Une mobilisation forte des pouvoirs publics est nécessaire pour répondre efficacement à la demande grandissante d’ancrage territorial de cette population, aux difficultés sociales auxquelles elle fait face et à la non-scolarisation d’une partie des enfants.

Recommandations

S’agissant de la connaissance de la population des gens du voyage et des schémas départementaux

  • conduire des enquêtes ponctuelles afin d’améliorer au niveau national la connaissance des principales caractéristiques de la population des gens du voyage (nombre, revenus, niveau social, professions, mobilité, habitat etc.) ;
  • mettre à profit le processus de révision actuel pour élaborer des schémas
    départementaux identifiant la réalité des besoins respectifs d’aires d’accueil et d’habitat adapté ainsi que la diversité des besoins des gens du voyage ;

S’agissant du pilotage national

  • assurer une coordination interministérielle forte de la politique d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage ;
  • revoir les modalités de fonctionnement de la commission nationale consultative des gens du voyage, afin d’assurer sa contribution effective à la définition des orientations nationales ;

S’agissant du pilotage local

  • assurer le fonctionnement régulier de la commission départementale
    consultative et de la commission régionale de coordination des travaux tout
    au long de la mise en oeuvre de la nouvelle génération de schémas départementaux ;
  • mettre en place, dans chaque département, un dispositif de pilotage
    opérationnel de la mise en oeuvre du schéma associant les différents acteurs
    concernés ;

S’agissant de la réalisation des aires d’accueil et de grand passage

  • inciter les services de l’Etat à une mobilisation du Fonds européen de développement régional pour contribuer à la réalisation du dispositif d’accueil des gens du voyage ;
  • clarifier l’usage que l’Etat entend faire du pouvoir de substitution du préfet, en choisissant entre deux options :
    – définir ses modalités concrètes d’application afin de permettre sa mise en oeuvre effective ;
    – à défaut, abroger la procédure de substitution ;
  • rétablir le subventionnement par l’Etat des aires demeurant à construire dès lors qu’elles ont été validées par les schémas révisés et avec pour seule
    contrepartie un prélèvement financier sur les collectivités défaillantes ;

S’agissant de la lutte contre les stationnements illicites

  • établir des statistiques annuelles relatives aux stationnements illicites
    des résidences mobiles des gens du voyage dans les collectivités ayant rempli
    ou non leurs obligations de création de structures d’accueil ;
  • améliorer la gestion en amont des grands passages en lien avec les associations de gens du voyage et développer dans ce cadre des dispositifs de
    médiation afin de favoriser le dialogue entre les gens du voyage, les collectivités et l’Etat et limiter ainsi les stationnements illicites ;

S’agissant de l’aménagement et la gestion des aires d’accueil

Le rôle de l’Etat en matière d’aménagement et de gestion des aires

  • contrôler annuellement, d’une part, la conformité des aires d’accueil aux normes techniques, d’autre part, la conformité des modalités de gestion de
    l’aire aux prescriptions réglementaires, lors de la validation des règlements
    intérieurs par l’Etat ;
  • améliorer la qualité et la fiabilité des données statistiques relatives à l’usage des aires d’accueil en lien avec la caisse nationale d’allocations familiales,
    afin d’être en mesure de connaître l’usage effectif des aires d’accueil et
    d’assurer le pilotage de l’allocation de logement temporaire (ALT 2) ;
  • verser l’aide à la gestion (ALT 2) directement au gestionnaire de l’aire
    conformément à la réglementation ;

Le suivi de la gestion des aires

  • organiser un suivi systématique de la gestion directe ou déléguée des
    aires par les collectivités concernées ;
  • encadrer et suivre au niveau national le marché de la gestion déléguée ;

L’hétérogénéité des règles de gestion

  • encadrer les modalités de gestion :
    – fixer par voie réglementaire des règles communes applicables à l’ensemble
    des conventions de gestion à travers des clauses-type, pour éviter l’existence de dispositions ou de pratiques de gestion abusives ;
    – harmoniser au niveau départemental les règles applicables en matière de durées de séjour et de tarification ;
  • professionnaliser et assurer une meilleure reconnaissance du métier de
    gestionnaire d’aires d’accueil, par la clarification de leurs missions, la mise
    en place de formations adaptées et la mise en réseau des gestionnaires au
    niveau départemental;

S’agissant de l’habitat adapté des gens du voyage

  • assurer la réalisation d’un état des lieux des besoins d’ancrage territorial
    dans chaque département afin de faciliter la définition de réponses
    appropriées sur les plans quantitatif et qualitatif, lorsque cela n’a pas été fait
    dans le cadre de la révision du schéma ;
  • assurer la bonne articulation du schéma départemental d’accueil des gens du voyage, du plan départemental d’action pour le logement des personnes
    défavorisées et des documents d’urbanisme, si besoin à travers la mise en place de structures communes pour les départements où l’enjeu de l’ancrage
    territorial des gens du voyage est important ;
  • inscrire au sein des schémas départementaux révisés les objectifs chiffrés de réalisation des projets de terrains familiaux pour favoriser leur mise en oeuvre ;
  • organiser une réponse transitoire et homogène aux difficultés posées par l’ancrage territorial sur les aires d’accueil, dans l’attente du développement
    à moyen terme de l’habitat adapté ;
  • lever les incertitudes qui caractérisent les réponses aux besoins spécifiques
    des gens du voyage sédentarisés : modalités d’attribution et de calcul des aides au logement pour les occupants des terrains familiaux, possibilité de proposer un relogement en habitat adapté dans le cadre du droit au logement opposable et identification des situations de sédentarisation en infraction avec le droit de l’urbanisme qui peuvent faire l’objet d’une régularisation ;

S’agissant de l’accompagnement social

  • élaborer, pour chaque aire d’accueil, un projet social, conformément à
    l’article 6-I de la loi du 5 juillet 2000 en associant l’ensemble des acteurs ;
  • évaluer l’efficacité des dispositifs d’accompagnement en place et diffuser
    les bonnes pratiques tant auprès des services déconcentrés de l’Etat que
    des collectivités territoriales ;
  • mettre en oeuvre efficacement la procédure de domiciliation issue de
    la loi du 5 mars 2007 ;

S’agissant de la scolarisation des enfants du voyage

Pilotage

  • définir clairement au niveau national les orientations et les conditions
    générales de mise en oeuvre de la politique de scolarisation des enfants
    du voyage ;
  • établir au niveau déconcentré un programme annuel d’actions en
    faveur de la scolarisation des enfants du voyage ainsi qu’un bilan annuel et
    assurer leur large diffusion au sein de l’éducation nationale et auprès de l’ensemble des acteurs concernés ;
  • renforcer le pilotage et l’animation des services académiques, en particulier
    des centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants
    et des enfants du voyage et des coordonnateurs départementaux ;

La lutte contre la non-scolarisation et l’absentéisme des enfants du voyage

  • établir un état des lieux de la scolarisation des enfants du voyage dans chaque inspection académique, selon une méthodologie commune, et recenser dans ce cadre les refus de scolarisation d’enfants du voyage ;
  • assurer une coopération active et permanente entre les inspections académiques, les communes et les services sociaux afin de lutter contre la
    non-scolarisation et l’absentéisme et développer les actions de médiation
    menées auprès des familles ;

La prise en charge pédagogique des enfants du voyage

  • identifier et évaluer les différents dispositifs spécifiques de scolarisation
    existants et préciser leur articulation avec la scolarisation en classe ordinaire ;
  • mieux insérer le service public de l’enseignement à distance actuellement
    assuré par le centre national d’enseignement à distance dans la stratégie
    de scolarisation des enfants du voyage.
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