Les « sages » censurent a minima le statut des gens du voyage
Le Conseil constitutionnel a rendu, vendredi 5 octobre, une décision de censure partielle de la loi du 3 janvier 1969 relative à la circulation des gens du voyage. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, il avait à se prononcer sur la conformité à la Constitution des titres de circulation imposés aux personnes se trouvant en France depuis plus de six mois sans domicile fixe.
La haute juridiction a considéré que le principe du titre de circulation n’était pas contraire à la Constitution. Il a pour but de permettre « l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile » et n’institue « aucune discrimination fondée sur une origine ethnique ». Pour le Conseil, par conséquent, il n’y a pas lieu d’abroger.
En revanche, trois dispositions sont censurées. La loi de 1969 instaurait deux types de titre – livret ou carnet –, selon que les personnes disposent ou non de ressources régulières. Les personnes ne justifiant pas de revenus suffisants devaient faire viser leur titre, un carnet, tous les trois mois. Le Conseil a jugé cette différence de traitement, entre gens du voyage selon leurs ressources, contraire à la Constitution. Le Conseil a également abrogé la peine d’emprisonnement encourue par les itinérants en cas de manquement à leurs obligations. Enfin, il a censuré la nécessité de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour l’inscription sur la liste électorale. Ces dispositions prennent effet immédiat.
Cette décision du Conseil est la conséquence d’une saisine de Jean-Claude Peillex, un artisan forain du sud de la France. Elle ne devrait satisfaire que très partiellement les associations de défense des droits de l’homme, et les représentants des diverses communautés des gens du voyage, qui escomptaient une abrogation totale de la loi, jugée discriminatoire.
Un statut administratif fruit d’une filiation douloureuse
Depuis 1969, la loi impose à toute personne itinérante de plus de 16 ans, circulant sur le territoire français, d’être munie d’un « titre de circulation », livret ou carnet, imposés en plus des pièces d’identité. Ils doivent être régulièrement visés par la police.
Ce statut administratif particulier est le fruit d’une filiation douloureuse. La loi du 3 janvier 1969 découle en effet directement de celle du 16 juillet 1912, adoptée sous la IIIe République pour permettre la surveillance quotidienne des « nomades », notamment grâce au carnet anthropométrique. Inspiré par la méthode mise en place par Alphonse Bertillon dans les années 1880 pour ficher les criminels, ce document consigne des éléments comme la taille, la hauteur du buste, la longueur et la largeur de la tête, des oreilles, des pieds et des mains… Il est accompagné de deux photos, et des empreintes de tous les doigts de la main. Il doit être visé dans chaque commune à l’arrivée et au départ des Tsiganes. C’est sur la base de ce statut à part que Vichy puis les Allemands pendant l’Occupation interneront les nomades. Il ne disparaîtra qu’en 1969 et sera remplacé par les titres de circulation.
Lors de l’audition devant le Conseil constitutionnel, le 25 septembre, Me Olivier le Mailloux, l’avocat du plaignant, évoquant le passé sulfureux du texte, avait dénoncé une législation qui « porte les stigmates les plus humiliantes de notre histoire contemporaine ». L’avocat avait particulièrement sonné la charge contre la commune de rattachement obligatoire pour pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, une disposition contraire selon lui au « principe de libre circulation » de tous les citoyens de l’Union européenne. Me Le Mailloux s’est également insurgé contre l’obligation d’être rattaché à une commune où la population de gens de voyage ne dépasse pas 3 %. « Monsieur le Président, serait-il possible de nos jours d’envisager un tel quota pour tout autre catégorie de Français? », s’était-il enflammé. Il avait ainsi pointé l’existence de contraintes supérieures pour les gens du voyage à celles que peuvent connaître les sans-abri.
En réponse, le représentant du gouvernement, Xavier Pottier, avait rappelé que « le principe de rattachement d’une commune n’entraîne aucune obligation d’y résider réellement » mais qu’en revanche « la condition de domicile permet aux personnes de bénéficier de certains droits ou de certains devoirs », comme le droit de vote, le mariage, les obligations fiscales… Précisant que le quota de 3 % était susceptible de dérogation, il avait suggéré de le conserver. M. Pottier avait néanmoins dès cette audience envisagé l’abrogation totale de la loi, et demandé aux sages de prévoir dans ce cas un délai de transition vers les dispositifs de droit commun.
Cette loi avait déjà été contestée à plusieurs reprises par des parlementaires. Le 15 décembre 2010, Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, avait déposé une proposition de loi, paraphée notamment par François Hollande pour l’abrogation du statut spécial. Plus récemment, le 31 juillet, le sénateur UMP Pierre Hérisson, président de la commission nationale consultative des gens du voyage depuis 2005, avait à son tour déposé un texte de 18 articles, véritable remise à plat de l’ensemble des questions concernant le statut des gens du voyage, citoyens français. Parmi les propositions, figurait l’abolition des titres de circulation mais le maintien du principe de la commune de rattachement et du quota de 3 %. Le Conseil constitutionnel n’a clairement pas été aussi loin.