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Édition du 1er au 15 octobre 2024

le côté obscur de la rébellion syrienne

Un an et demi après le début de la révolte déclenchée par une contestation populaire qui s'est militarisée au fil des mois face à la répression du régime, les violences en Syrie ne connaissent aucun répit. «Le bilan des pertes humaines est ahurissant, les destructions atteignent des proportions catastrophiques et la souffrance de la population est immense», a déclaré le médiateur international Lakhdar Brahimi. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), plus de 26 000 personnes ont péri depuis mars 2011, près de 250 000 Syriens ont fui leur pays et 1,2 million ont été déplacés. Un éditorial du Monde s'alarme de ce qu'il qualifie de «crime d'État sans précédent». Bien qu'aucune perspective de règlement n'apparaisse, la plupart des observateurs sont convaincus que le régime d'Assad finira par tomber. Mais on peut s'interroger avec Akram Belkaïd sur ce qui va suivre ... car « au pire peut toujours succéder l'“encore pire” ».
[Mis en ligne le 11 septembre 2012, complété le 13]

De l’information et du côté obscur de la rébellion syrienne

par Akram Belkaid, Le Quotidien d’Oran, le 6 septembre 2010

En règle générale, et en matière d’actualité, l’être humain aime les histoires simples, celles où les frontières entre le mal et le bien sont clairement délimitées et où l’ambigüité et le clair-obscur sont réduits à la portion congrue. Mais l’une des règles majeures du (bon) journalisme est de se méfier des contes parfaits, des situations binaires où chaque partie (bonne et mauvaise) est bien identifiée. Malheureusement, c’est l’une des règles parmi les moins respectées en ces temps de course au clic et à l’audience, de « story telling » (l’art de raconter une belle histoire) et de simplification du message. Le cas de la guerre en Syrie et de la manière dont elle est couverte par une majeure partie de la presse occidentale, sans oublier les télévisions arabes Al-Jazeera et Al-Arabia, en sont une parfaite illustration. D’un côté, le mal absolu (le régime de Bachar al-Assad) et, de l’autre, le bien personnifié (la rébellion).

Commençons par l’indispensable préalable. Le régime syrien est une dictature sanguinaire et indéfendable. A son modeste niveau, le présent chroniqueur peut témoigner de la brutalité d’un système basé sur la peur et la délation et que seul égalait en horreurs son équivalent irakien de l’époque de Saddam Hussein (à côté de ces deux dictatures, celle, pourtant paranoïaque, de Zine el Abidine Ben Ali faisait pâle figure). Il ne s’agit donc pas d’introduire le moindre doute. Assad et sa clique terrorisent et tuent leur propre peuple. Il leur faudra donc répondre de leurs actes et il n’est pas acceptable qu’ils puissent se maintenir au pouvoir. Ceci étant précisé, faut-il pour autant restreindre l’information quand celle-ci ne colle pas à la grille de lecture manichéenne chère à Bernard-Henry Levy et à tous ceux qui, comme lui (y compris en Algérie…), n’en finissent pas d’en appeler à une intervention militaire ? C’est d’autant plus important que personne ne sait à quoi ressemblera l’après-Assad, les « bons » d’aujourd’hui pouvant facilement devenir les « méchants » de demain comme en témoignent certains signaux précurseurs inquiétants.

Ce qui se passe en Syrie est une guerre civile, certes asymétrique (aviation, chars et artillerie d’un côté, armes légères de l’autre), mais c’est tout de même un conflit où les deux parties ne font aucun quartier. Si les horreurs commises par l’armée et les forces de sécurité syriennes – sans oublier les milices de supplétifs – sont largement évoquées par la presse internationale, les informations, et mises en causes, sont plus rares concernant les actions controversées de la rébellion (comme en témoignent les commentaires lapidaires à propos des explosions à la voiture piégée dans Damas lesquelles ne sont rien d’autre que du terrorisme). Dans un article récent, le grand reporter Robert Fisk a mis en exergue quelques éléments troublants dont il est rarement question dans les grandes publications et encore moins sur les ondes d’Al-Jazeera1. Celui qui sillonne la région depuis plus de trente ans et, que l’on ne peut soupçonner de la moindre sympathie pour le régime d’Assad, rapporte ainsi que l’Armée syrienne libre (ASL) est parfois bien mieux équipée qu’on ne le croit et qu’elle est aussi composée de combattants étrangers ce qui conforte les informations selon lesquelles la Syrie est devenue le point de convergence de nombreux djihadistes.

Surtout, Fisk explique que les actions armées contre le régime obéissent parfois à des plans qui semblent soigneusement préparés. Tel fut le cas par exemple de l’attaque contre l’école d’artillerie d’Alep où sont stationnées des éléments chargés de la défense anti-aérienne du pays. Autre information fournie par le journaliste : les assassinats de pilotes de l’armée de l’air syrienne ont commencé bien avant que cette dernière n’intervienne contre les insurgés. Robert Fisk rappelle aussi que de nombreux scientifiques employés par le régime ont été assassinés depuis le début de la guerre civile. L’ASL est-elle infiltrée par des djihadistes ou, plus encore, ces derniers en constituent-ils l’ossature principale ? Cette armée a-t-elle reçu pour mission de préparer le terrain à une intervention aérienne étrangère en mettant hors de service l’aviation loyaliste ? Et quelles contreparties les pays du Golfe ont-ils exigé avant d’armer l’ASL ?

Ces questions sont légitimes. Les poser ne signifie pas que l’on défende le régime mais juste que l’on cherche à connaître la vérité sachant que cette dernière est, avec les populations civiles, l’une des premières victimes de la guerre. D’ailleurs, à propos de populations civiles, un autre article de Fisk a largement été passé sous silence par le rouleau compresseur médiatique anti-Assad. Il s’agit du massacre de Darraya où près de 300 personnes ont perdu la vie2. Bien loin de la version communément admise (et qui met en cause l’armée syrienne), il semble que la tuerie ait résulté d’un échange de prisonniers qui aurait mal tourné et que les deux parties seraient impliquées. Dire cela, le rapporter au public est une manière de se prémunir vis-à-vis des lendemains qui déchantent. La Guerre d’Espagne a montré que le « camp du bien », en l’occurrence celui des républicains, pouvait être capable lui aussi des pires exactions. Est-ce que cela discrédite la cause défendue par ceux qui, au final, ont été vaincus par les franquistes ? Evidemment non mais connaître la vérité, ne serait-ce au moins qu’une partie, est nécessaire.

Le régime d’Assad finira par tomber. La question est de savoir quand et comment. Surtout, on a le droit de s’interroger à propos de ce qui va suivre. Que la lutte armée soit menée, en partie, par des djihadistes armés par des pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar n’est pas forcément une bonne nouvelle. Quelle tendance va triompher au sein de la rébellion ? Les démocrates et autres forces dites laïco-progressistes ? Ou bien alors les partisans d’une théocratie qui, une fois installés au pouvoir, s’empresseront d’oublier leurs promesses de tolérance et de respect du pluralisme politique. Nul ne le sait mais une chose est certaine : au pire peut toujours succéder l’« encore pire ».

Akram Belkaïd

Un éditorial du Monde – dont on peut ne pas partager la conclusion – décrit une situation inimaginable : un régime en train de se livrer à la destruction méthodique du pays pour briser la résistance de son peuple.

Alep, un crime d’Etat sans précédent

[Editorial du Monde daté du 13 septembre 2012]

Depuis les hauteurs de la citadelle d’Alep, le visiteur pouvait lire hier, dans les mille rides de la ville, l’héritage d’un long passé et l’énergie du présent. C’est aujourd’hui la mécanique barbare du régime de Bachar Al-Assad, mise à nu, qu’il pourrait déchiffrer s’il pouvait y accéder sans le payer de sa vie. Dans quel autre pays une armée se livre-t-elle au bombardement méthodique de son propre peuple ? Où ailleurs qu’en Syrie voit-on des avions de guerre, que rien ne menace, hacher, pilonner, détruire patiemment, au coeur de leur propre pays, des quartiers qui refusent d’être sous la coupe du pouvoir ?

Pour son malheur, le marteau-pilon à l’oeuvre dans la grande ville du nord de la Syrie n’intéresse guère. Les raisons sont nombreuses. Lassitude face à l’accumulation de massacres. Résignation devant la paralysie de la diplomatie. Prise de distance enfin vis-à-vis de « printemps arabes » qui ont amorcé, après l’euphorie des soulèvements, de tortueuses transitions favorables pour l’instant à des conservatismes islamistes promptement assimilés à un intégrisme univoque et définitif.

Ce désintérêt coupable l’est plus encore compte tenu de ce que le massacre d’Alep révèle, et que racontent les reportages de nos envoyés spéciaux. A cela, plusieurs raisons. Le soutien populaire dont le régime continue de se prévaloir ? Obtenu sous la torture des bombardements multipliés jusqu’à ce que grâce soit demandée, pour qu’enfin cela cesse : la « contre-insurrection » syrienne ne gagne pas les coeurs, elle les raye de la carte. L’utilisation des Mig, sans la moindre objection de Moscou, ne laisse pas espérer la moindre évolution russe.

L’ingérence des pays arabes hostiles à la Syrie et qui profiteraient du soulèvement pour régler de vieux comptes et modifier à leur profit la carte des alliances régionales ? Mais si le matraquage d’Alep témoigne d’une chose, outre l’incapacité du régime d’imposer sa présence au sol, c’est bien du dénuement qui caractérise les hommes de l’Armée syrienne libre. Nulle trace, à Alep, des armements que procureraient l’Arabie saoudite et le Qatar, et qui justifieraient, au nom d’un très douteux équilibre des forces, les approvisionnements russes ou iraniens au profit du régime. Quant aux djihadistes étrangers attirés par le maelström syrien, si leur présence est avérée, elle semble rester marginale.

Ce que dit Alep est d’une grande et terrible simplicité. Il n’y aura pas de réponse autrement que militaire au défi militaire posé par le régime de Damas. Armement véritable de l’opposition, interventions ciblées, qu’elles soient effectives ou plus symboliques : le conflit n’offre guère d’autres pistes pour éviter le scénario du pire en train de s’écrire.

Quel est-il ? Le déchaînement toujours plus fort d’une armée dont le coeur, homogène, ne donne pas de signe d’usure ; une radicalisation toujours grande de rebelles qui vomissent les voeux pieux occidentaux et, au final, la constitution, du Liban à l’Irak, d’une zone grise en proie aux convulsions multiples.

  1. « The bloody truth about Syria’s uncivil war », The Independent, 26 août 2012.
  2. « Inside Daraya – how a failed prisoner swap turned into a massacre », The Independent, 29 août 2012.
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