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Édition du 15 décembre 2024 au 1er janvier 2025
Deux vétérans et des dizaines de descendants, à Sorgues le 6 septembre 2012.

Sorgues : hommage aux travailleurs indochinois immigrés de force

Après Arles en décembre 2009, la ville de Sorgues (Vaucluse) a rendu hommage le 6 septembre 2012 aux milliers de Vietnamiens qui y avaient été employés à partir de 1939 dans une poudrerie pour un salaire dérisoire et logés dans des camps particulièrement rudes. Le recours à des travailleurs et tirailleurs coloniaux pour participer à l'effort de guerre à partir de 1939 fait partie des événements longtemps occultés de notre mémoire nationale : en septembre 1939, 27 000 Indochinois ont été requis, la plupart de force, et envoyés en France – 7 000 tirailleurs et 20 000 travailleurs. Après la défaite, 5 000 d’entre eux ont été rapatriés mais les autres sont restés bloqués en France. 2 Deux anciens travailleurs indochinois nonagénaires et de nombreux descendants de ces hommes étaient présents lors de la cérémonie de Sorgues.
Deux vétérans et des dizaines de descendants, à Sorgues le 6 septembre 2012.
Deux vétérans et des dizaines de descendants, à Sorgues le 6 septembre 2012.

Les travailleurs indochinois de Sorgues sortent d’un long oubli

par Béatrice Roman-Amat | AFP – le 6 sept. 20121

La ville de Sorgues a commémoré jeudi des événements longtemps occultés par la mémoire nationale: le recours à partir de 1939 à des milliers d’Indochinois, employés dans une poudrerie pour un salaire dérisoire et logés dans des camps très rudes.

« Comme les trois quarts de ces hommes, mon père n’a jamais parlé, jamais raconté les conditions dans lesquelles il avait voyagé et travaillé », confie avec émotion Danielle Vo Van, fille d’un de ces « ouvriers non spécialisés » (ONS).
Coiffée pour l’occasion du traditionnel chapeau conique des paysans d’Asie du sud-est, cette Seine-et-Marnaise a retrouvé à Sorgues une trentaine d’autres descendants de ces hommes, venus de toute la France.

Jusqu’à 4.000 Indochinois ont vécu dans les trois camps que comptait cette petite commune, à quelques kilomètres au nord d’Avignon. Malgré leur statut de civils, ils y étaient gardés jours et nuit et encadrés par des officiers et fonctionnaires coloniaux à la retraite. Ces « ONS » avaient été enrôlés, souvent de force, dans des régions rurales du Tonkin, de l’Annam et de Cochinchine, pour participer à l’effort de guerre en France.

« On était obligés de venir mais ils ont dit qu’on était volontaires. Si je ne partais pas, on mettait mon père en prison », se souvient Thieu Van Muu, un des deux vétérans de cette période présents à Sorgues, aujourd’hui nonagénaire. Le vieil homme fait partie de cette minorité d’ouvriers -environ un millier sur les 20.000 venus en France- qui a choisi de rester dans le pays après la guerre, parce qu’il avait épousé une Française.

Son fils Jean-Luc raconte combien il a souffert du froid au cours de son séjour à Sorgues, privé de couvertures, marchant nu-pieds en plein hiver. « Les stèles n’ont pas d’importance: ce qui compte, c’est que les historiens s’emparent de cette période », estime-t-il.

Injustices Une plaque commémorative devait être dévoilée à l’entrée de l’ancien camp de Bécassières, en présence du maire (UMP) de Sorgues, Thierry Lagneau. L’élu reconnaît que cet hommage arrive bien longtemps après les faits, mais souligne que « le pire serait de ne pas mettre en lumière ce passage de notre histoire, même autant de temps après ».

Cette page d’histoire a commencé à sortir de l’ombre en 2009, lorsque la ville d’Arles a organisé un hommage aux Indochinois du « Service de la main d’oeuvre indigène », partis développer la culture du riz en Camargue quand la fin des hostilités avec l’Allemagne rendit inutile leur travail dans les usines d’armement. Les villes de Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône) et de Toulouse, puis Sorgues, lui ont emboîté le pas.

« Depuis trois ans s’est amorcé au sein des communes un mouvement très important de reconnaissance de cette page sombre et enfouie de l’histoire coloniale », souligne le journaliste Pierre Daum, auteur d’un livre de référence sur le sujet, Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952. Aujourd’hui, il souhaite que « des députés, des ministres, le président » s’emparent de cette question.

Pour l’historien Gilles Manceron, spécialiste de la colonisation française, cet épisode de notre passé colonial « montre que cette période a été une succession d’injustices à l’égard des “indigènes” ».

De nombreux ONS n’ont en effet réussi à regagner leur pays qu’en 1952, après de longues années d’exil forcé et sans emporter la moindre indemnisation.
La commémoration de Sorgues s’accompagne d’une exposition intitulée Indochine de Provence, le silence de la rizière et de la sortie d’un album collectif, Indochine de Provence, en octobre chez Actes Sud.

L’expo qui se souvient des 4 000 Indochinois « immigrés de force »

Après Fontaine-de-Vaucluse, Apt et Sault, et avant Avignon, où elle sera présentée à compter du 4 octobre à la Bibliothèque de l’Université, le pôle Camille-Claudel de Sorgues accueille jusqu’au 29 septembre une exposition intitulée Indochine de Provence, le silence de la rizière.

Elle présente l’histoire des travailleurs indochinois en deux volets : un volet national sur la base des panneaux constitués par Pierre Daum, journaliste au Monde Diplomatique à partir de son ouvrage Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), Actes Sud, 2009, ainsi qu’un volet départemental qui exposera les recherches conduites par le musée et qui mettent en lumière les traces de cette histoire en Vaucluse.

Une vidéo de l’hommage de Sorgues : http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/France-les-indochinois-du-Vaucluse/p-22809-France-travail-de-memoire-pour-les-Indochinois-de-Sorgues.htm.

  1. Référence : http://fr.news.yahoo.com/travailleurs-indochinois-sorgues-sortent-dun-long-oubli-175914416.html.
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