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Édition du 1er au 15 février 2025
Le square Marcel Bigeard (Photo Yves Dal Ballo et Dominique Bonvillain)

Bigeard à Aix-les-Bains : peut-on honorer la mémoire de celui qui a présenté la torture comme un “mal nécessaire” ?

Le nom de Marcel Bigeard reste associé aux épisodes les plus contestés des guerres coloniales menées par la France en Indochine et en Algérie – à commencer par la Bataille d'Alger. Ses cendres se trouvent finalement à Fréjus et on aurait pu en rester là. Mais le 23 juin 2012, le député-maire d'Aix-les-Bains a tenu à inaugurer un “square Marcel Bigeard”. Deux ans plus tard, cette décision continue à provoquer des protestations parmi la population. Il est effectivement difficile d'oublier, par exemple, le sort de Maurice Audin, mort durant sa détention à Alger en juin 1957.
[Mis en ligne le 21 juin 2012, mis à jour le 25 juin 2014]

Communiqué de presse

Bruxelles, le 19 juin 2012

Bigeard : « la torture en Algérie était un mal nécessaire »

Le Dauphiné Libéré nous apprend dans son édition du 15.06.2012 que le maire UMP d’Aix-les-Bains Dominique Dord inaugure, le 23 juin, un square portant le nom du général Bigeard.

Attribuer le nom de Bigeard à un square n’est pas un évènement anodin en cette 50ème année de l’indépendance de l’Algérie. Alors que ce cinquantenaire doit être le moment opportun pour rapprocher les peuples Français et Algérien, de cicatriser les blessures de cette période, la municipalité d’Aix-les-Bains ravive la douleur des victimes de Bigeard et la colère de celles et ceux qui en France se sont opposés à ses méthodes.

Rappelons pour mémoire que Bigeard a été l’un des protagonistes de la bataille d’Alger en 1957. Il se livra à la torture, une pratique qu’il qualifia en juillet 2000 de «mal nécessaire». Le recours fréquent à la torture – supplice de la baignoire et utilisation de la gégène (décharges électriques) – avait été dénoncé en France par les intellectuels puis par quelques rares militaires, comme le général Jacques Pâris de la Bollardière, Compagnon de la Libération. Mais contrairement à Massu, qui a regretté l’usage de la torture, Bigeard n’avait émis aucun remord. « Je ne regrette rien ! » avait-il déclaré en 2007 à un quotidien Suisse.

Dans ces conditions, attribuer le nom de Bigeard à un square et diffuser l’information 2 jours avant les élections législatives, auxquelles Monsieur Dord était candidat, sonne comme un signal aux tenants de l’Algérie française et de l’extrême droite. Cela constitue une provocation à l’endroit des défenseurs des droits de l’homme et du principe des peuples à disposer d’eux-mêmes. Aix-les-Bains mérite mieux que cela, ville de Savoie, région qui fut un haut lieu de résistance et de défense des valeurs de la République. Monsieur Dord se serait distingué en honorant une femme ou un homme de Paix. Je déplore qu’il ait préféré un tortionnaire.

Malika Benarab-Attou

Eurodéputée Les Verts/ALE

Aix-les-Bains. La mairie va inaugurer un square Marcel Bigeard qui ne fait pas l’unanimité

[ Le Dauphiné libéré, le 15 juin 2012]

Le square Marcel Bigeard (Photo Yves Dal Ballo et Dominique Bonvillain)
Le square Marcel Bigeard (Photo Yves Dal Ballo et Dominique Bonvillain)

L’adoption du nom “Marcel Bigeard” pour un square d’Aix-les-Bains n’avait pas fait l’unanimité lors du conseil municipal du 26 mars dernier. L’opposition avait relevé que “la réputation de cet ancien combattant était entachée de zones d’ombre lors des combats en Algérie” et avait voté contre cette délibération.

Le maire, Dominique Dord (UMP) avait répondu que les associations patriotiques avaient donné leur accord et que Marcel Bigeard demeurait une figure de l’Armée française.

L’inauguration aura donc lieu et l’Isérois Marcel Bernard, président de la section des Allobroges 1 ère classe Roch Charmet de l’UNP (Union nationale des parachutistes) sera présent samedi 23 juin avec sa section.

« Toutes les associations patriotiques d’Isère comme de Savoie sont invitées », précise Dominique Bonvillain, membre de l’UNP et secrétaire général de la Fname (Fédération nationale des anciens des missions extérieures).

La cérémonie se déroulera au monument aux morts d’Algérie, Maroc et Tunisie, au port d’Aix-les-Bains, au bout de l’avenue du Grand Port, à 9 heures (défilé à 8 h 30) et sera présidée par le général Piquemal, en présence du député-maire de la ville et de la fille du général Bigeard, Marie-France.

Le général Bigeard: on a les héros qu’on peut…

par Jack Dion, Marianne le 24 Juin 20101

L’hommage rendu au général Bigeard après sa mort laisse un goût amer, quand on connaît les prises de positions du personnage sur la torture lors de la guerre d’Algérie.

Certes, ce n’est pas au moment où un homme public décède qu’il convient de lui demander des comptes sur son passé, quand bien même s’agirait-il de l’un des plus célèbres gradés de l’armée française, civilement recyclé comme député, et qui connut même un passage éphémère au gouvernement. Cependant l’hommage auquel a eu droit le général Bigeard laisse pantois quiconque connaît un tant soi peu ses états de sévices pendant la guerre d’Algérie. ?

A l’annonce de sa mort, le Président de la République a salué un « chef charismatique ». Son conseiller spécial, Henri Guaino, a surenchéri en déclarant : « En Algérie il a accompli la mission qu’on lui avait confiée. Je pense qu’il l’a fit là aussi avec beaucoup d’intelligence, beaucoup d’humanité ». Tous ceux qui sont passés entre les mains des paras de Bigeard pendant la bataille d’Alger ont pu apprécier la part d’ « humanité » du personnage. Passons.

Dans la foulée, le Premier ministre François Fillon a parlé d’un « soldat de légende ». Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice, a évoqué un « grand serviteur de l’Etat ». Nadine Morano, secrétaire d’Etat a la famille, a évoqué un « grand Français ». L’ex président Giscard d’Estaing, qui l’avait fait Grand Croix de la Légion d’honneur, a rendu hommage à « l’une des dernières figures de grand soldat aux exploits et à la bravoure légendaires ». Paris Match salue « le centurion de la République ». Fermons le ban.

Certes personne n’a oublié que le général Bigeard se distingua par son courage sur nombre de terrains de guerre, aussi douteux fussent-ils, notamment à Dien Bien Phu, pendant la guerre d’Indochine. Mais il est étrange d’oublier l’autre face du personnage, celle du tortionnaire. Rares, en effet, sont ceux qui rappellent que le général Bigeard fut un de ceux qui légitimèrent la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie, n’hésitant pas à joindre le geste à la parole. A côté des méthodes utilisées à l’époque, les pratiques des soldats américains en Irak, qui ont fait scandale dans le monde entier, relèvent du conte de fées.

Certes, comme tout soldat, le général Bigeard n’a fait qu’appliquer les consignes de ses supérieurs. Les responsables politiques de l’époque se lavèrent les mains des méthodes employées pour rétablir l’ordre colonial, alors que nombre d’entre eux se réclamaient de la gauche. Pourtant, à l’instar du général de Bollardière, il en est qui préfèrent sauver leur honneur en dénonçant l’inacceptable, quitte à ruiner leur carrière. Au moins ont-ils pu ensuite se regarder dans la glace sans jamais être tenté de l’essuyer, pour reprendre une formule de Jules Renard.

Même le général Massu, autre grand nom de la sale bataille d’Alger, a fini par reconnaître que la France avait pratiqué la torture à grande échelle, allant jusqu’à présenter ses « regrets ». Le général Bigeard, lui, n’a jamais franchi ce pas. Il s’est toujours refusé au moindre début d’autocritique vis-à-vis des méthodes menées au nom de ce qu’il appelait son « métier de flic ». Quand il évoquait la torture, celle qui fut dénoncée par Henri Alleg, l’ex directeur d’Alger Républicain dans son livre La question, c’était pour dire qu’il s’agissait d’un mal nécessaire et d’un passage (à tabac) obligé.

De la part du général de la gégène, on peut comprendre ce silence. Mais il est plus étrange de le voir aujourd’hui salué comme un héros, un homme sans peur et sans reproche, alors qu’il symbolise l’une des pages les plus sombres de l’histoire nationale.


COLLECTIF SAVOYARD CONTRE LES RACISMES ET LA HAINE2

Communiqué de presse

Chambéry, le 22 juin 2014

Le Collectif Savoyard contre les Racismes et la Haine créé dans les années 80, constitué d’associations, de syndicats et de partis politiques se mobilise notamment lors de la journée internationale contre la torture. Le Collectif appelle un rassemblement ce jeudi 26 juin à 19 heures à Aix les Bains au parking du Grand Port pour exiger la fin de la dénomination du square dédié au général Bigeard, haut responsable qui déclara la torture comme un » mal nécessaire « .

A Aix les Bains, en 2012, alors que la majorité UMP au gouvernement négligeait de marquer le cinquantième anniversaire des Accords d’Evian ; la municipalité aixoise choisissait à la veille des législatives, de flatter un certain électorat en inaugurant le 23 juin 2012, un square dédié au Général Bigeard.

Acteur de premier plan des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, c’est pendant cette dernière que le Général Bigeard couvrit de son autorité des méthodes indignes qu’il a justifiées jusqu’à ses derniers jours. La torture, qu’il qualifie d’ « interrogatoires musclés » ainsi que l’élimination physique des personnes arrêtées (les « crevettes-Bigeard »), il ne les a jamais reniées les présentant comme  » un mal nécessaire « selon sa déclaration de juillet 2000 au quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace.

Deux ans après cette sinistre opération, le Front National, dont on connaît bien les déclarations du chef historique : «J’ai torturé parce qu’il fallait le faire » (Jean-Marie Le Pen – 9 novembre 1962, revue Combat), compte deux conseillers municipaux à la mairie d’Aix-les-Bains, dont l’un n’est autre que l’ancien 1er adjoint de Dominique Dord …

La Révolution française a aboli la torture et plusieurs conventions internationales signées par notre pays l’interdisent. Passer sous silence ces crimes de guerre serait les accepter. Aussi, nous exigeons la fin de la dénomination dudit square.

Gérard Ravier,

Président du Collectif Savoyard contre les Racismes et la Haine

04 79 28 34 25

  1. Jack Dion est directeur adjoint de la rédaction de Marianne. Référence : http://www.marianne2.fr/Le-general-Bigeard-on-a-les-heros-qu-on-peut_a194411.html
  2. Maison des Syndicats, 77 Rue Ambroise Croizat, BP 307 73003 CHAMBÉRY
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