Histoire de la France en Algérie (1830-1962) :
une exposition à ne pas manquer
Le musée de l’Armée propose une étonnante exposition sur l’histoire complexe de la relation entre la France et l’Algérie.
Cette exposition titrée Algérie, 1830-1962 avait tout pour provoquer des étincelles ! Évoquer (au musée de l’Armée !) l’histoire de l’Algérie française, de 1830 à 1962, en donnant la parole aux parties opposées et en n’éludant aucune des polémiques qui ont accompagné 130 années de colonisation, c’était déjà une gageure. Quant à le faire l’année du cinquantenaire de l’indépendance algérienne, cela aurait pu passer pour une provocation, et c’est bien ainsi que l’avaient ressenti ceux qui – notamment au ministère des Affaires étrangères – voulurent un temps faire capoter cette initiative. Mais le directeur du musée de l’Armée, le général Christian Baptiste, porteur de ce projet, a su vaincre les réticences.
De fait, une visite récente nous a convaincu que c’est de tout le contraire qu’il s’agit. Organisée par le musée de l’Armée, aux Invalides, cette exposition accueille plusieurs centaines de visiteurs par jour. Parmi ceux-ci, de nombreux anciens d’Algérie, des deux bords, des familles accompagnées d’enfants parcourent dans une ambiance sereine les allées menant des vitrines qui présentent des pièces parfois exceptionnelles aux quarante écrans projetant films d’époque et images d’archives.
Torture, cadavres, exécutions
Arrêtons-nous un instant sur celles-ci, qui ne craignent pas d’appuyer là où ça fait mal : cadavres de soldats français mutilés par les combattants algériens, torture ou exécutions sommaires de ces derniers par l’armée française, il fallait oser ! Dans l’article qu’il consacre à la violence dans la guerre d’Algérie, publié dans le catalogue de l’exposition*, l’historien Jacques Frémeaux explique qu’il « serait sans doute excessif et injurieux pour la très grande majorité » d’accuser l’ensemble de l’armée française d’avoir eu recours à ces pratiques. Il regrette cependant le trop faible nombre de ceux qui « ont voulu les dénoncer publiquement. Les uns souhaitent éviter de donner des armes à la propagande adverse. D’autres craignent de porter atteinte à l’honneur ou à l’unité de l’armée. »
La violence des indépendantistes n’est pas absente de l’exposition et Frémeaux rappelle que le terrorisme, les mutilations, les enlèvements et la liquidation des harkis se sont déroulés dans un « cortège d’atrocités qui a laissé les souvenirs les plus traumatisants ». Pour autant, l’exposition présente sans passion, à partir de documents et de pièces historiques, les points de vue français et algérien.
Points de vue
On ne saurait cependant s’attarder sur l’ultime épisode de cette tumultueuse histoire sans revenir sur la prise d’Alger en 1830, qui fut suivie en 1841 de la défaite d’Abd el-Khader face au général Bugeaud – dont la célèbre casquette figure dans l’exposition -, mais aussi d’une farouche résistance, marquée par la défaite française de Sidi-Brahim en 1845. Jusqu’à ce que les militaires français cèdent la place aux administrateurs civils en 1871, date marquant la fin de la conquête.
De cette épopée, des années qui l’ont suivie, de l’imbrication des Algériens dans l’histoire de France – y compris durant les deux guerres mondiales -, de la complexe singularité sociale, économique et politique de cette colonisation exceptionnelle, l’exposition ne cache rien. Pas même la période contemporaine, puisque des acteurs de cette histoire peu banale ont été invités à s’exprimer devant micros et caméras. Venus de part et d’autre de la Méditerranée, ils disent leur part de cette vérité complexe, qui ne pouvait être univoque.
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Une question au directeur du musée de l’Armée
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Jean Guisnel : Le sujet demeure brûlant. Comment avez-vous vaincu les oppositions ?
Général Christian Baptiste : J’attendais qu’elles viennent d’anciens militaires français, d’associations d’appelés ou d’anciens combattants algériens. J’imaginais que ces personnes pourraient craindre que la mémoire soit dévoyée, que le voile se déchire ou que se brise la chape de plomb. Pour cette raison, nous les avons informés en amont de notre démarche. Nous les avons reçus au musée, leur avons parlé des historiens qui nous ont accompagnés, et dans quel esprit : aucune occultation, ni aucun appesantissement pour ne pas blesser inutilement. Pas de prêt-à-penser, pas de message univoque… Mais des faits, des cartes, des films, des enchaînements historiques, pour que le visiteur se fasse son avis. Nous avons aussi proposé que des acteurs de la période 1954-1962, des deux côtés, s’entendent poser les mêmes questions, qu’ils aient le même temps pour témoigner. Tout cela a fait que nos interlocuteurs ont été rassurés. Tout en précisant dès le départ qu’ils ne pourraient pas intervenir sur notre travail historique, élaboré avec des historiens de renom dont Jean-Charles Jauffret, Jean Delmas et Maurice Vaïsse.