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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
Un bidonville parisien en 1960

la LDH de Toulon, le 17 octobre 2011 : “indignons-nous … engageons-nous !”

Un ancien habitant d'un bidonville de Bezons – il avait 8 ans en 1961 – a écrit son témoignage dont voici un large extrait4 :
«Le 17 octobre 1961, les Algériens ont voulu exprimer pacifiquement pour dire halte aux discriminations, aux rafles, aux ratonnades, mais aussi à la misère subie. «50 ans après, je n’arrive pas à comprendre pourquoi la France et l’Algérie n’arrivent toujours pas à se réconcilier et à construire un avenir commun, sans pour autant oublier ce qui s’est passé. Après d’énormes déchirures, d’autres peuples ont réussi à marcher ensemble, alors pourquoi ne pas y parvenir nous aussi ? «Pour moi, il y a des points communs entre le 17 octobre 1961 et la Journée mondiale du refus de la misère. En effet, il s’agit de deux combats pour la liberté, le bien-être, la volonté de vivre décemment et le refus de la violence subie. La misère génère aussi une violence. Par exemple quand après une vie de travail, on se retrouve sans emploi et pas assez d’argent pour manger, payer son loyer et faire vivre sa famille. «Par ailleurs, le 17 octobre 1961 et la Journée mondiale du refus de la misère sont deux manifestations pacifiques, mais il n’empêche que tout en étant pacifiques, elles portent en elles une forme de violence car en exprimant son refus, quelque part, cela est perçu comme une provocation par les personnes qui nous contraignent à vivre dans de telles conditions.»
Voila pourquoi la section de Toulon de la Ligue des droits de l'Homme s'est associée au Comité du refus de la misère pour commémorer ensemble les massacres du 17 octobre 1961, et voici le texte de son intervention, le 17 octobre 2011, sur le parvis des droits de l'Homme à Toulon.
[Mis en ligne le 17 octobre 2011, mis à jour le 19]

Un bidonville parisien en 1960
Un bidonville parisien en 1960

Indignons-nous … engageons-nous !

Merci au Comité du 17 octobre du refus de la misère d’avoir accepté que la section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme apporte son “témoignage” au milieu des récits de souffrances humaines. Mais la souffrance engendrée par la misère ne doit pas rendre insensible aux autres souffrances, et en particulier aux souffrances infinies ressenties dans le passé par ceux qui vivaient dans des conditions misérables et ont été victimes d’un quasi-pogrom.

Il y a 50 ans, en octobre 1961, le préfet de Police de la Seine, Maurice Papon, avec l’accord du gouvernement, imposa un couvre-feu visant exclusivement tous les Français musulmans d’Algérie (FMA). Ce couvre-feu discriminatoire, raciste, entraîna, à l’appel de la Fédération de France du FLN, une réaction pacifique sous la forme d’une grande manifestation dans les rues de Paris. Au soir du mardi 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens (sans doute autour de 30 000), hommes, femmes et enfants manifestèrent donc pacifiquement sur les grandes artères de la capitale pour rappeler leur droit à l’égalité et à l’indépendance de leur pays.

Il s’ensuivit une répression féroce. Ce jour-là, et les jours suivants, des milliers de ces manifestants furent arrêtés (plus de 11 000), emprisonnés, torturés et, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police – de nombreux manifestants furent jetés à la Seine après avoir été tabassés.

Cette répression fut soigneusement dissimulée à l’opinion publique durant de nombreuses années. Selon la version officielle, il n’y eut que deux morts ce jour-là … Pas d’enquête digne de ce nom, aucun responsable ne fut jugé, aucune sanction ne fut prononcée…

Depuis une trentaine d’années, grâce aux travaux des historiens, la vérité commence à apparaître. Pour les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster, les massacres d’Algériens à Paris, en octobre 1961, constituent « dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, la répression d’État la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subie une manifestation de rue désarmée »1.

Malgré cela, la vérité n’a toujours pas été reconnue en France. Il faut que nous sortions du silence sur nos guerres coloniales – en particulier la guerre d’Algérie – et sur le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés. Comprenez-moi bien : nous ne prêchons pas la repentance pour notre passé colonial ! Développer un sentiment de culpabilité vis à vis d’actes pour lesquels nous n’avons aucune responsabilité personnelle n’aurait pas de sens. Pour paraphraser Ezéchiel : nos dents ne doivent pas être agacées par le fait que nos pères ont mangé des raisins verts2.

En revanche il nous appartient de reconnaître la vérité, comme le « collectif pour la vérité sur le 17 octobre 1961 » le demande depuis vingt ans en commémorant chaque année cette tragédie occultée. Cette année 2011, marque le 50e anniversaire de ces événements : il serait temps que les plus hautes autorités de la République reconnaissent que les massacres commis par la police le 17 octobre 1961 et les jours suivants contre une manifestation pacifique constituent un crime d’Etat. La reconnaissance de la vérité contribuerait à rendre un ultime hommage à ceux qui sont morts ainsi sans sépulture et à leur famille, et à redonner leur dignité à tous ceux qui se sentent solidaires des manifestants du 17 octobre 1961. Comme Pierre Bourdieu l’a écrit (2001) cette reconnaissance pourrait également servir de « mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste» – à l’image de ce qui s’est passé chez nos voisins allemands après la deuxième guerre mondiale. Rappelons d’ailleurs que le président Chirac était sorti grandi de la reconnaissance en 1995 de la responsabilité de l’Etat dans la rafle du Vél’ d’hiv.

Ces manifestants victimes d’une brutalité qu’ils ne méritaient pas, d’où venaient-ils ? La majorité d’entre eux habitaient des bidonvilles de la banlieue parisienne. Une enquête officielle effectuée en 1965 en a dénombré 119, regroupant environ 4100 familles et 47 000 personnes : Champigny-sur-Marne, Nanterre, Saint-Denis, La Courneuve, Gennevilliers, Noisy-le-Grand… La France des années 1950, en pleine croissance économique avait favorisé l’immigration des Portugais, des Espagnols et des Maghrébins afin de fournir une main d’œuvre bon marché notamment à l’industrie du bâtiment et à celle de de l’automobile. Beaucoup de ces migrants n’ont pas eu d’autre possibilité que de s’installer dans des baraquements en périphérie des grandes villes. Sans eau courante, infesté de rats, le bidonville est fait de baraques en tôle et bois. Les descentes de police y sont fréquentes.

En 1956 un aumônier est arrivé dans le bidonville de Noisy-le-Grand : le père Joseph Wresinski. « Ce jour-là, je suis entré dans le malheur », écrira-t-il plus tard. « Ce n’est pas tellement de nourriture, de vêtements qu’avaient besoin tous ces gens, mais de dignité, de ne plus dépendre du bon vouloir des autres. » Avec ces familles Joseph Wresinski créera une association qui deviendra « Aide à Toute Détresse » (ATD).
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Ces bidonvilles ne disparaîtront qu’au milieu des années 80. Mais la misère n’a pas disparu et cela nous indigne. L’Algérie est indépendante mais le délit de faciès existe toujours et cela nous indigne également.

Engageons-nous donc contre la misère et les discriminations !

Nous vous invitons tous à venir assister jeudi prochain 20 octobre, à la projection du film documentaire Ici on noie les Algériens, 17 octobre 1961 de Yasmina Adi qui sera projeté au Royal à 20 heures, et à participer à la discussion qui suivra, l’occasion de nous indigner… et de nous engager !

Pour terminer, nous observerons une minute de silence en hommage à tous ceux qui ont disparu le 17 octobre 1961.

Toulon, le 17 octobre 2011

La section de Toulon de la LDH

Le bidonville de Nanterre
Le bidonville de Nanterre
  1. Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961, Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, Paris, 2008, 542 p, cité par Gilles Manceron, dans sa préface au livre de Marcel et Paulette Péju, Le 17 octobre des Algériens, éditions La Découverte, septembre 2011, 14 euros.
  2. «Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants en ont eu les dents agacées» (Ezechiel,XVIII,2).
  3. Joseph Wresinski (1917 – 1988) – éléments biographiques :

    – A partir de 1954, le père Joseph Wresinski a été aumônier d’un bidonville de Noisy-le-Grand, où il crée une association qui deviendra Aide à Toute Détresse (ATD).

    – 1979 : il devient membre du Conseil économique et social.

    – 11 février 1987 : adoption par le Conseil économique et social de son rapport intitulé « Grande pauvreté et précarité économique et sociale ».

    – 17 octobre 1987 : répondant à l’appel de Joseph Wresinski, plus de 100 000 personnes expriment la nécessité de s’unir pour faire respecter les droits de l’homme en se rassemblant autour du parvis du Trocadéro à Paris, à l’endroit où fut signée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A cette occasion, le texte suivant a été gravé sur une dalle:

    « Le 17 octobre 1987, des défenseurs des droits de l’homme et du citoyen de tous pays se sont rassemblés sur ce parvis. Ils ont rendu hommage aux victimes de la faim, de l’ignorance et de la violence. Ils ont affirmé leur conviction que la misère n’est pas fatale. Ils ont proclamé leur solidarité avec ceux qui luttent à travers le monde pour la détruire.

    Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

    – 22 décembre 1992 : les Nations Unies reconnaissent le 17 octobre comme Journée mondiale du refus de la misère.

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