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La France et la guerre au Cameroun (1957-1963)

Noël Mamère, député EELV de Gironde, vient de demander au ministre des Affaires étrangères, « s'il confirme que la France a bien mené une guerre au Cameroun entre 1957 et 1963, comme l'écrivent les responsables militaires français de l'époque eux-mêmes ». Nous saurons dans les semaines qui viennent si Alain Juppé adopte une attitude un peu plus ouverte à la recherche de la vérité historique que celle exprimée par François Fillon. Lors de son séjour à Yaoundé en 2009, le Premier ministre français avait balayé d’un revers de main la question de la responsabilité française dans la mort de nationalistes Camerounais, préférant n’y voir qu’une « pure invention ». Le pouvoir en France et au Cameroun, où l’héritier de l’indépendance confisquée, Paul Biya, postule pour un nouveau septennat en octobre prochain, semble toujours refuser de voir cette histoire en face. La vérité autour de cette guerre secrète, menée par la France pendant des années contre les indépendantistes camerounais de l’Union des populations du Cameroun, sera-t-elle un jour officiellement reconnue ?
Pour Gilles Manceron, «plus de cinquante ans après la pseudo-indépendance accordée au Cameroun, cette histoire [doit] être revisitée».

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Kamerun !
Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971



Manuel DOMERGUE, Jacob TATSITSA, Thomas DELTOMBE
1

éd. La Découverte, janvier 2011, 25 €, 742 pages

Question écrite

posée par Noël Mamère,

publiée au J. O. le 12 juillet 2011 2


M. Noël Mamère attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les évéements survenus au moment de l’indépendance du Cameroun. Dans un ouvrage récent, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), deux journalistes français et un historien camerounais ont dénoncé la guerre coloniale et néocoloniale menée par la France contre les nationalistes de l’union des populations du Cameroun (UPC).

Dans ce territoire sous tutelle dont l’ONU avait confié l’administration à la France et au Royaume-Uni jusqu’à son indépendance du 1er janvier 1960, les archives militaires françaises ainsi que de nombreux témoignages montrent que les gouvernements français de l’époque ont mené de violentes opérations de répression contre un parti interdit en 1955 et contre les populations civiles soupçonnées de le soutenir. Bombardements, tortures, exécutions extrajudiciaires, levée de milices, guerre psychologique, regroupement forcé de populations… Les méthodes employées sont celles qui avaient cours au même moment pendant la guerre d’Algérie. Leur emploi s’est poursuivi de longues années après l’indépendance du Cameroun, l’armée française continuant à commander, influencer et former l’armée camerounaise.

Il lui demande donc s’il confirme que la France a bien mené une guerre au Cameroun entre 1957 et 1963, comme l’écrivent les responsables militaires français de l’époque eux-mêmes. Interrogé à ce sujet en 2009 à Yaoundé, le Premier ministre François Fillon a parlé de  » pures inventions « . Il souhaite savoir si cette appréciation est la position officielle de la France au sujet de cette période douloureuse de l’histoire franco-camerounaise.

Plus de cinquante ans après la pseudo-indépendance accordée au Cameroun, une histoire qui mérite d’être revisitée

par Gilles Manceron, historien3

Avec force faits et arguments, ce livre
Kamerun !, Une guerre cachée aux origines de la Francafrique, 1948-19714 – démontre à travers le cas du Cameroun que, contrairement au discours officiel sur la «décolonisation pacifique» de l’Afrique, la France n’a pas quitté ce continent en laissant ses anciennes colonies devenir indépendantes. Mais, faisant mine de partir pour mieux rester, elle a mis en place partout où elle le pouvait des régimes qu’elle contrôlait. Quitte à mener, comme au Cameroun, une guerre coloniale qui a fait des dizaines de milliers de morts. Une guerre qui a opposé les autorités françaises au parti indépendantiste de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Le mérite de ce livre est de restituer les étapes de cette guerre, qui a commencé en même temps que celle d’Algérie et avec les mêmes méthodes, et qui a duré jusqu’en 1971. Une guerre totalement effacée, en France, de la mémoire officielle, et qui est encore un sujet tabou au Cameroun, où elle enfanta une terrible dictature.

Pendant quatre ans, les auteurs, deux journalistes, Thomas Deltombe et Manuel Domergue, et un enseignant camerounais, Jacob Tatsitsa, ont enquêté en France et au Cameroun. Ils ont retrouvé de nombreux témoins : militaires français et camerounais, combattants nationalistes, rescapés des massacres. Dans les archives, ils ont consulté des milliers de documents qui leur ont permis de reconstituer les faits. Notamment comment ont été assassinés, l’un après l’autre, les leaders de l’UPC: Ruben Um Nyobé en 1958, Félix Moumié en 1960 et Ernest Ouandié en 1971. Comment l’administration et l’armée française et ses exécutants locaux ont mené, pendant des années, une effroyable répression : bombardement des populations, escadrons de la mort pratiquant des assassinats ciblés, lavage de cerveau pour retourner les rebelles faits prisonniers, et torture généralisée.

Plus de cinquante ans après la pseudo-indépendance accordée au Cameroun le 1er janvier 1960, cette histoire mérite d’être revisitée. C’est celle de la naissance de la Françafrique, qui a persisté sous les différents présidents de la Ve République. Et aussi celle d’un régime «ami de la France» en guerre perpétuelle contre son propre peuple, d’une dictature qui a duré vingt-deux ans sous Ahmadou Ahidjo, et de près de trente sous Paul Biya, dont ce livre décrit la genèse et la mise en place. Travail indispensable pour que les Français comprennent mieux ce que masquait le consensus colonial, et que les Camerounais puissent connaître la fin de ce régime et accéder pour de bon à l’indépendance et à la démocratie.


  1. Une présentation de 4257.

    Les auteurs :

    Thomas Deltombe, journaliste indépendant, est l’auteur de L‘islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005 (La Découverte, 2005).

    Manuel Domergue est journaliste au magazine Alternatives économiques.

    Jacob Tatsitsa, enseignant, est doctorant en histoire à l’université de Yaoundé-I.

  2. La question écrite N° 114033 de Noël Mamère a reçu, le 13 décembre 2011, une réponse exprimée dans le plus pur style “langue de bois” : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-114033QE.htm.
  3. Source : Note de lecture, publiée dans Hommes et Libertés N° 154, avril mai juin 2011
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