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Édition du 1er au 15 décembre 2025

France Culture : les fouilles archéologiques à Thiaroye

Le 1er décembre 1944, sur la base militaire de Thiaroye près de Dakar, l’armée française massacre des tirailleurs africains venant de différentes colonies françaises. Plus de 80 ans après, des fouilles archéologiques ont débuté pour éclaircir les zones d’ombres qui planent encore sur cette affaire.

Avec

  • Armelle Mabon, enseignante-chercheur à l’université de Bretagne Sud
  • Moustafa Sall, professeur assimilé en archéologie et ethno-archéologie et chef du Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Ecouter « l’entretien archéologique »


Le récit d’un massacre

Après avoir été fait prisonniers dans des Frontstalags, ces camps de prisonniers allemands sur le territoire français, pendant près de 4 ans, des tirailleurs africains prennent le chemin du retour à l’automne 1944. Ces hommes, venant de différentes anciennes colonies françaises, aujourd’hui des pays comme le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée ou le Burkina Faso, se retrouvent le 5 novembre sur les côtes bretonnes prêts à embarquer pour Dakar et à rentrer chez eux. Une question reste néanmoins en suspens : ils n’ont pas été payés pour leurs indemnités de service militaire. Sur les 2.000 soldats prêts à embarquer ce jour-là, 315 décident de rester à quai pour demander leur dû. C’est donc près de 1.600 à 1.700 hommes qui embarquent sur le Circassia, direction Dakar après une escale à Casablanca.

Une fois débarqué le 21 novembre et amenés sur la base militaire de Thiaroye à 15 km de Dakar, la colère gronde chez les soldats, refusant de prendre le train pour rentrer chez eux tant qu’ils n’auront pas été payés de leur solde pour leur service rendu à la France pendant la guerre. Mais la situation s’envenime et au matin du 1er décembre, les soldats français sur place se réunissent sur le site de Thiaroye et ouvrent le feu sur les tirailleurs à l’aide d’automitrailleuses. Ce sont plus de 500 cartouches tirées ce jour-là d’après les archives militaires, pour un bilan officiel estimé de 35 à 70 morts.

Photo prise le 4 décembre 1939 de tirailleurs sénégalais à l'instruction dans un camp d'entraînement dans les colonies françaises en Afrique. Dans le cadre de la nouvelle procédure des Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel a décidé le 28 mai 2010, de censurer partiellement des dispositions relatives aux pensions des anciens combattants des ex-colonies afin que celles-ci soient identiques pour les bénéficiaires français et étrangers résidant dans le même pays.
Photo prise le 4 décembre 1939 de tirailleurs sénégalais à l’instruction dans un camp d’entraînement dans les colonies françaises en Afrique. Dans le cadre de la nouvelle procédure des Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel a décidé le 28 mai 2010, de censurer partiellement des dispositions relatives aux pensions des anciens combattants des ex-colonies afin que celles-ci soient identiques pour les bénéficiaires français et étrangers résidant dans le même pays. – ARCHIVES /AFP

Des zones d’ombre

Le récit officiel de l’État et de l’armée française est vivement remis en question par les autorités sénégalaises et différents travaux d’historiens. Les événements du 1er décembre sont présentés comme une réponse à une mutinerie des tirailleurs. L’armée assure aussi avoir payé ces hommes et maintient que ce n’est qu’acculées le matin du 1er décembre que les forces françaises se seraient retrouvées dans l’obligation de tirer sur les présumés mutins.

Pourtant les travaux des historiens montrent une toute autre version des faits. Une préméditation des faits par les gradés français présents sur place. Des manœuvres administratives pour rendre illégitime les revendications des tirailleurs. Et surtout un bilan macabre largement sous-estimé. Les réponses de l’armée restent aujourd’hui insuffisantes, refusant de délivrer bon nombre d’archives permettant d’élucider le déroulé des événements.

L’archéologie comme arbitre

Face à ce manque de coopération de l’armée française, l’État sénégalais a pris les devants et à décidé en février 2025 la mise en place d’un programme de fouilles sur les sites du massacre. La première campagne de fouilles a débuté cet été et les premières conclusions ont été intégrées au livre blanc remis aux autorités sénégalaises le 16 octobre dernier. Cette première campagne de fouilles s’est déroulée sur le site du cimetière militaire de Thiaroye là où 202 tombes blanches ont été érigées, 7 sépultures ont été fouillées sur un lot en comprenant 34. Les premiers résultats indiquent que les sépultures sont postérieures aux inhumations. Plusieurs traces matérielles confirment que les individus enterrés à cet endroit sont des militaires. Enfin, chaque squelette présente des traces différentes de brutalités. Blessures par balles mais aussi côtes manquantes ou crânes fracassés. Plusieurs d’entre eux présentent des traces de chaînes.

Vue générale d'un site de fouilles archéologiques au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar, le 23 octobre 2025.
Vue générale d’un site de fouilles archéologiques au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar, le 23 octobre 2025. – PATRICK MEINHARDT / AFP

Il s’agit de résultats préliminaires pour le moment. Il est impossible de conclure sur le déroulé des événements. Les fouilles vont se poursuivre dans un premier temps sur le lot déjà fouillé cet été puis sur le site de l’ancienne base militaire de Thiaroye, emplacement supposé des fosses communes du massacre. Des analyses ADN et balistiques sur les squelettes d’ores et déjà retrouvés restent à réaliser pour approfondir les connaissances sur les individus retrouvés dans le cimetière. Si les fouilles archéologiques se poursuivent, des zones d’ombres importantes pourraient être éclairées, notamment sur le bilan humain du massacre.

Enfin le travail de mémoire se poursuit, le dernier représentant des familles des victimes, Biram Senghor, âgé de 86 ans, continue le combat pour la reconnaissance de l’ampleur du massacre ainsi que pour l’ouverture des archives militaires pouvant élucider les interrogations sans réponse de l’affaire. Les découvertes archéologiques à venir pourraient faire bouger les choses du côté de l’État français.

Biram Senghor, fils du fusilier sénégalais Mbap Senghor, pose pour un portrait devant sa maison à Diakhao le 22 novembre 2024. Biram Senghor est le fils unique de Mbap Senghor, tué le matin du 1er décembre 1944 alors qu'il réclamait son dû après avoir combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père faisait partie des dizaines de fusiliers massacrés par l'armée coloniale française en 1944 à Thiaroye, près de Dakar. Depuis plus de 50 ans, Biram Senghor, Sénégalais âgé de 86 ans, réclame des excuses et des réparations à l'approche du 80e anniversaire du massacre.
Biram Senghor, fils du fusilier sénégalais Mbap Senghor, pose pour un portrait devant sa maison à Diakhao le 22 novembre 2024. Biram Senghor est le fils unique de Mbap Senghor, tué le matin du 1er décembre 1944 alors qu’il réclamait son dû après avoir combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père faisait partie des dizaines de fusiliers massacrés par l’armée coloniale française en 1944 à Thiaroye, près de Dakar. Depuis plus de 50 ans, Biram Senghor, Sénégalais âgé de 86 ans, réclame des excuses et des réparations à l’approche du 80e anniversaire du massacre. – SEYLLOU / AFP

Pour aller plus loin

Thiaroye, mémoires d’un massacre (2024, Journal du CNRS, Maxime Lerolle)

Sénégal : des squelettes et des balles exhumés à Thiaroye, dans le cimetière des tirailleurs africains (2025, Le Monde)

Au Sénégal, des fouilles à Thiaroye pour élucider le massacre de tirailleurs par l’armée coloniale française (2025, Le Monde)

Des fouilles au Sénégal pour élucider le massacre des tirailleurs sénégalais en 1944 (2025, RTBF)

Le massacre de Thiaroye (2024, Le passager Clandestin, Armelle Mabon)

Les références musicales

Le générique du début : Glue par Bicep

Le générique de fin : Mésange rouge par Kick et Flûte

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