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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2025

Une résolution du RN sur l’accord franco-algérien de 1968 ancrée dans le passé colonial

Le juriste Hocine Zeghbib analyse la résolution démagogique du RN adoptée par l'Assemblée et le politiste Paul-Max Morin dénonce son racisme anti-algérien.

Pour Hocine Zeghbib, juriste, maître de conférence honoraire et chercheur associé au CREAM, Faculté de Droit de l’Université de Montpellier, le vote par l’Assemblée nationale d’une résolution présentée par le Rassemblement national demandant l’annulation de l’accord franco-algérien de 1968 est la manifestation d’une « nostalgie de la perte ni tout-à-fait digérée ni encore moins acceptée de l’Algérie française ». Et sa portée juridique réelle est particulièrement douteuse. Nous ajoutons à son analyse, avec l’accord de son auteur, la tribune dénonçant l’adoption de cette résolution publiée dans Libération par le politiste Paul-Max Morin.

L’extrême droite acclame son succès à l’Assemblée Nationale le 30 octobre 2025

La résolution du RN sur l’accord franco-algérien de 1968 est ancrée dans le passé colonial

par Hocine Zeghbib

Le 30 octobre, l’Assemblée nationale a adopté par 185 voix contre 184 la résolution du RN visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. Jubilation dans les rangs de ce parti qui y voit une « victoire historique » d’autant qu’elle a été obtenue grâce au renfort de 63 voix venues essentiellement de LR, Horizons et UDR. L’absence de plus des deux tiers des élus macronistes, dont le président de groupe de Gabriel Attal, ajoutée au ralliement des droites a offert sur un plateau d’argent à l’extrême-droite son unique victoire parlementaire sous la Ve République.

L’unique victoire parlementaire de l’extrême droite sous la Ve République

Lors de la même séance, le RN en escomptait une autre sur le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Mais là, la machine s’est grippée. Comme pour souligner une dissonance entre deux votes qui portent pourtant sur un même domaine, la prétendue maîtrise des flux migratoires. Le premier vote ne vise en effet que les Algériens – plutôt l’Algérie ; le second, de portée plus générale, vise toutes les nationalités. Les droites ont apporté sans flancher leur soutien actif quand il s’est agi des immigrés algériens mais ont fait défaut lorsqu’on ne visait plus uniquement la cible préférée du RN. Le retour du refoulé – la plaie non refermée de la perte de l’Algérie française – alimenté par la « providentielle » détérioration des relations avec l’Algérie depuis au moins 2024 et à l’exacerbation de laquelle la droite n’est pas moins étrangère, a renforcé l’inscription de la résolution du RN dans une atmosphère politique résolument tournée vers le passé colonial.

Ce qui n’a pas échappé à certains analystes qui n’ont pas manqué de mettre en exergue les raisons à peine cachées de ce « vote historique » qui a vu se réaliser la jonction, au sein-même de l’Assemblée nationale, de l’extrême-droites avec les autres droites : l’esprit revanchard d’une partie de la classe politique qui, désormais sans aucune retenue, reprend à son compte le discours du FN-RN. Faut-il le rappeler, il est en effet de notoriété publique que, depuis sa création en 1972 par notamment d’anciens dirigeants et membres de l’OAS, le FN – et aujourd’hui son avatar, le RN – s’est construit sur la haine des immigrés et parmi eux les immigrés algériens en particulier. Il n’a eu de cesse de dénoncer les relations avec l’Algérie notamment par la remise en cause constante de l’accord de 1968, comme s’il était le seul traité de ce type signé par la France, lui attribuant le développement continu de la présence immigrée algérienne porteuse d’insécurité et de criminalité.

Devenu obsessionnel au cours du temps, son discours a fini par infuser plus largement et par réveiller, chez une partie de la classe politique que l’on découvre aujourd’hui de proportion non-négligeable, la nostalgie de la perte ni tout-à-fait digérée ni encore moins acceptée de l’Algérie française d’autant que ce positionnement, opportuniste pour certains et principiel pour d’autres, satisfait aussi les appétits électoralistes de tous. Il est par suite dans la logique des choses qu’une majorité de députés de la droite dite républicaine se soient engagés avec ferveur dans le vote d’une résolution présentée par le RN comme l’alpha et l’oméga de la manifestation de la puissance de la France face aux « humiliations » que lui ferait subir quotidiennement l’Algérie. Et en finir avec l’accord de 1968, c’est tout simplement reprendre son rang de puissance tutélaire d’antan.

Et voilà qu’autour d’une fable – l’accord de 1968 vite présenté comme responsable du développement exponentiel de l’immigration algérienne[1] à laquelle, de surcroît, il octroie des avantages exorbitants, c’est-à-dire pour le sens commun des privilèges que rien ne saurait donc justifier – se construit un référentiel qui submerge, par médias complaisants interposés, une opinion publique de plus en plus persuadée qu’immigration et délinquance, particulièrement d’origine algérienne, sont les deux faces de l’insécurité au quotidien – ou plutôt, du sentiment d’insécurité que s’emploient à ériger en critère d’analyse les « experts de plateau-télé ».

Les trois modifications de cet accord en 1985, 1994 et 2001

Discours simpliste qui ne laisse pas prise à l’analyse fine qui montre que subsistent certes quelques « avantages » malgré les trois grandes modifications de l’accord de 1968 – en 1985, 1994 et 2001- mais ils s’accompagnent de « désavantages » nés du gel depuis 2001 des droits propres aux Algériens, notamment ceux liés à l’immigration à de travail[2]

Mais peu importe la réalité car – le trumpisme rampant venant vivifier un terreau déjà bien riche – ce qui marque davantage les esprits, c’est ce qui est affirmé par la personne qui délivre le message – vrai ou faux, peu importe – que l’on a été préparé à recevoir à longueur de « plateaux-télé » et autre presse écrite de la toile médiatique tissée par Bolloré et divers artisans de l’entreprise à visée hégémonique de la droitisation de la société et de la vie politique françaises. La vérité du message se confond dès lors avec les qualités prêtées à la personne du messager. Et, par effet de contagion, cela ne manque pas d’infuser dans la société tout entière.

Un exemple parmi d’autres : certaines chaines de télévision, privées mais hélas aussi publiques, répètent que les Algériens peuvent s’installer en France avec un simple visa de court séjour de moins de 90 jours. Et c’est repris sans filtre par de grands quotidiens d’information. Énoncé de la sorte cela laisse croire, dans un monde désormais hostile à la libre circulation des personnes et fermant irrémédiablement la porte à toute consécration du droit d’immigrer, qu’il suffit à un Algérien d’entrer en France muni d’un visa de tourisme valable 90 jours pour obtenir ensuite un titre de séjour permanent, sachant que pour s’installer durablement en France il faut y entrer muni dans la plupart des cas d’un visa long séjour obtenu avant l’arrivée ! Présenter ainsi les choses rend toute hésitation à condamner l’accord suspecte de complaisance. Et, par suite, la conclusion va de soi : pareil passe-droit n’est pas acceptable et donne raison à ceux qui défendent l’égalité, vers le bas pour le RN et les droites cela va sans dire, vis-à-vis des autres étrangers qui, eux, doivent obtenir d’abord un visa long séjour pour pouvoir résider ensuite en France.

Mais c’est là une présentation biaisée. La réalité est que l’accord de 1968 exige un visa long séjour, obtenu des services consulaires avant l’arrivée en France, pour les étudiants, les salariés, les travailleurs indépendants, les travailleurs saisonniers ou même – cela reste très théorique – les travailleurs frontaliers. Il en est de même pour les soins médicaux – si le traitement nécessite plus de 90 jours -, pour visiteur familial – titre de séjour de 1 an sans droit au travail-, artistes, sportifs, bénévoles, volontaires, professions réglementées – médecin, avocat, etc. Il est vrai que jusqu’en 1994, n’était en effet exigé qu’un visa court séjour pour toutes ces catégories. Depuis cette date, le sort de ces catégories est aligné sur le droit commun … sauf que le visa long séjour délivré aux Algériens ne vaut pas, comme pour les autres étrangers, titre de séjour pour la première année : arrivés en France, les Algériens doivent, dans les deux mois, faire les démarches administratives pour obtenir le titre de séjour correspondant au motif de leur séjour.

Certes, des situations dans lesquelles un visa court séjour suffit pour s’installer durablement en France existent bel et bien mais sont en nombre limité : conjoint (e) de Français(e) – cela vaut entre autre aussi pour les Tunisiens -, conjoint (e) de « scientifique », exceptionnellement aussi pour « raison humanitaire ou médicale » ou pour régularisation de séjour après 10 ans de présence constante ou après 15 ans si on a été étudiant durant cette période. La régularisation par le travail – les métiers en tension – est fermée aux Algériens, étudiants inclus.

Une autre catégorie a pris de l’importance depuis que l’immigration pour cause économique est devenue exceptionnelle pour les Algériens – elle ne représente en 2024 que 9,2 % du total des titres de premier séjour délivrés aux Algériens contre 37,7 % pour les Tunisiens et 29,5 % pour les Marocains – c’est celle du regroupement familial et de toutes les situations qui lui sont rattachées. Pour cette catégorie, en effet, un visa de court séjour suffit pour s’installer en France là où il faut un visa de long séjour pour les autres étrangers. C’est dans ce domaine que se concentrent désormais la majeure partie des titres de séjour délivrés aux Algériens, ce qui ajoute aux critiques, l’immigration algérienne apparaissant, au fil du temps, comme essentiellement de type familial. Tout cela est connu depuis maintenant au moins 24 ans – dernière modification de l’accord en 2001- et ne manque pas de questionner à juste titre sur les effets pervers de l’involution de l’accord de 1968 sur le volet immigration pour cause économique.

Rompre toute relation avec l’Algérie ?

Du reste, une autre « vérité » – ou doit-on dire « post-vérité » – est en train de s’installer. On entretient le flou en parlant de plus en plus non pas de « l’accord de 1968 » mais des accords franco-algériens. Ce glissement sémantique s’est concrétisé tout récemment à l’occasion du rapport Rodwell du 15 octobre dernier. Ce rapport – qui devait être rendu public en juin mais ne l’a été qu’en octobre à la demande semble-t-il du Quai d’Orsay alors en processus de reprise de dialogue avec les autorités algériennes – superpose les effets de deux textes bien différents, celui de 1968 traitant du séjour et de la circulation et la convention franco-algérienne de sécurité sociale de 1980 qui règle les relations, sur la base de la réciprocité, entre les caisses algérienne et française de sécurité sociale. Conjuguant les deux textes, le rapport en tire des conclusions et un chiffrage du coût de … l’accord de 1968 – jusqu’à 2 milliards d’euros par an en y incluant même les dépenses relevant du logement social, descendants bi-nationaux occupants inclus, chiffrage d’ailleurs mis en doute par ses propres auteurs – Bonne aubaine pour le RN qui s’est empressé de brandir ce rapport comme preuve à charge contre l’accord de 1968 et au-delà pour instiller dans les esprits l’idée que la France est perdante dans sa relation avec l’Algérie.

Le discours est ainsi en train de prendre une autre tournure qui sert le discours à peine dissimulé visant à rompre toute relation avec l’Algérie. Une certaine opinion publique y semble prête si l’on se fie à certains sondages commandités et abondamment commentés par des chaines de télévision privées complaisantes mais pas seulement par elles. Pour l’heure, les sondages n’y feront rien : le vote obtenu le 30 octobre par le RN n’oblige pas en droit l’exécutif français et l’Assemblée ne peut lui en faire injonction sous peine de violer la Constitution.

Au plan politique, les choses vont autrement. Le Premier ministre Sébastien Lecornu s’est empressé de réagir et a opté pour la renégociation de l’accord de 1968. La partie algérienne, par la voix de son ministre des Affaires étrangères se dit dans l’attente, sans vraiment la souhaiter, d’une démarche officielle française. Interpelé directement par Marine Le Pen à l’Assemblée nationale qui le presse de dénoncer l’accord de 1968, Sébastien Lecornu écarte l’abrogation et réaffirme sa préférence pour la renégociation et demande au ministre en charge du dossier, Jean-Noël Barrot, d’entamer les démarches avec l’Algérie dans le cadre de la Déclaration d’Alger signée en 2022 à l’occasion de la visite du Président Macron.

La renégociation d’un traité obéit à une procédure particulière qui peut être longue à mettre en route avant d’entrer dans le vif du sujet. Tout comme elle peut conduire à l’enlisement et aux décisions radicales qui pourraient en découler. Ce qui est certain, c’est qu’il est temps que soient dépassées les velléités incendiaires de nostalgiques en mal de revanche sur un passé qui ne reviendra pas. France comme Algérie ont trop à perdre à s’attarder sur un énième épisode d’une querelle politicienne sans fond ni avenir. Puisse la grâce accordée à Boualem Sansal à la demande du Président allemand en indiquer le chemin.


[1] La part des Algériens dans l’immigration en France représente certes 12,2%. Mais par comparaison, celle des Marocains est de 11,7 % alors qu’ils ne bénéficient pas d’un accord identique et que leur immigration est plus tardive – Insee, 2024

[2] Leur sont fermées de droit les mentions « passeport talent », « talent-famille », « talent-chercheur », « talent-porteur de projet » et « talent-salarié qualifié » qui permettent l’obtention de titres de séjour pluriannuels tout comme leur est fermée la régularisation du séjour au titre des « métiers en tension »


Texte du RN adopté à l’Assemblée nationale : «Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait les Algériens pour que vous les détestiez autant ?»

Par Paul-Max Morin. Tribune publiée par Libération, le 30 octobre 2025

Source

A une voix près, le 30 octobre 2025, l’Assemblée nationale a fait tomber ce qui jusqu’ici tenait encore debout : la digue qui maintenait l’extrême droite et ses idées mortifères à distance du pouvoir. Cent quatre-vingt-cinq voix contre cent quatre-vingt-quatre. A une voix près, l’Assemblée a glissé dans une compromission historique avec l’extrême droite. Et elle l’a fait sur un symbole lourd, brûlant, celui de l’Algérie et des Algériens.

Cette résolution, proposée par le Rassemblement national dans sa niche parlementaire, visait à dénoncer les accords de 1968 qui organisent la circulation et le séjour des Algériens en France. Rien de plus qu’un texte racoleur, sans portée législative, mais tout de même un texte qui frappe là où le RN frappe toujours : sur les Algériens, leur histoire, leur place dans la nation. Et cette fois, Les Républicains, Horizons, une partie d’Ensemble, à une voix près, ont offert au Rassemblement national une victoire politique inespérée, un sceau républicain sur une obsession raciste.

Ce refrain rance de la haine

Ce vote n’est pas anodin. Il révèle une continuité historique glaçante : le Rassemblement national n’a jamais rompu avec ses origines, celles des terroristes de l’Algérie française, des partisans de la colonisation, de ceux qui ont toujours cherché à prolonger la domination coloniale par la stigmatisation des immigrés. En s’en prenant encore une fois aux Algériens, ce parti rejoue le refrain rance de la haine : faire croire que l’immigration algérienne serait une menace, alors qu’elle est l’une des racines mêmes de la société française contemporaine.

Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait les Algériens pour que vous les détestiez autant ?

L’immigration algérienne, loin d’être un «problème», est constitutive de ce que nous sommes. Elle a bâti les routes, les usines, les voitures, les villes où grandissent les enfants de France – y compris ceux qui aujourd’hui, à l’Assemblée, nous ont trahi en mêlant leur voix aux infâmes. Ces hommes et ces femmes venus d’Algérie depuis le début du XXe siècle ont nourri l’économie, l’histoire et la culture française. Sans eux, pas de France telle qu’on la connaît aujourd’hui. En votant ce texte, les députés de droite et du centre ont renié cette vérité.

Ce vote dit le vide historique et politique de ce centre mou, prêt à tout pour un coup tactique, un frisson médiatique, pour une illusion d’autorité. Ce réflexe pavlovien de courir derrière l’extrême droite, de penser qu’on la combat en la copiant, qu’on la neutralise en validant ses obsessions.

A chaque fois, c’est la même erreur, la même lâcheté. Ces députés ont préféré céder à la petite peur plutôt qu’à la grande histoire. Ils ont oublié que la République ne se défend pas par l’imitation, mais par la résistance morale. Ils ont oublié que le front républicain n’était pas une posture partisane, mais une ligne de vie.

A une voix près, les députés ont validé la fiction d’une France qui pourrait nier sa part algérienne. A une voix près, ils ont blessé des millions de Françaises et de Français qui portent l’Algérie dans leur chair, dans leurs familles, dans leurs prénoms. Ils sont des millions et ils ne vous pardonneront pas. Eux savent que la Méditerranée n’est pas une frontière, mais un miroir.

Une provocation, un déni de l’histoire, un geste de mépris

Et cette blessure, l’Algérie la ressentira. Ceux qui ont voté ce texte mais qui s’indignent de la détérioration du dialogue franco-algérien, les mêmes qui signent des tribunes pour libérer Boualem Sansal, devront assumer ce paradoxe : on ne tend pas la main à une nation qu’on humilie le matin. L’Algérie ressentira ce vote comme une provocation, un déni de son histoire, un geste de mépris.

Et elle aura raison.

La France ne se grandira pas en refoulant sa part algérienne, en érigeant des frontières symboliques là où il faudrait des ponts. Ce qui nous lie à l’Algérie ne se réduit pas à un traité administratif. C’est une histoire commune – faite de guerres et de blessures mais c’est aussi une réalité sociale contemporaine faites de familles, d’amitiés, de musique, de langues, de films, de prénoms, de mémoire et d’amour. Des millions d’enfants, de petits-enfants d’immigrés, de pieds-noirs, de harkis, de soldats, de juifs d’Algérie, vivent aujourd’hui cette histoire comme une richesse.

Ce sont eux l’avenir. Ce sont eux la vérité de ce pays. Ce que l’Assemblée vient de voter est une trahison de ce que nous sommes.

L’histoire retiendra ce vote.

Elle retiendra les noms de ceux qui, à une voix près, ont fait basculer la République du côté de la haine facile, petite, ridicule.

Et quand viendra le temps, car il viendra, où dans les livres d’histoire nous étudierons cette séquence comme un tournant, vos noms seront ceux de la honte.

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