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Édition du 1er novembre au 15 novembre 2025

Rassemblement à Paris devant la brasserie Lipp pour les 60 ans de l’enlèvement de Ben Barka

Le 29 octobre 2025, pour les soixante ans de l’enlèvement à Paris de Mehdi Ben Barka, a eu lieu un rassemblement boulevard Saint-Germain, devant la brasserie Lipp, sur les lieux de son enlèvement par des policiers français qui a été suivi de son assassinat.




L’intervention de Bachir Ben Barka, au nom de l’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante

29 octobre 2025

Mesdames, messieurs, chers amis,

Au nom du SNES-FSU et de l’Institut Mehdi Ben Barka – mémoire vivante, je vous adresse mon très chaleureux salut en vous remerciant pour votre présence chaque année aussi nombreuse en réponse à l’appel à ce rassemblement de la vérité, de la justice et de la mémoire. J’adresse mon salut aux présidents et responsables d’associations signataires de cet appel d’être parmi nous, ainsi qu’à Matthias Tavel, député de Loire-Atlantique et à toutes les personnes amies. Nous sommes très heureux d’accueillir cette année beaucoup de jeunes de la génération de GenZ212-France, symbole de la combativité et du renouvellement générationnel du combat pour la démocratie, la justice sociale et la dignité.

Comme chaque année, se tient à Rabat un rassemblement similaire organisé par la coordination des associations des droits humains au Maroc, en commémoration de la disparition de Mehdi Ben Barka en 1965 à Paris et de Houcine El Manouzi en 1972 à Tunis. L’une des revendications de ce rassemblement est l’activation des mécanismes nationaux indépendants en vue de l’établissement de la vérité sur les disparitions forcées au Maroc. C’est l’occasion pour moi de saluer les familles de disparus qui se battent, parfois depuis des dizaines d’années, pour connaître le sort de leurs proches. Certaines nous font l’honneur d’être présents chaque année ici pour renforcer notre combat commun ; j’adresse un salut fraternel à la famille El Manouzi et à la famille El Ouassouli.

En effet, encore une fois, nous voici réunis dans le cadre de cette journée du disparu, pour exiger la vérité sur le sort de nos proches, un droit qui nous est dû ; pour réclamer que justice leur soit rendue et pour réaffirmer notre détermination à combattre l’impunité dont continuent de jouir les responsables de la disparition forcée.

Le rassemblement de cette année coïncide avec la commémoration du soixantième anniversaire de l’enlèvement et de la disparition de Mehdi Ben Barka, la figure emblématique du combat pour la liberté, la démocratie, la justice sociale, la dignité du citoyen et la solidarité entre les peuples.

Il est l’exemple symbolique des mécanismes de la disparition forcée avec son cortège de secrets, de manipulation de l’opinion et d’obstruction du travail de la justice au nom de la raison d’Etat.

Ces obstacles qui empêchent l’établissement de la vérité permettent toutes les accusations infâmantes pour salir la mémoire de Mehdi Ben Barka ; ils permettent toutes les opérations de tromperie de l’opinion par la multiplication des récits les plus sensationnels, annonçant dans un battage médiatique la fin du mystère mais, en fin de compte, n’apportant aucune preuve, aucun élément de réponse à la question primordiale que nous posons depuis soixante ans : comment est mort Mehdi Ben Barka ? Où est son cadavre ? Des questions que nous ne cessons de poser depuis 60 ans ; avec toujours la même tristesse et la même émotion mais toujours avec plus de colère.

Je veux parler du livre qui vient de paraître. Alors que l’ouvrage circule depuis plusieurs jours dans certaines rédactions, l’éditeur, dans sa grande générosité et pour permettre à la famille, premièreconcernée, d’en connaître enfin le contenu, m’a fait livrer un exemplaire par coursier hier à 18h, à peine quelques heures avant sa mise en vente. C’est dire l’estime portée à la famille de la victime de l’un des plus terribles crimes politiques de la Vème République.

Dans une version précédente, il y a vingt-cinq ans, le cadavre de Mehdi était transporté au Maroc pour être dissout dans une cuve d’acide. Aujourd’hui, la cuve en inox est devenue une simple baignoire, l’acide s’est transformé en soude caustique et les restes du cadavre auraient été enterrés par Dlimi dans une « forêt de l’Essonne » non localisée.

Que croire ? Qui croire ?

Les conclusions de ces versions sont identiques : il n’y a plus de corps, le lieu de la sépulture demeure inconnu. Il faut arrêter la recherche de la vérité. Comme on dit prosaïquement : circulez, il n’y a plus rien à voir !

Cher-ère-s ami-e-s,

Depuis notre rassemblement de l’année dernière, aucune avancée significative n’est intervenue dans le dossier judiciaire toujours en instruction à Paris. Le seul élément encourageant est la nomination d’une nouvelle juge qui est déterminée à faire progresser la recherche de la vérité. À condition bien sûr que le sacro-saint secret-défense en France cesse de s’ériger en obstacle au nom de la raison d’Etat et à condition que les autorités marocaines cessent d’ignorer les Commissions rogatoires internationales des juges français, comme elles le font depuis plus de vingt ans. Il est urgent de pouvoir interroger les témoins encore en vie et de mener des fouilles au PF3. C’est indigne de la part des deux Etats de « jouer la montre », attendant la disparition physique de ceux qui connaissent une part de vérité et attendant la disparition matérielle des preuves. Les témoignages au Maroc du général Benslimane et de Miloud Tounsi sont importants.

Des fouilles dans la prison extra-judiciaire, le PF3, permettraient de s’assurer si les corps de 3 des quatre truands français n’y sont pas enterrés et, comme cela a été dit, si la tête de Mehdi Ben Barka ne s’y trouve pas également. Le refus des autorités marocaines peut laisser croire que la peur de la vérité est toujours dominante ainsi que la volonté de continuer à assurer l’impunité aux responsables du crime, à leurs complices et à leurs commanditaires.

Soixante ans après le crime, le temps n’est-il pas enfin arrivé de mettre fin aux blocages de toutes sortes au nom de la raison d’Etat des deux côtes de la Méditerranée. N’est-il pas temps de cesser de se cacher derrière le secret-défense qui, dans une affaire de crime politique, ne sert qu’à protéger les dérapages de l’Etat et de ses services et assurer l’impunité aux exécutants. C’est le constat établi pr le Collectif secret-défense, un enjeu démocratique qui regoupe près de vingt affaires bloquées par le secret-défense. Affaires d’assassinats politiques comme celui de Robert Boulin, Henri Curiel, Dulcie September, Thomas Sankara ou le juge Bernard Borrel, mais également crimes coloniaux comme Thiaroye ou Sétif et aussi dérapages non reconnus comme le chalutier Bugaled Breizh, la maison ds têtes à Toulon ou l’enlèvement et l’assassinat au Mali de Ghislaine Dupont et Claude Verdlon.

Pour nous, famille de victime, cette volonté d’imposer le silence, surtout de la part d’Etats se disant de droit, est humainement insupportable et politiquement inacceptable.

Enfin, nous estimons que contribuer à faire connaître la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka sera un indicateur de la capacité des deux Etats français et marocain àassumer les dérapages de leurs services et cesser de masquer les dérives de ces derniers, voire parfois couvrir les crimes dans lesquels ils sont impliqués.

Il y a soixante ans, Mehdi Ben Barka était attiré ici pour discuter du projet d’un film sur la décolonisation devant être projeté à l’ouverture de la Tricontinentale, intitulé Basta ! On sait maintenant que c’était un piège. Aujourd’hui, nous devons crier Basta ! à la raison d’Etat, Basta ! aux mensonges et aux manipulations de l’opinion.

Pour échapper aux enfumages, rien de mieux que la lecture de l’excellante BD – on dit maintenant roman graphique : « Ben Barka la disparition » de David Servenay et Jacques Raynal. Vous y découvrir le parcours humain et politique de mon père ainsi qu’une présentation de l’Affaire et du combat pour la vérité.

Mesdames, messieurs, cher-ère-s ami-e-s,

Depuis deux ans, on a assisté à la mise en échec de l’ordre international par la guerre génocidaire menée par Israël contre la population palesinienne de Gaza. On peut même parler de la lâcheté des puissances occidentales et de l’immense majorité des régimes arabes incapables d’empêcher le massacre en direct de dizaines de milliers de civils, femmes, enfants, adultes et viellards, la destruction de toute une région, ses habitations, ses écoles, ses universités, ses hôpitaux et ses lieux de culte. Heureusement, les immenses manifestations populaires à travers le monde ont permis que s’exprime de manière éclatante notre part d’humanité, la solidarité entre les peuples et la dénonciation des complicités criminelles. Au Maroc, malgré les massacres, sous couvert de la normalisation de la honte, la coopération politique, militaire, économique, et sécuritaire s’est poursuivie avec l’Etat sioniste, facilitant même l’acheminement des armes vers Israël, ce que refusait courageusement le gouivernement espagnol. Cette soumission à la volonté sioniste est intolérable et insoutenable. Elle doit cesser.

Le cessez-le-feu – ou il faudrait dire « feu le cessez-le-feu », les massacres israéliens ayant repris – violé régulièrement et impunément par Israël, indispensable pour l’arrêt du calvaire de la population civile et la reprise de l’aide humanitaire ne suffit sûrement pas à garantir une paix durable. Les crimes de guerre et les atrocités commises ne devraient pas rester impunis, des sanctions politiques, économiques, culturelles et sportives doivent être appliquées, les résolutions de la Cour pénale internationale et de la Cour internatinale de justice doivent être respectées et exécutées. Dans la reconstruction de Gaza, il faut permettre aux palestiniens de gérer eux-mêmes leurs affaires sans la tutelle américano-britannique, au moment où ils ont besoin de la protection internationale qui leur a manquée durant la guerre génocidaire d’Israël. Autant de questions qui exigent une extrême vigilence de toutes les forces de paix et de progrès.

Nos rassemblements à Paris et à Rabat, se tiennent alors que la situation sociale au Maroc est particulièrement préoccupante. Déjà en mars 1965, les collégiens avaient manifesté en masse pour protester de leur exclusion du système scolaire, bientôt rejoints par les adultes, victimes de la politique antipopulaire et antisociale du régime. La répression fut féroce, faisant des centaines de morts. Soixante ans plus tard, depuis fin septembre, face à la permanence de la dégradation des services publics essentiels, la jeunesse marocaine de la GenZ 212 manifeste pacifiquement pour réclamer un meilleur système éducatif, un réel système de santé, plus de dignité et la fin de la corruption, réclamant le départ de l’actuel gouvernement. La répression policière a été la première réponse à ces légitimes revendications. Trois décès sont à déplorer dans descirconstances qu’il est crucial d’éclauircir. La répression judiciaire a pris la relève, multipliant les condamnations par centaines à de lourdes peines de prison et de fortes amendes. Cette situation intolérable doit cesser, la voix de la jeunesse doit être écoutée. Au-delà des rallonges budgétaires qui sont actuellement proposées, ce sont les réformes structurelles mises en avant dans les revendications de la jeunesse de GenZ 212 qui doivent être lancées.

C’est la démonstration éclatante de la dimension visionnaire de l’action de Mehdi Ben Barka qui avait, il y a soixante ans, anticipé les besoins d’un Maroc moderne avec des idées progressistes centrées sur l’égalité et la justice sociale, l’éducation comme pilier du progrès, et l’émancipation des peuples par la solidarité internationale. Que de temps perdu !

Mesdames, messieurs, cher-ère-s ami-e-s,

Notre combat pour la vérité, la justice et contre l’impunité se poursuit. Il est partie intégrante du combat de toute la société pour la démocratie, la justice sociale et la dignité. Ce combat a besoin d’un climat social apaisé et de toutes les forces vives pour le faire aboutir. Il nécessite la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion, celle des jeunes arrêtés et condamnés dans le cadre des dernières manifestations ainsi que l’arrêt de toutes les poursuites engagées contre les journalistes et les blogueurs et l’annulation de leurs condamnations. Par ailleurs nous déplorons l’affaiblissement de ce combat par la perte douloureuse de plusieurs figures qui ont consacré leur vie à la lutte pour la liberté, le progrès social et les droits humains. C’est le cas entre autres de Mustapha Brahma, de Mohamed Ameziane, de Ahmed Zefzafi, de Hassan Kemmoun et tant d’autres. Nos pensées attristées vont vers leurs familles et leurs camarades. C’est également de tout mon cœur que je souhaite le rétablissement de Sion Assidon et l’éclaircissement des conditions qui ont abouti à son accident. Ici en France, la présence de Daniel Dayot, l’époux de Lilaine Dayot – auteure du magnifique « Maroc, amnésie internationale », va nous manquer dans toutes nos activités.

Ce matin à Gennevilliers, devant une stèle commémorative dans l’Allée Mehdi Ben Barka, s’est tenue une émouvante cérémonie d’hommage en présence de Patrice Leclerc, maire de la ville, Elsa Faucillon députée des Hauts-de-Seine et d’élus départementaux et municipaux. Nous nous sommes ensuite dirigés vers l’Espace culturel des Grésillons pour admirer la belle exposition des photos de Pierre Boulat intitulée « Mehdi Ben Barka… un monde solidaire ». Je vous invite à vous y rendre jusqu’à fin novembre.

Pour prolonger ce rassemblement, exceptionnellement pluvieux cette année, l’Institut Tribune socialiste nous invite à nous retrouver au Maltais rouge autour du verre de l’amitié. On pourra continuer à y débattre et échanger. Merci à eux pour cette belle initiative.

Encore une fois, merci à vous pour votre présence et votre soutien indéfectible. On se donne rendez-vous pour d’autres rassemblements pour la vérité, la justice et la mémoire. Notre combat continue.


A Paris comme au Maroc :

La présence de nombreux jeunes du mouvement « Gen Z 212 »

Consulter : GENZ212-FRANCE 3.0 ; #GENZ212FRANCE ; #FREEKOULCHI


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