Depuis 2021, le réalisateur documentariste François Demerliac anime une plateforme intitulée « Place Audin », du nom des deux lieux qui, à Alger et à Paris, rappellent la mémoire du mathématicien communiste Maurice Audin, enlevé, torturé et assassiné par l’armée française en juin 1957 à Alger. Sa chaîne Youtube constitue une ressource majeure sur le thème des mémoires françaises et algériennes. Elle rassemble des dizaines de vidéos offrant des regards multiples sur la guerre d’Algérie. Des films courts et longs, des documentaires, des entretiens et débats, « permettant un dialogue des deux côtés de la Méditerranée, avec l’image ».
Après une présentation du projet « Place Audin », nous publions deux de ces vidéos. L’une relative au 17 octobre 1961, un entretien réalisé en 2004 avec l’historien Pierre Vidal-Naquet, l’autre à l’engagement anticolonialiste du jeune Robert Badinter lorsqu’il défendait, lors d’un procès intenté par le quotidien La Voix du Nord, le Comité Maurice Audin.

Le projet « Place Audin »
Entre la France et l’Algérie, plus de soixante ans après l’indépendance algérienne, la question de la réconciliation, ou de l’apaisement des mémoires, est un sujet récurent et souvent conflictuel, comme le montre régulièrement l’actualité.
Le problème est qu’il n’y a pas, en France comme en Algérie, de mémoire homogène susceptible, sinon de réconciliation, du moins de discussion, mais plutôt des constellations de mémoires étrangères les unes aux autres, y compris sur un même territoire. D’autre part les Etats se sont emparés du récit d’une histoire qui devrait rester du ressort des historiens. En devenant un enjeu mémoriel, elle échappe aux citoyens et devient tributaire de difficultés de dialogue d’ordre politique.
Comment faire dialoguer l’héritier d’un Pied Noir avec celui d’un combattant de l’ALN, la fille d’un Harki avec celle d’une moudjahida torturée par les soldats français et des suplétifs, un islamiste avec un Kabyle chrétien, un petit enfant émigré avec ses grands-parents restés au pays… ? Si tous les dialogues ne sont pas faciles ou possibles, ils sont néanmoins la clé d’une éventuelle entente. Il est important que les jeunes algériens ou français issus de l’immigration sachent que des Français, des chrétiens et des juifs ont aussi combattu avec leurs grands-parents pour l’indépendance de l’Algérie, pour l’égalité des droits et pour la liberté. Que des soldats français ont préféré aller en prison plutôt que se battre en Algérie, que des avocats sont venus de la métropole pour défendre les militants arrêtés et torturés par les paras chargés du « maintien de l’ordre »… Ces histoires sont des parts de l’identité de nombreux jeunes en Algérie ou sur le territoire français, qui tentent de recomposer un passé morcelé ou dévalorisé.
La question est aussi générationnelle et linguistique : le français n’est plus la langue des jeunes Algériens. Pour communiquer avec eux, l’arabe s’impose.
Les intentions promulguées par les responsables politiques, si honorables soient-elles, ne suffisent pas. Il faut arriver à se connaître dans le présent pour nouer ou renouer des liens d’amitié en germes chez les individus. La paix des mémoires passe par cette connaissance.
Un projet de longue haleine
Place Audin est un projet de François Demerliac, réalisateur et auteur de documentaires, depuis 2004, sur le colonialisme et la guerre d’Algérie dont Maurice Audin, la disparition (2010 – 70mn – coproduction Public-Sénat – Chaya films), Une histoire de mathématiciens (2018 – 14mn – coproduction Universcience – Virtuel) et La bataille des archives (2020 – Virtuel – Centre culturel Algérien, Association Josette et Maurice Audin). Plusieurs autres documentaires sont actuellement en cours.
Place Audin rend accessible le fruit de vingt ans de recueil de témoignages, événements et documents. Elle est ouverte aux contributions et conseils d’historiens, juristes, journalistes, membres d’associations ou particuliers impliqués dans l’histoire franco-algérienne.
A terme, Place Audin vise à être une fenêtre pour tous les producteurs de contenus, réalisateurs, producteurs et journalistes qui ressentent le besoin d’une plateforme vidéo d’échanges et de diffusion entre la France et l’Algérienne.
Un lieu d’échanges
Place Audin relie deux places emblématiques de la guerre d’Algérie, l’une à Alger, l’autre à Paris, pour rapprocher deux cultures écartelées.
Comme toute place, Place Audin est un lieu d’échanges.
C’est une place virtuelle utilisant la vidéo pour permettre des échanges culturels entre la France et l’Algérie, en donnant la parole à des témoins, en assistant à des événements et en montrant des films et des documents. Place Audin rend accessible l’histoire pour comprendre le présent.
Place Audin prolonge aujourd’hui les combat de Maurice, Josette et Pierre Audin et de ceux qui se sont unis, sans clivages ethniques, nationaux ou religieux, pour l’indépendance de l’Algérie, pour la vérité et pour la liberté.
Place Audin réunit aussi des historiens, journalistes, réalisateurs ou individus, Algériens et Français, qui s’intéressent aux relations franco-algériennes aujourd’hui.
Place Audin, c’est l’histoire et l’actualité. C’est l’impact du passé colonial dans le présent, en Algérie comme en France mais aussi la fraternité qui permet de construire.
L’apaisement passe par la connaissance. C’est l’objectif de ce projet.
La vidéo
Place Audin fait la part belle à la vidéo, le média le plus apprécié des jeunes, qui connaissent mal leur histoire. La chaîne Youtube permet une diffusion en différé ou en direct. Elle est optimisée pour une consultation sur smartphone. La plupart des contenus sont accompagnés de transcriptions permettant un accès rapide par le texte mais aussi une traduction, notamment en Arabe. Pour les formats longs, une indexation permet d’aller directement au passage intéressant le spectateur.
Place Audin tire parti de la dématérialisation pour véhiculer ses contenus et toucher un large public en s’affranchissant des distances (réseaux sociaux, référencement, partage…), et des frontières. Elle touche l’Algérie et la France mais aussi, au-delà, tous ceux qui s’intéressent à la question coloniale, aux libertés et à la liberté d’expression.