«Dans le cadre de la campagne actuellement menée par le Gouvernement français contre la délinquance, des Roms originaires d’autres pays de l’Union européenne ont été accusés de représenter une “menace pour l’ordre public”. Les représentants du Gouvernement français n’ont pas fait clairement la distinction entre les immigrés roms dans leur ensemble et les quelques membres de ce groupe qui ont effectivement commis des infractions.»
Dans une tentative dérisoire pour mettre fin à la polémique née de la révélation de la circulaire datée du 5 août 2010 émanant du ministère de l’intérieur qui cible expressément l’évacuation de campements «de Roms», le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, a «tenu à signer personnellement» lundi une nouvelle version de cette circulaire. Afin de «lever tout malentendu sur une éventuelle stigmatisation» des Roms, la nouvelle circulaire demande aux préfets de «poursuivre» les évacuations de camps illicites «quels qu’en soient les occupants». Mais le ministre a bien précisé que la réécriture de la circulaire ne modifie en rien la politique mise en oeuvre.
La circulaire du 5 août du directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, Michel Bart, ciblait sans équivoque une communauté : elle enjoignait aux préfets une «démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms». Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) a annoncé dès dimanche qu’il préparait un recours devant le Conseil d’Etat. «Vous imaginez une circulaire nommant expressément les juifs ou les Arabes ?» s’est indigné son président, Stéphane Maugendre, sur France Info.
La circulaire et les préfets
Sur instruction du ministre de l’intérieur, son directeur de cabinet, préfet hors classe, a donc validé une circulaire qu’il avait fait élaborer par ses services et dont il ne pouvait ignorer le contenu illégal. Le pire est que ses collègues préfets de département ont appliqué ces consignes à la lettre, pour certains probablement avec zèle, sans en ignorer cependant le caractère juridiquement contestable !
Ces circulaires sont-elles véritablement applicables ? On peut légitimement poser la question dans la mesure où elles n’ont pas été publiées sur le “site des circulaires”.
Le site des circulaires
Le site circulaires.gouv.fr a été créé par le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires :
Article 1
Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation.
Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés.
Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes.
Le site officiel du ministère de l’Intérieur de l’Outre-mer et des Collectivités Territoriales en a profité pour annoncer qu’il ne publie plus – depuis mars 2010 – les circulaires du ministère qui sont désormais reprises sur le site des circulaires.
Mais aucune des trois circulaires révélées par Le canard social n’est référencée sur ce site des circulaires – la date de la dernière circulaire qui y a été publiée est le 20 juillet 2010.
Rappelons la réglementation concernant les droits et obligations des fonctionnaires devant des ordres illégaux.
Les fonctionnaires et les ordres manifestement illégaux
La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, stipule en son article 28 :
« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés ».
Des dispositions analogues figurent dans le code pénal, puisque l’article 122-4, 2e alinéa, précise que :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».
La réglementation va plus loin encore dans l’Armée et dans la police puisqu’elle évoque un devoir de désobéissance à un ordre illégal.
Code de déontologie de la police nationale
Article 17 2
«Le subordonné est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si le subordonné croit se trouver en présence d’un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses objections à l’autorité qui l’a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu’il attache à l’ordre litigieux.»
Quant aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, elles peuvent avoir à répondre des discriminations commises dans l’exercice de leurs fonctions3.
Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, rappelait récemment : «En France, la loi doit être respectée quelle que soit son origine, sa religion et son statut social.» 4
Ce principe s’applique donc également aux préfets de la République.
- Communiqué du 9 septembre 2010 : http://www.coe.int/t/commissioner/News/2010/100909AntiRomaRhetoric_fr.asp
- http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;?idSectionTA=LEGISCTA000006094264&cidTexte=LEGITEXT000006071071
- Référence : http://www.courdecassation.fr/publications_cour_26/rapport_annuel_36/rapport_2008_2903/etude_discriminations_2910/discriminations_prohibees_2913/pratiques_discriminatoires_matiere_penale_2916/aspects_droit_substantiel_12140.html#1.3.2.2.4
- Tribune publiée dans Le Figaro du 22 août 2010, reprise dans cette page.