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Édition du 1er au 15 octobre 2024

pourquoi tant de si belles voitures, alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ?

Une réunion extraordinaire sur les gens du voyage et les Roms s'est tenue mercredi 28 juillet au palais de l'Elysée. Une réunion décidée la semaine dernière par Nicolas Sarkozy après les violences qui se sont déroulées à Saint-Aignan. Le chef de l’État avait annoncé vouloir « se pencher sur les problèmes que pose le comportement de certains parmi les Roms et parmi les gens du voyage ». Il a donc convoqué plusieurs ministres, des responsables de la police et de la gendarmerie – mais aucun représentant des gens du voyage n’était convié. A l’issue de la réunion, le ministre de l’Intérieur a annoncé une série de mesures, presque toutes répressives. Brice Hortefeux a notamment déclaré : «nous allons affecter dix inspecteurs du fisc afin de contrôler la situation des occupants de ces camps illicites et illégaux». Le ministre feint-il d'ignorer – ou ignore-t-il vraiment ? – que, comme nous le rappelons ci-dessous, cette mesure figure dans la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi) que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a fait adopter dans l'urgence en juillet 2002 ? En fait, la suite des propos du ministre – «beaucoup de nos compatriotes sont à juste titre surpris en observant la cylindrée de certains véhicules» – rappelle que, si certains clichés ont la vie dure, leur exploitation est une ficelle inusable. Terminons par deux questions :
  • qui a dit : « Je ne tolèrerai jamais que des propos racistes ou discriminants soient tenus dans notre pays [...] Ces comportements sont indignes des valeurs de la République » ? 1
  • qui a dit qu'il convient de traiter les gens du voyage « sur un pied d'égalité avec le reste de la population française» et que «l'ensemble des gens du voyage ne sont pas responsables des actions criminelles commises par certains d'entre eux »? 2

Le 10 juillet 2002 Nicolas Sarkozy avait déclaré devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, réunie pour étudier le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi)1 :

«Comment se fait-il que l’on voit dans certains de ces campements tant de si belles voitures, alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ?»

En ce qui concerne les gens du voyage, les débats du Parlement, à l’occasion de l’examen en urgence du projet de LOPSI, resteront marqués par cette déclaration liminaire et garderont cette tonalité.

Lors des débats parlementaires sur le projet de LOPSI

Mardi 16 juillet 2002, l’Assemblée nationale aborde le débat sur le projet de loi, au cours duquel Nicolas Sarkozy et Christian Estrosi sont intervenus, le premier en tant que ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, le second comme rapporteur de la commission des lois. 2 :

Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales :

« Deux autres réformes sont engagées. Les GIR ? groupements d’intervention régionaux ? d’abord, sont la réponse à l’existence de situations particulières, là où la criminalité s’est organisée en réseau, là où règne une économie souterraine.

Au-delà des forces de police et de gendarmerie, ces GIR mobiliseront les services de la douane, du fisc, les services des fraudes et de la concurrence, ceux du travail et de l’emploi, pour traquer les délinquants en amont et demander à chacun de justifier de ses revenus. C’est en effet une injure à la République que de voir des individus notoirement connus pour ne pas travailler et ne pouvant justifier de leurs revenus depuis des années circuler au volant de véhicules que des honnêtes gens qui ont travaillé toute leur vie ne pourront jamais se payer.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie
française.)


A eux aussi, nous avons des questions à poser !

Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois :

« Là aussi, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir évoqué devant la représentation nationale, avec tant de pragmatisme, toutes ces situations qui suscitent, tant et tant d’exaspération et que nos concitoyens admettent de
plus en plus mal. Comment pourrait-il en être autrement alors que cent à cent cinquante caravanes, tractées par de belles et grosses voitures dont pendant trop longtemps on ne s’est pas demandé avec quelles ressources elles avaient
été financées,…

(Brève interruption du député Arnaud Lepercq : «Le rempaillage des chaises ! »)

… peuvent s’installer en toute impunité n’importe où, alors que leurs occupants peuvent se brancher sur le réseau d’électricité publique pour se fournir en énergie, payée par l’argent du contribuable

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle)

sur les bouches à incendie pour s’alimenter en eau potable, payée par l’argent du contribuable, et qu’ils rejettent des déchets polluant l’ensemble de nos nappes phréatiques sans que la moindre mesure sanitaire ne soit prise ? Ces occupations illicites de propriétés privées ou publiques ne sont plus acceptables.»

Nicolas Sarkozy devait confirmer les propos précédents lors du débat au Sénat le 30 juillet 20023 :

«Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une injure à la République que des individus n’ayant jamais travaillé de leur vie puissent se pavaner dans des véhicules de prix : que voulez-vous qu’en pense un Français qui ne pourra jamais se payer une telle voiture alors qu’il se lève tôt le matin pour assurer la subsistance de sa famille ?

(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Les GIR permettront d’aller interroger des hommes et des femmes qui ne peuvent continuer à jouir de cette impunité. Comment, dans certains quartiers, élever ses enfants en leur inculquant l’amour du travail, de la récompense et de l’effort si, en bas de l’immeuble, se trouve un individu qui n’a jamais travaillé de sa vie et qui roule carrosse sans que personne ne vienne lui demander à qui il a acheté son véhicule et comment il l’a payé ? »

La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure sera adoptée le 31 juillet 2002.

Ces propos font partie de la “culture” de certains parlementaires

En effet, voici quelques déclarations faites à la tribune de l’Assemblée nationale ou du Sénat, quelques années plus tôt, lors de la discussion du projet de loi relatif à l’accueil des gens du voyage (loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000).

Serge Poignant, député RPR de Loire Atlantique, a déclaré à l’Assemblée nationale, le 2 juin 1999 lors du débat public4 :

«Je veux bien que l’on se soucie des aires d’accueil pour les gens du voyage mais les services fiscaux pourraient aussi se demander comment certains d’entre eux font pour rouler en Porsche alors qu’ils vendent des serviettes et des paniers.»

Lors de la discussion au Sénat le 2 février 20005, on a pu entendre Jean-Claude Carle, sénateur RI de Haute-Savoie :

« Je me demande, en effet, comment des gens qui, bien souvent, ne remplissent pas de déclaration d’impôt ou ne sont pas imposables peuvent se payer des biens de consommation onéreux tels que des voitures de grosse cylindrée et des caravanes qui sont de véritables maisons mobiles.
Les moyens de contrôle de l’administration fiscale à l’égard des populations nomades ne sont pas insuffisants : ils sont en fait totalement absents !»

et Bernard Murat, sénateur RPR de la Corrèze :

«J’en veux pour preuve l’inobservation des arrêtés de police sanctionnée d’une amende de 30 francs à 250 francs. Croyez-vous, monsieur le secrétaire d’Etat, qu’une telle sanction soit vraiment dissuasive pour des gens qui se déplacent en Mercedes 500 ?»

  1. Référence : « Offensive des députés de droite contre les gens du voyage lors du débat sur la sécurité » par Bertrand Bissuel, Le Monde du 20 juillet 2010. Voir article.
  2. Les propos de Nicolas Sarkozy figurent page 9, ceux de Christian Estrosi page 13, du compte-rendu intégral des débats : http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/cri/2001-2002-extra/20021006.pdf.
  3. Référence : http://www.senat.fr/seances/s200207/s20020730/sc20020730003.html.
  4. Référence : http://www.assemblee-nationale.fr/11/cra/1998-1999/99060221.asp#P61_12350
  5. Référence : http://www.senat.fr/seances/s200002/s20000202/sc20000202001.html
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