Vingt-six femmes et trente-six hommes d’horizons et de professions variées se racontent ici. Soixante deux personnes en rappel à l’année 1962, fin de la guerre d’Algérie, pour beaucoup année Zéro de leur itinéraire. Ces 62 portraits sont autant de témoins de l’Histoire franco-algérienne qui racontent leur rapport avec le pays d’origine, avec la France, et la transmission de ce passé si présent à leurs enfants.
Qui sont-ils ? Ils sont pompiers, aide-soignante, vigneron, entraineur sportif, décoratrice, réceptionniste, fonctionnaire, kinésithérapeute, comédien, cadre, technicien dans l’aéronautique, auxiliaires de vies,… Pour chacun d’eux, une page de photos, et une page de témoignage.
Hors des clichés stigmatisant, ces portraits battent en brèche toute simplification de l’histoire. A travers eux, ces enfants racontent, selon leur âge, selon leurs itinéraires, la traversée de la guerre, l’épreuve de l’exil, la vie dans les camps et l’amour pour leurs parents.. Certains sont nés en Algérie, d’autres en France, par exemple dans les camps de Rivesaltes, Bourg-Lastic ou Saint-Maurice l’Ardoise. Leurs récits et leurs photographies sont les traces vivantes d’une résistance à l’indicible.
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« … Qu’est-ce que vous allez faire de ce qu’on a fait de vous ? Qu’allez-vous faire de cette souffrance ? Allez-vous vous soumettre ? Allez-vous pleurer ? Allez-vous faire une carrière de victime comme on vous y encourage ? On vous donnera une petite portion, mais taisez-vous. Et encore, si on vous donne une portion, c’est bien, parce que la France est généreuse.»
«La France, c’est ma moitié», par Franck Nouchi
Enfin ! Mardi soir, sur France 5, la télévision française s’est donné les moyens – et le temps – pour raconter l’histoire des musulmans de France. De l’arrivée des premiers Kabyles en 1904 à l’affaire du voile islamique, le pari était a priori risqué : retracer en un peu plus de trois heures, moyennant trois parties distinctes – « Indigènes », « Immigrés », « Français » -, un siècle de présence musulmane. Pari gagné : Musulmans de France, le documentaire de Karim Miské et Emmanuel Blanchard, est en tout point réussi. S’il ne l’a déjà vu, Eric Besson aurait tout intérêt à se procurer le DVD qui sortira le 11 mars.
Impossible bien sûr pour les deux réalisateurs de rentrer dans tous les détails d’une pareille histoire. Et en particulier de retracer ce que fut le drame des harkis. Un drame longtemps occulté, enfoui dans la mémoire collective, en dépit de quelques manifestations de colères et grèves de la faim. Le 10 septembre 2001, dans un article publié par Libération, Michel Tubiana, alors président de la Ligue des droits de l’homme, dénonça ce silence : « La République a commis en 1962, en Algérie, un crime d’Etat. En laissant en Algérie les supplétifs algériens qu’il avait employés, le gouvernement français les a sciemment exposés aux massacres qui ont été commis. »1 Il ajouta : « Une double justice doit être rendue aux harkis : reconnaître le crime d’Etat dont ils ont été victimes et la discrimination dont ils sont encore aujourd’hui l’objet. » Le 31 mars 2007, le candidat Nicolas Sarkozy prit un engagement solennel : « Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis et d’autres milliers de « musulmans français » qui lui avaient fait confiance, afin que l’oubli ne les assassine pas une seconde fois. »2
L’oubli, un mal que les harkis connaissent mieux que personne. Dans Des vies, 62 enfants de harkis racontent (éditions de L’Atelier), un ouvrage dirigé par Fatima Besnaci-Lancou et préfacé par Boris Cyrulnik, des hommes et des femmes disent avec dignité et modestie ce que fut l’histoire de leur famille, ces années passées dans des camps, ces blessures que personne ne voulait ni voir ni entendre, la France indifférente au sort de celles et ceux qui avaient décidé de lui faire confiance et de se battre pour elle. Bouleversants de simplicité, ces témoignages, et les photos qui les accompagnent, disent aussi que le temps a fini par passer, faisant place à une sérénité nouvelle. Né en 1965, Abdel Oihabe Boumaraf est kinésithérapeute-ostéopathe : « Je suis français, né à Château-Renault. Je suis patriote, mais pas nationaliste. Je suis fier de ma culture tourangelle, fier d’être français et fier de mes origines berbères. La France, c’est ma moitié. » Une belle réponse à l’apostrophe de Boris Cyrulnik : « Qu’est-ce que vous avez fait de ce qu’on a fait de vous ? »