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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
Saïd Boualam (photo : Assemblée nationale)

Elie Aboud, ou le déni du passé colonial de la France

Après avoir cautionné par sa présence une cérémonie d'hommage à l’OAS, le 26 mars dernier, au cimetière neuf de Béziers, le député Elie Aboud a participé le 12 décembre à l'inauguration d'un rond-point dédié au bachaga Boualam, à Béziers. Il est vrai que Elie Aboud est député d'un département où les extrémistes de l'“Algérie française” continuent à se manifester bruyamment... Mais cet homme politique ambitieux semble ignorer que les Pieds-noirs et leurs descendants ne sont pas tous nostalgiques de la période coloniale, que les Harkis sont las d'être instrumentalisés1, et que les liens qui se sont tissés entre les deux rives de la Méditerranée sont profonds. La guerre d'indépendance algérienne s'est terminée il y aura bientôt cinquante ans. Il serait temps que la France regarde son passé en face, qu'elle exprime enfin quelque “regret” pour les violences faites aux Algériens pendant la période coloniale, et qu'elle établisse avec son voisin des relations fondées sur le respect mutuel.
Saïd Boualam (photo : Assemblée nationale)
Saïd Boualam (photo : Assemblée nationale)

Le bachaga Boualam

Né le 2 octobre 1906 à Souk-Ahras, près de la frontière tunisienne de l’Algérie, Saïd Boualam a d’abord fait carrière dans l’armée française, atteignant le grade de capitaine. Il est l’exemple des chefs traditionnels sur lesquels s’appuyait la “pacification” de l’Algérie depuis 1830. Il est nommé caïd, puis bachaga dans le fief familial des Beni Boudouanes, dans les montagnes de l’Ouarsenis. Il y organisera un des premiers groupes d’auto-défense – bientôt désignés par le terme harka.

Elu député gaulliste d’Orléansville, le 30 novembre 1958, il devient vice-président de l’Assemblée nationale. En juin 1960, il fait partie des fondateurs du Front pour l’Algérie française.

En mars 1962, il permet à l’OAS de monter un maquis dans son fief de l’Ouarsenis et il lance à la radio pirate de l’organisation un appel à le rejoindre. Très vite, devant l’échec de l’opération, il négocie son évacuation avec une centaine de ses proches sur Le Mas Thibert en Camargue, où il s’installe en mai 1962. Il y décèdera le 6 février 1982.

Le bachaga a été un des derniers représentants de la société féodale traditionnelle algérienne.
Dans l’imaginaire “Algérie française”, il continue à symboliser ce qui aurait pu permettre le maintien de la France en Algérie.1

Les harkis du bachaga Boualam
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Plusieurs recherches ont mis en évidence que «les raisons de l’enrôlement pro-français» de certains Algériens pendant la guerre d’indépendance ont été «diverses, complexes et difficilement réductibles à une prise de position politique». «Pour la plus grande majorité de ces “paysans militarisés” », l’enrôlement n’était pas lié à une «adhésion aux principes de l’Algérie française ou à un refus de l’indépendance nationale». «La simplification binaire qui a fait “du” harki » «un fidèle défenseur de la France ou un traître à l’Algérie», selon qu’on se trouve «d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée», n’est qu’une simplification abusive.

Ces remarques s’appliquent notamment aux “harkis” – le terme désignant ici tout supplétif musulman – du bachaga Boualam.

La tribu des Beni-Boudouanes «vivait dans une situation d’enfermement et de repli, la colonisation n’ayant pas beaucoup touché la région et les contacts étant peu nombreux avec le monde extérieur». On comprend que «l’idéologie indépendantiste n’ait pas pu s’infiltrer de manière significative parmi eux,» « leur sentiment d’appartenance coutumière l’emportant sur tout sentiment d’appartenance national».
«Ces éléments et les rapports que les membres de la tribu entretenaient avec le Bachaga Boualam, qui, à la tête d’une grande ferme à Lamartine, exerçait un rôle administratif et spirituel au sein de la population du douar, ainsi que ses liens avec l’administration et l’armée française, contribuent à expliquer pourquoi, quand la guerre d’indépendance a éclaté, la plupart des Beni-Boudouanais se sont retrouvés du côté de la France.»

« J’étais sous les ordres du Bachaga, je lui devais soumission et respect, et, donc, si lui, il a choisi le camp de la France, nous, par respect et par choix et par légitime défense, on a été obligé à suivre le Bachaga et à devenir harkis. » (Mouloud, vieux harki aujourd’hui décédé, 2001).

Ce qui lie aujourd’hui Français et Algériens

«D’abord, la colonisation, qui sépare et rapproche à la fois. Au-delà des passions et des traumatismes suscités par la guerre d’indépendance, l’Algérie reste très présente en France, et inversement.

«Ensuite, l’héritage de la langue. L’Algérie est l’un des pays les plus francophones du monde. Le français y est enseigné à l’école, les tirages de la presse francophone y sont considérables et les chaînes françaises très regardées.

«Enfin, l’immigration. La première vague, au début du siècle dernier, a donné naissance à plusieurs générations d’enfants d’immigrés, si bien que de 2 millions d’Algériens, dont beaucoup sont français, vivent aujourd’hui dans l’Hexagone. Cette immigration est un pont permanent entre les deux pays.»

Benjamin Stora3

  1. Sur le bachaga Boualam, on pourra lire Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, éd. Autrement, février 1999.
  2. D’après Giulia Fabbiano, «Les harkis du bachaga Boualam. Des Beni-Boudouanes à Mas Thibert», in Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron,
    Les harkis dans la colonisation et ses suites, éditions de l’Atelier, février 2008.
  3. Extrait d’un entretien, intitulé « Le déni du passé colonial est tragique », publié dans Jeune Afrique le 27 novembre 2009.

    Originaire de Constantine, Benjamin Stora est professeur d’histoire du Maghreb à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), à Paris. Il a consacré plusieurs livres à l’histoire du Maghreb et de l’Algérie, notamment La Guerre d’Algérie (Hachette), écrit en collaboration avec Mohammed Harbi.

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