À l’Assemblée, ce discours-là fut le seul moment de grâce d’une semaine enragée. Mardi, en plein cœur du débat sur l’identité nationale, quand Marietta Karamanli (PS) est montée à la tribune après deux heures sans queue ni tête, elle a parlé cinq petites minutes, avec son accent irrépressible, et les travées se sont tues, sur 180 degrés.
Devant cette représentante de la nation française, née Grecque à la veille de la dictature des colonels, même le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, scotché sur son banc, a relevé le nez. Mais Eric Besson l’a-t-il bien entendue?
«Je voudrais vous faire part de mon expérience, celle de devenir française», a raconté Marietta Karamanli, «étrangère pendant la moitié de [sa] vie», dans un hémicycle quasi vide. D’abord, la députée a expliqué sa décision d’émigrer: «Je suis née dans un pays où l’État, jusque dans les années soixante-dix, avait la tentation de délivrer un certificat de loyauté», exigeait «un serment de bonne conduite». Ce genre de politique, «ça fait froid dans le dos»…
Avec émotion, elle a ensuite détaillé son arrivée en France à 20 ans, mue par le désir, par l’amour d’un «pays qui a le goût des autres», qui «croit à l’école», «à une morale laïque», «une morale qui se suffit à elle-même, sans besoin d’un prêtre ni d’un chef qui décide».
Dans les travées, on entendait les mouches voler.
Surtout, elle a décrit sa certitude, «d’emblée», dès ses premiers pas dans l’Hexagone, qu’elle «pourrait y vivre pour toujours». Ce «sentiment d’appartenance», «nul Etat ne peut le prescrire, ni l’interdire», a résumé Marietta Karamanli. Eric Besson l’a-t-il bien écoutée?
Au micro, l’élue de la Sarthe a cité Jacques Ancel, géographe persécuté par les nazis, mort en 1943: «Un État se marque sur une carte, mais une nation est une communauté morale plus malaisée à circonscrire (…). Ce serait puérilité que de tracer des sentiments dans le rigide cadre des territoires». Eric Besson a-t-il, un jour, lu Jacques Ancel?
Pour Marietta Karamanli, le «sentiment» d’être française (fait «de sensations» et d’«une conscience») appartient à la seule sphère intime: «Il est périlleux que ce soit l’État qui cherche à dire ce que ça signifie, à cadrer un sentiment. En la matière, il ne peut dire le vrai». «Parler de l’identité nationale comme de quelque chose d’objectif et d’immuable, qu’il faudrait « valoriser » [comme le prétend le site du ministère], c’est impossible».
A l’intention du groupe UMP, dont une centaine de députés ont signé une proposition de loi visant à interdire les drapeaux étrangers lors des cérémonies de mariage, la socialiste a enfin parlé de ses quatre enfants (âgés de 3 à 18 ans), «qui se sentent tous français» et «qui aiment tous leurs origines étrangères»: «Petits, ils dessinaient des drapeaux français, a-t-elle confié. Mais aussi grecs!». «Allez comprendre», Monsieur Besson…
A sa descente de tribune, les travées de gauche comme de droite ont applaudi. Ses camarades socialistes lui ont caressé l’épaule, la main, le visage. Et puis un collègue UMP lui a fait passer un petit mot: «Merci, vous avez répondu à toutes mes questions…» A la fin de la séance, quand le ministre a repris la parole pour répondre à la vingtaine d’élus qui s’étaient exprimés, il avait préparé de quoi répliquer à chacun des orateurs de l’opposition. Mais pour Marietta Karamanli, qui venait d’exposer ses tripes devant la nation, il n’a pas eu un mot.