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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
Fabrice, Claude et Richard Trinh, fils d'un travailleur indochinois loué dans le cadre de l'exploitation du sel. (Photo Nicolas Vallauri)

Arles rend hommage aux travailleurs indochinois immigrés de force lors de la seconde guerre mondiale

Pour la première fois après 70 ans de silence, un élu de la République va rendre hommage aux travailleurs indochinois immigrés de force en France pendant la Seconde guerre mondiale. Jeudi 10 décembre à 11 heures, le maire d'Arles, Hervé Schiavetti, recevra dans la salle des honneurs de sa mairie les derniers travailleurs indochinois encore en vie ainsi que leurs familles. Sur les 20 000 travailleurs indochinois recrutés en 1939, 1 500 environ se retrouvèrent en Camargue, les uns pour y planter du riz, les autres pour travailler dans les salines de Salin de Giraud. Une commémoration dont on peut espérer qu'elle sera la première d'une longue liste en France, et qui aidera notre pays à regarder son passé en face1. La veille, mercredi 9 décembre à 18 heures, une conférence débat, organisée par les éditions Actes Sud et la Ligue des droits de l’Homme d’Arles, se tiendra dans la Chapelle Méjan autour du livre de Pierre Daum, Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952)2, avec la participation de Gilles Manceron, historien spécialiste de la colonisation et vice-président de la LDH.
[Mise en ligne le 21 novembre 2009, mise à jour le 6 décembre 2009]

Fabrice, Claude et Richard Trinh, fils d'un travailleur indochinois loué dans le cadre de l'exploitation du sel. (Photo Nicolas Vallauri)
Fabrice, Claude et Richard Trinh, fils d’un travailleur indochinois loué dans le cadre de l’exploitation du sel. (Photo Nicolas Vallauri)

Ces travailleurs indochinois qui façonnèrent la Camargue

par Agathe Westendorp, La Provence du 19 octobre 2009

Les trois frères, Richard, Claude et Fabrice Trinh arpentent les fondations des anciens baraquements des travailleurs indochinois de Faraman. Comme jadis quand ils étaient mômes et que leur père était revenu en Camargue. Cette fois en homme libre. Car M. Trinh, le père, a d’abord été réquisitionné parmi les 20000 travailleurs indochinois amenés en France dès 1939 pour participer à l’effort de guerre et loués comme main-d’oeuvre. « Notre père est arrivé en 1940 à 24 ans d’abord à Marseille puis à Saint-Chamas et enfin à Salin en 1941 », raconte au milieu des saladelles Richard, « le grand frère ».

Transmettre la mémoire

Si certains, comme le rappelle l’écrivain et journaliste Pierre Daum dans son ouvrage Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France, furent envoyés sur les rizières pour apporter leur savoir faire et créer « le riz camarguais tel qu’on le connaît aujourd’hui », d’autres travaillèrent dans l’exploitation du sel. « Notre père, lui, s’occupait du côté administratif et habitait aussi dans les baraquements que l’on voit encore à Faraman ». Des conditions de vie difficiles où perce pourtant un rayon de soleil. Leur père rencontre leur future mère, la fille du métayer, employée à nourrir les ouvriers des salins. Après un aller-retour à Fréjus en 1942, affecté à la construction du mur de la Méditerranée, et la naissance de Richard, le couple Trinh revient à Salin en 1946, après avoir obtenu la levée de réquisition et s’y marie. « Comme M. Trinh, un millier d’ex-travailleurs indochinois sont restés en France quand les autres ont été rapatriés jusqu’en 1952 », note Pierre Daum. Les trois frères de retour en Camargue grandissent à Faraman. « Il y avait au moins 40 familles, italienne, espagnole… Pour nous, c’était l’ambiance de la guerre des boutons! On allait à Beauduc, on pêchait, on laissait échapper les taureaux, les chevaux, on se baignait dans les roubines, c’était la liberté ». Leur père évoque peu les années de guerre: « Il ne voulait pas que son passé ni sa race ne prédominent sur notre destinée. Et même si on faisait la fête du Têt, on n’a pas appris à parler vietnamien. Nous n’étions pas déchirés entre deux cultures, même si petits on nous a parfois traités de “mangeurs de chats”. Dès 58, la famille retourne à Salin. C’est ici que notre père a été enterré selon la coutume vietnamienne », souffle Claude. A Faraman City comme l’indique le panneau, les souvenirs affluent devant la maison du grand-père ou même de celle de leur enfance. Richard, Claude et Fabrice, les trois Camarguais ne transmettent que la mémoire de leurs ancêtres dont certains – quelques centaines – façonnèrent la Camargue actuelle à travers ses rizières ou donnèrent un sacré coup de main pour la production de sel. Et pour les trois frères, l’hommage viendrait à point, en toute simplicité. Pour que les souvenirs ne s’envolent pas.

«Ceux qui plantèrent le riz camarguais tel qu'on le connaît furent recrutés de force dans leur pays.» (crédit Pham Van Nhân)
«Ceux qui plantèrent le riz camarguais tel qu’on le connaît furent recrutés de force dans leur pays.» (crédit Pham Van Nhân)

L’hommage enfin rendu aux travailleurs indochinois

par Agathe Westendorp, La Provence du 17 novembre 2009

Une cérémonie a lieu en mairie d’Arles le 10 décembre.

Une première en France

L’ émotion est là, même discrète et voilée par une tonne de pudeur. Mais les frères Trinh ont comme remporté un combat : celui pour la mémoire des travailleurs indochinois qui comme leur père façonnèrent la Camargue côté sel et côté riz. « Nous n’avons pas été élevés dans la rancoeur. Mais ce devoir de mémoire est très important et remet les pendules à l’heure. On ne peut pas occulter l’histoire ».

Bientôt une rue inaugurée en Camargue

La Provence avait raconté dans deux éditions précédentes (les 17 mai et 19 octobre derniers), l’histoire des trois frères Trinh dont le père avait été réquisitionné de force comme quelques centaines d’autres en Camargue dès 1939 sous le prétexte de l’effort de guerre.

Avec Pierre Daum, journaliste et écrivain qui a fait paraître en mai dernier un ouvrage Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), ils avaient proposé au maire Hervé Schiavetti d’organiser une cérémonie de commémoration. Les frères Trinh comme Pierre Daum avaient été surpris de « l’inertie de la mairie ». Certains malentendus et quiproquos avaient ralenti la démarche.

Mais c’est chose faite, la commémoration aura bien lieu, le 10 décembre prochain à 11h en mairie. Quatre anciens travailleurs indochinois prendront la parole en présence d’autres personnalités. La veille, Pierre Daum proposera une rencontre débat chez Actes Sud.

Par ailleurs, la date d’inauguration d’une rue en souvenir des travailleurs pourrait être annoncée ce jour-là. « Nous faisons des recherches sur Salin, du côté de Faraman, mais aussi sur tout le territoire de la Camargue », a précisé Julien Tora, du cabinet du maire, en charge du dossier.

En plus d’avoir une issue heureuse, cette histoire a le mérite de faire avancer la grande histoire comme le souligne Nicolas Koukas qui a déjeuné avec les frères Trinh pour mettre au point le projet, ou Gilles Manceron, historien et vice-président de la Ligue des droits de l’Homme qui sera aussi présent le 10 décembre : « A ma connaissance, c’est la première fois qu’une collectivité locale rend hommage de cette manière. C’est une première en France. Pour le moment, l’État n’a eu que l’attitude de l’ignorance et du mépris. Très vite, cela a été symbolisé par la réponse en 1991 de Michel Charasse alors ministre du Budget auquel on avait demandé si les travailleurs Indochinois pouvaient bénéficier d’une part de retraite, il avait rétorqué qu’ils n’avaient pas cotisé. Or on le sait, cette main-d’oeuvre a eu un rôle prépondérant comme ici dans l’histoire de la Camargue. Le chemin jusqu’à la commémoration a été long et difficile. Mais c’est bien que cela intervienne maintenant ».

On espère que cette commémoration dont Arles peut être fière sera la première d’une longue liste en France. Pour que le passé soit regardé en face.

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