L’ex-dictateur Augusto Pinochet privé de son immunité par la justice chilienne.
SANTIAGO [AFP – Vendredi 27 août 2004]
La Cour suprême du Chili a décidé jeudi de lever l’immunité de l’ancien dictateur Augusto Pinochet dans le cadre de l’enquête sur le Plan Condor
1, ouvrant la voie à un procès pour son implication dans ce plan des dictatures militaires d’Amérique du sud d’élimination des opposants politiques.
La décision de la plus haute instance judiciaire du pays andin a été prise à une courte majorité, neuf magistrats ayant voté pour, huit contre.
La Cour était appelée à se prononcer sur un jugement antérieur de la Cour d’appel de Santiago qui avait décidé, à la surprise générale, le 28 mai, de lever l’immunité spéciale dont jouit Pinochet, 88 ans, en tant qu’ex-président autoproclamé.
Le gouvernement chilien a été le premier à réagir.
« Au Chili, il y a un Etat de droit, les pouvoirs se respectent et personne n’est au-dessus de la loi », a déclaré le secrétaire général du gouvernement, Francisco Vidal.
Les familles des victimes de la dictature militaire, qui a fait 3.000 morts et disparus, ont célébré un « jour historique ».
« Pour nous, c’est très important que la levée de l’immunité ait été ratifiée (…). Il ne pouvait y avoir une autre résolution », a déclaré Lorena Pizarro, présidente du Collectif des proches de détenus disparus.
« C’est un jour historique, car cet arrêt ouvre une fenêtre pour juger tous ceux qui ont violé les droits de l’homme », a-t-elle ajouté.
De son côté, l’un des avocats des parties civiles, Eduardo Contreras, s’est réjoui de la décision, estimant que « le pays maintenant semble plus démocratique ».
Le porte-parole de M. Pinochet, l’ancien général Guillermo Garin, a manifesté pour sa part un « profond mécontentement et (sa) surprise ».
Les membres de la Cour suprême avaient entendu mercredi les arguments des deux parties.
La défense de Pinochet a insisté sur les problèmes mentaux de « démence légère » qui servirent de base à la décision de la même Cour suprême d’archiver un premier procès contre l’ex-président en juillet 2002 dans l’affaire dite de la Caravane de la Mort.
Pinochet avait commencé à être jugé en tant qu’auteur intellectuel des crimes d’un escadron militaire accusé d’avoir assassiné 75 opposants dans plusieurs villes chiliennes entre septembre et octobre 1973.
Les avocats de la partie civile ont basé leur exposé sur la connaissance parfaite qu’avait M. Pinochet des opérations réalisées au Chili et à l’étranger par l’agence des services secrets DINA et son rôle dans la mise en oeuvre du Plan Condor.
Ils ont aussi rejeté l’argument d’une « démence » du général, en déposant devant la Cour suprême un rapport de trois psychiatres décortiquant une interview accordée en novembre 2003 par l’ex-dictateur à une télévision de Miami, dans lequel les médecins concluent qu’il est en « parfaites conditions ».
L’interview, que Pinochet accorda dans le cadre de la commémoration des 30 ans du putsch du 11 septembre 1973 contre le président Salvador Allende, avait été considérée comme décisive par la Cour d’appel de Santiago pour justifier la levée de l’immunité de Pinochet.
Dans son arrêt de jeudi, la Cour suprême recommande au juge Guzman Tapia, chargé du dossier du Plan Condor, d’ordonner de nouveaux examens pour déterminer si Pinochet, qui va fêter en novembre prochain ses 89 ans, dispose de toutes ses facultés mentales.
L’arrêt suggère au juge que « parmi ses premières ordonnances, il demande des examens psychiatriques » de M. Pinochet.
« Je dois seulement respecter l’arrêt de la Cour suprême », a déclaré le juge, ajoutant qu’il n’avait pas « à donner son opinion sur les décisions de ses supérieurs ».
Il s’est refusé à tout autre commentaire.
Quelques rappels
Le général Augusto Pinochet a pris le pouvoir au Chili le 11 septembre 1973 par un coup d’état sanglant au cours duquel le Président Salvador Allende a trouvé la mort. Jusqu’en 1990, il fut l’homme fort d’une junte militaire qui fit près de 3000 morts, 1200 disparus, 30 000 à 40 000 victimes de torture, et un million d’exilés.
Le général Pinochet, nommé en 1998 sénateur à vie après avoir quitté le commandement en chef de l’armée, avait été arrêté dans une clinique de Londres en octobre 1998, à la demande du juge madrilène Baltasar Garzon : ce dernier a engagé une procédure d’extradition pour des délits de « génocide », « tortures » et « disparitions » commis sous la junte militaire chilienne entre 1973 et 1990. D’autres poursuites ont été engagées par la France, la Belgique et la Suisse. Libéré le 2 mars 2000 pour raison de santé, après une mise en résidence surveillée de 503 jours à Londres, l’ex-dictateur chilien est arrivé au Chili le 3 mars 2000.
Les poursuites internationales lancées contre l’ex-dictateur ne sont pas restées sans effet au Chili. Pendant sa détention à Londres, plus d’une centaine de plaintes ont été déposées contre lui à Santiago ; les principales concernent la « caravane de la mort », commando militaire qui a sillonné le Chili et fusillé sans procès 74 opposants politiques en octobre 1973. Dès le 6 mars 2000, le juge chilien Juan Guzman Tapia demandait la levée de son immunité parlementaire.
Les avocats de Pinochet ont livré une âpre bataille judiciaire pour lui éviter le banc des accusés. Le 9 juillet 2001, la Cour d’appel de Santiago suspendait «temporairement» les poursuites engagées contre lui, en invoquant la dégradation de son état de santé.
Le 1er juillet 2002, la Cour suprême de justice du Chili ratifiait cette décision, mettant ainsi un terme à la procédure ouverte contre l’ancien dictateur. Les cinq juges ont voté un non-lieu en faveur de Pinochet, par quatre voix contre une, invoquant l’état de démence sénile du vieux caudillo, âgé de quatre-vingt-six ans. « Les problèmes mentaux de Pinochet Ugarte, de l’avis des magistrats, empêchent qu’une procédure ait lieu à son encontre », précisait le secrétaire de la Cour.
On pouvait alors penser que Augusto Pinochet échappait définitivement à la justice de son pays.
Un juge d’instruction français délivre un mandat d’arrêt à l’encontre de Pinochet [rédigé le 19 décembre 2001]
Le juge d’instruction parisien Roger Le Loire a délivré, jeudi 25 octobre 2001, quinze mandats d’arrêt internationaux pour « séquestration et tortures » ou « complicité de séquestration et tortures » à l’encontre d’anciens militaires chiliens soupçonnés d’être impliqués dans la disparition de quatre Français à l’époque de la junte militaire d’Augusto Pinochet. Le dictateur est considéré comme le donneur d’ordre de la politique d’élimination des opposants.
Augusto Pinochet, qui fait lui-même l’objet d’un mandat d’arrêt en date du 2 novembre 1998, est considéré par le juge d’instruction parisien Roger Le Loire comme le « donneur d’ordres » de la politique d’élimination des opposants menée dans les années 1970 par l’armée chilienne et par la DINA, la police secrète.
Les quinze mandats d’arrêt qu’il a délivrés, jeudi 25 octobre, ajoutés aux trois précédemment émis (dont celui visant M. Pinochet), marquent une étape importante dans les procédures engagées en France. Le juge Le Loire s’apprête en effet à clore ce dossier ouvert en octobre 1998. La France pourrait donc être, en 2002, le premier pays à juger – par contumace car une extradition est improbable – l’ex-dictateur et ses complices.
Pour les quatre Français dont les corps n’ont jamais été retrouvés, le magistrat estime avoir établi la responsabilité décisionnelle d’Augusto Pinochet et celle, opérationnelle, de dix-sept militaires, pour la plupart à la retraite aujourd’hui. Les quatre victimes étaient considérées par la junte comme proches du pouvoir de gauche renversé le 11 septembre 1973, à Santiago, lors de l’assaut contre le palais présidentiel de la Moneda.
- L’opération « Condor » était un programme de répression des dictatures d’Amérique du Sud pour pourchasser et éliminer physiquement leurs opposants.
Organisée par les services secrets d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Chili, du Paraguay et d’Uruguay, avec le soutien d’agents des Etats-Unis, afin de « combattre le terrorisme et la subversion », l’opération a fait des centaines de morts et de disparus. Elle est née au cours d’une première réunion de travail des services de renseignement, qui s’est tenue fin décembre 1975 à Santiago. L’homme à l’origine de cette initiative est Manuel Contreras, fondateur de la DINA – la police secrète du général Pinochet.