La bande-annonce du film
« Fahavalo, Madagascar 1947 »
de Marie Clémence Andriamonta-Paes
Le livre « Feux, fièvres, forêts » de Marie Ranjanoro



Extrait
Au-delà de l’océan, se tient le monde, et son rivage, comme une peau sur une chair, marque la fin du nôtre. Sommes-nous si faibles, si peu enclins à l’affrontement que nous les avons laissés nous chasser jusqu’ici ? Non, c’est eux qui ont eu peur. Comme on craint le fauve qu’on chasse, l’obscurité qu’on éclaire, la mort que l’on cache. C’est eux, qui sont venus nous trouver, nous prendre, nous assimiler, croyant que, devenus comme eux, nous serions enfin sans danger. Ils sont venus chercher dans nos maisons des sorts et des sorciers, dans nos campagnes des guerriers invisibles, capables de se multiplier. Nous n’avions rien de tout cela. Mais ici, ils ont trouvé des maladies longues, parasitaires, incurables, qui les suivraient dans leurs lits et longtemps encore après leur départ. Ils nous ont trouvés, imperméables, récalcitrants, insolubles dans notre servilité. Ils ont trouvé le gouffre insondable de la forêt et y ont jeté leurs dernières forces, jusqu’à la moindre goutte de sang impur qu’ils avaient à verser, délaissant partout ailleurs les fronts où d’autres les feraient plier. Leurs yeux se sont tournés par milliers vers cet objet nu et sombre, dont la gluance et les mille formes feraient qu’il demeurerait à jamais impréhensible. Leurs poings se sont refermés sur une eau. Ils sont venus nous prendre une chose dont ils ne savaient pas qu’elle ne fut jamais à nous. Oui, nous nous sommes soumis, nous avons fui, nous nous sommes terrés, cachés comme des bêtes dans la forêt. Mais c’est eux qui ont eu peur.