Hommage à Alison DESFORGES
Il n’y a pas de mots pour dire la tristesse engendrée par cette terrible nouvelle! Non je ne peux pas croire à la disparition d’Alison!
Pour avoir travaillé avec elle à l’élaboration du livre « Aucun témoin ne doit survivre » dans le cadre de la collaboration FIDH-HRW, je n’ai pas de mots pour dire à ses amis de HRW et à sa famille toute ma douleur. Mais je tiens ici à leur exprimer toute mon affection.
Alison n’est plus là, mais elle reste dans nos coeurs et nos mémoires. Elle était une grande chercheuse, elle était une grande militante des droits de l’Homme. Son exigence de vérité, sa rigueur dans la recherche et la vérification des faits sont et resteront des exemples pour tous les militants des droits de l’Homme.
Je la revois parcourant à grandes enjambées les rues de Butare ou celles de Kigali, poursuivie par des enfants criant «Muzungu, muzungu…» qui, étonnés par ce petit bout de femme, tentaient de caresser sa longue chevelure grise. Je la revois aussi discutant de sa voix douce, avec patience, pour faire surgir les faits, rien que les faits mais toute la vérité, pour qu’un jour justice soit rendue.
Mais sa voix douce pouvait devenir sévère, ironique, mordante face à ses détracteurs… que, pourtant, elle combattait avec patience. Je me souviendrai toujours aussi de sa rage devant l’indifférence ou le mépris de certains politiques français, européens ou d’ailleurs. Sa rage encore devant la disparition d’amis rwandais qui tentaient de faire avancer la cause des droits de l’Homme et de la démocratie.
Alison était une si belle personne avec des valeurs si nobles. Elle laissera à jamais son empreinte sur cette terre où elle a vu couler tant de sang.
Sa disparition est une grande perte pour la cause des droits au Rwanda, au Burundi et dans la région des Grands Lacs! C’est une grande perte pour l’Humanité toute entière.
Mais promis, Alison, nous saurons garder vivante ta mémoire, nous ferons tout pour suivre ton exemple et continuer ton combat pour qu’un jour enfin tous les êtres humains vivent et demeurent libres et en paix.
ex-Secrétaire générale de la FIDH
Alison Des Forges, historienne
L’accident a eu le caractère dramatique, mais explicable, des avions qui s’écrasent dans les pays stables. Alison Des Forges, historienne américaine et militante des droits de l’homme, spécialiste de la région des Grands Lacs d’Afrique et, tout particulièrement, du génocide rwandais, a disparu avec tous les passagers de l’appareil qui la ramenait chez elle, à Buffalo, aux Etats-Unis, le 12 février. Elle avait 66 ans1. Elle rentrait d’Europe où elle s’était de nouveau employée à tenir informés des responsables politiques sur la situation au Rwanda et dans les Grands Lacs.
Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo (RDC), pour tous ceux qui l’ont connue, arpentant inlassablement les terres tourmentées de l’Afrique centrale, où les abominations de la fin du XXe siècle ont culminé avec un génocide au Rwanda, c’est la fin brusque de près de vingt ans d’une présence particulière. L’historienne, formée à Yale, avait terminé en 1972 sa thèse sur un pays alors peu connu du reste du monde, le Rwanda. Avec le temps, devenue professeur, mariée à un autre historien, elle avait continué de revenir au Rwanda, pour le compte cette fois de l’organisation de défense des droits de l’homme américaine, Human Rights Watch (HRW), dont elle deviendra la principale conseillère pour l’Afrique et l’une des figures dominantes2.
Menue, avec son éternelle queue de cheval et des yeux bleus éclairés d’une tendresse tirant vers la candeur, Alison Des Forges avait de faux airs d’éternelle petite fille égarée dans un monde trop violent. Pendant près de vingt ans, sans ciller, elle a disséqué les abominations d’une région, rendant compte des souffrances à hauteur humaine, sans se laisser emporter par les vents mauvais idéologiques levés par le crime des crimes.
Au Rwanda, au début des années 1990, elle avait tenté de tirer la sonnette d’alarme sur les premiers massacres, ballons d’essai de la tentation d’exterminer la population tutsi et les hutu n’épousant pas les dérives extrémistes. Lorsque le drame commence, en avril 1994, Alison Des Forges tente de convaincre les conseillers de Bill Clinton de la nécessité de reconnaître qu’un génocide est en cours, et de s’y opposer. Elle échouera.
En 1999, elle était venue présenter au Rwanda le long rapport sur le génocide publié après quatre années de recherche par HRW et la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (Aucun témoin ne doit survivre, le génocide au Rwanda, Karthala), premier ouvrage majeur sur le sujet. A sa manière douce, après de longues salutations en kinyarwanda dans une salle paroissiale de Kigali, la capitale rwandaise, elle avait présenté ce travail colossal aux rescapés avec lesquels elle avait travaillé. Avant de s’excuser de ne pas être en mesure de leur distribuer des exemplaires de l’ouvrage, interdit par les autorités rwandaises.
Pourquoi le nouveau pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), issu de la rébellion tutsi, s’opposait-il à la diffusion d’un ouvrage sur le génocide qu’il avait, aimait-il à répéter, interrompu par les armes ? Sur les mille pages de la version française, une petite vingtaine était consacrée à la description de crimes commis par le FPR, dont l’ire, jamais, ne devait s’éteindre.
Le sens de la justice réclamait que soient aussi décrits ces crimes, certes sans comparaison avec ceux des « génocidaires ». Tristement, Alison Des Forges a disparu alors qu’elle venait d’être déclarée persona non grata par les autorités rwandaises. Fin décembre, elle avait fait une dernière tentative pour se rendre à Kigali. A l’aéroport, on ne l’avait pas laissé descendre de l’avion.
Ces jours-ci, l’historienne américaine devait se rendre au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, où elle avait été appelée comme témoin expert dans onze procès. Cette fois, elle devait tenter de convaincre le procureur du TPIR de ne pas abandonner les dossiers concernant les responsables militaires du FPR visés par des « enquêtes spéciales » dont le résultat devrait aboutir à des poursuites. Une responsabilité devant laquelle la juridiction internationale s’est jusqu’ici dérobée. Un manquement incompréhensible pour Alison Des Forges.
- Elle était née le 20 août 1942 dans l’Etat de New York.
- Une page du site Human Rights Watch (HRW) rend hommage à Alison Des Forges