4 000 articles et documents

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
Dans le camp rom du quartier de Ponticelli (AFP).

pogroms anti-Roms en Italie

De véritables pogroms anti-Roms ont enflammé Ponticelli, à l'est de Naples où des campements de tziganes ont été incendiés ces derniers jours dans le quartier surnommé le "Bronx de Naples". Un article de Marco Imarisio pour le Corriere della Sera témoigne de ce déferlement de haine et de violence.

Pogroms à Naples

par Marco Imarisio, Il Corriere della Sera, 15 mai 2008

NAPLES – Au début, il y a seulement une colonne de fumée, un signal que personne ne lie à l’essaim de cyclomoteurs qui traversent le croisement de rue Argine, deux garçons en selle sur chaque scooter. L’explosion arrive quelque instant après : ce sont les bouteilles de gaz entreposées dans une baraque prise par le feu. Les flammes arrivent jusqu’à la limite des lampadaires, la fumée devient un nuage noir et toxique, gonflée d’ordures et de plastiques calcinés. Les baraques des Roms de la rue Malibrand forment un bûcher énorme. Ponticelli, 13h30, le règlement de comptes avec les « tziganes » est définitif et sans pitié. La circulation qui devient folle, le son des sirènes, les camions des pompiers, des papiers noircis qui voltigent dans l’air, les agents de garde au camp qui se regardent, perplexes. Ils restaient devant, ceux à cyclomoteur sont arrivés par derrière. Ils ouvrent les bras, ensuite, ce n’est pas si grave, beaucoup des roms étaient partis dans la nuit. « Cela aurait été mieux s’ils avaient été là », regrette un homme en polo noir Adidas. « Ceux-là, on devrait tous les tuer ». Il parle depuis l’habitacle de sa Fiat Punto, où est accroché bien en évidence un crucifix où est écrit , « Sainte Maria delle Arco, protégez-moi. »

Le premier acte du spectacle, parce qu’il y en aura d’autres, s’est déroulé devant la Villa communale, l’unique oasis de verdure, avec piste cyclable annexe, de ce quartier à la périphérie orientale de Naples, où l’horizon est délimité par de vieux HLM, filles de la spéculation immobilière voulues par Achille Lauro. Un homme grisonnant avec un blouson de jeans sur les épaules est le plus enthousiaste. « Qui travaille honnêtement peut rester, mais pour les autres, il faut prendre des mesures, même avec le feu. Le feu purifie, il bonifie le terrain ». « De ces merdes qui ne se lavent jamais », ajoute un garçon avec des lunettes de soleil, cheveux gominés, tee-shirt à la mode avec un cœur dessiné dessus, celui produit par Vieri et Maldini. Il n’y a pas de démocratie et l’État ne nous protège pas. Il ajoute, « la purification ethnique est nécessaire » mais comprend-il vraiment le sens de cette phrase ?

Quand ils sont devant les télévisions, la réalité devient plus présentable, on embellit. La grosse femme avec le sac à provisions qui l’instant d’avant applaudissait et invectivait les pompiers – « laisse les brûler, autrement ils reviennent »- « Sainte Vierge quel désastre, pauvres diables, heureusement qu’ils ne reste personne là-dedans ». Le garçon aux lunettes de soleil devient soudainement plus calme : « c’est juste de les chasser, mais pas de cette manière ». La caméra de télévision s’éteint, il éclate de rire.

Sous un arbre, de l’autre côté de la rue, il y a un groupe de garçons qui observe la scène. Ils regardent tout le monde, personne ne les regarde. Ils semblent invisibles. Leur scooter est garé sur le trottoir. Le chef est un garçon avec un tee-shirt moulant noir, les cheveux coupés courts sur le côté. Tous les présents savent qui il est, ils en connaissent avec précision sa parenté. C’est un des petits-enfants du cousin du « maire » de Ponticelli, ce Ciro Sarno qui même depuis la prison continue à être le signore du quartier, chef d’un clan de camorra qu’il a fait de l’enracinement dans le quartier sa force. Quand il voit que la confusion est à son maximum, il fait un signe aux autres. Ils s’activent et ils démarrent leurs cyclomoteurs. Dix minutes après, du camp adjacent, celui en face des immeubles de douze étages appelés les Cinq tours, s’élèvent un autre nuage de fumée dense et épais. Le camp est délimité par un tas d’ordures et de bâches. Ce sont les premiers à brûler, la fumée enveloppe les HLM. La claque se déplace, à moins de 200 mètres, il y a un nouvel incendie à applaudir. Les garçons en cyclomoteur disparaissent.

La radio de Police secours informe qu’il y a aussi des flammes dans les deux camps de rue Virginia Woolf, à la frontière avec la commune de Cercola. Sur le sol détrempé, il y a une paire de bombes incendiaires rudimentaires. Les roms se sont échappés à la hâte. Dans les baraques, il y a encore des marmites sur les fourneaux, les cartables des enfants. À l’entrée d’une de ces habitations en tôle et contre-plaqué, tenu ensemble par une gomme spongieuse, il y a un tableau encadré qui contient la photo agrandie d’un enfant souriant, habillé en Polichinelle. Florin, carnaval de 2008, la fête de l’école élémentaire de Ponticelli.

A 14h50, il commence à pleuvoir à torrents, une pluie battante qui éteint tout. « Il valait mieux finir le travail », dit un homme âgé pendant qu’il se réfugie sous un auvent de la Villa communale. Une demi-heure plus tard, dans le quartier De Gasperi, on voit beaucoup de ces visages jeunes qui montaient et descendaient des cyclomoteurs. C’est le fortin des Sarno, des maisons agglomérés ceints par un vieux mur, avec une seule rue pour entrer et une pour sortir, avec des guetteurs qui feignent de lire le journal sur un banc et par contre qui sont payés pour signaler qui va et surtout qui vient.

Mais cette chasse à l’homme ne s’explique pas seulement par la camorra. Cela serait rassurant, mais il n’en est pas ainsi. En dessous de l’échangeur de l’autoroute Naples-Salerne, il y a encore les trois derniers camps Rom habités. Des plaques de ciment de l’autoroute tombent des flots d’eau marron sur les baraques. Vous êtes entourés par une série de panneaux en bois. Un groupe de femmes et de garçons qui habite dans les maisons les plus délabrées, celles de la rue Madonnelle, traverse la place et se mettent devant : « venez dehors pour que nous vous tuons », « nous avons préparés les bâtons ». La police se démène, un inspecteur tâche de raisonner ces femmes en furie. « Est-ce que vous n’êtes pas des braves gens », c’est ce qu’il leur dit, « Vous allez à l’église le dimanche, et maintenant vous voulez jeter de pauvres enfants à la rue ? »

Ouiiii répond le chœur.

De derrière les panneaux apparaît une fille, la tête couverte d’un foulard trempé de pluie, elle tremble, de froid et de peur. Comme pour se protéger, elle tient sur son sein une fillette de quelques mois. Elle salue une des femmes les plus exaltée, une dame bien en chair. Elle la connaît. « Cette nuit nous partons. S’il vous plaît, ne nous faites pas de mal ». La dame écoute en silence. Puis elle fait un pas vers la rom, et elle crache. Elle rate la cible, elle atteint en pleine figure la fillette. L’inspecteur qui restait sur la trajectoire du crachat incendie du regard la femme. Tous les autres applaudissent. « Bien, très bien ».

En avant vers le Moyen-Âge, chacun à son rythme.

Les nouveaux pogroms

[Courrier international, 16 mai 2008]
Dans le camp rom du quartier de Ponticelli (AFP).
Dans le camp rom du quartier de Ponticelli (AFP).

«Vous qui vivez en toute quiétude, bien au chaud dans vos maisons. Vous autres téléspectateurs, lecteurs de journaux, regardez et demandez-vous si cette femme, cet homme et cet enfant qu’une terrible photo nous montre assis à l’arrière d’un triporteur avec leurs pauvres affaires, fuyant une population assoiffée de sang, sont des êtres humains.» Au lendemain de deux jours de violences anti-Roms à Ponticelli, La Repubblica évoque les déportés juifs de Si c’est un homme de Primo Levi pour décrire l’ambiance qui règne dans cette banlieue de Naples, et en Italie en général. L’arrestation d’une jeune Rom qui avait tenté d’enlever un bébé de 6 mois a déclenché une vague de violences contre les campements nomades de la ville, dont deux ont été incendiés, et a provoqué la fuite de leurs occupants.

Une brève vidéo : www.la7.it/news/dettaglio_video.asp?id_video=12693&cat=cronaca.

En Italie, un climat de chasse à l’étranger

par Salvatore Aloïse, Le Monde, 17 mai 2008

L’Italie ne procédera pas à des  » expulsions de masse  » d’immigrés en situation irrégulière. Le ministre de l’intérieur, Roberto Maroni, s’est senti obligé de le préciser, jeudi 15 mai, après une journée où la question de l’immigration et des Roms, les Tziganes d’origine roumaine, a monopolisé les débats.

A la  » une  » des journaux, le matin, on pouvait voir les photos des incendies de camps de Roms à Ponticelli, près de Naples, à la suite d’une tentative de rapt d’un bébé italien de la part d’une Tzigane. Dans l’après-midi, le chef de la police criminelle Francesco Gratteri annonçait les résultats d’une vaste opération contre le crime lié à l’immigration clandestine : dans neuf régions du pays, 383 personnes dont 268 étrangers, essentiellement originaires de Roumanie et des pays du Maghreb, ont été interpellés pour trafic de drogue, exploitation de l’immigration clandestine, vols et proxénétisme. Une cinquantaine d’étrangers ont été expulsés. 65 autres ont été placés dans des centres de rétention.

Dans la soirée, la télévision diffusait les images de la descente nocturne de la police municipale de Rome dans le plus grand camp Rom de la ville. Un climat de chasse à l’étranger semble s’installer alors que le gouvernement prépare un tour de vis contre l’immigration. Le paquet de mesures sur la sécurité devrait être approuvé lors du premier conseil des ministres qui se tiendra la semaine prochaine à Naples. Selon la presse, il devrait prévoir le nouveau délit d’immigration clandestine, le test ADN pour les regroupements familiaux ainsi que la justification d’un revenu et d’un logement décent sous peine d’un rapatriement dans le pays d’origine. La loi, dit-on, viserait principalement les Roms. Lesquels sont 160 000 en Italie. Un  » commissaire  » aux Roms sera nommé à Milan, Naples et Rome. Une mesure annoncée après la rencontre entre le ministre Maroni et son homologue roumain Cristian David, dépêché à Rome après que Bucarest s’est émue de la dérive xénophobe en Italie. Tout semble réglé. Les rapports entre les deux pays sont  » excellents « , a déclaré M. David. La création d’une commission paritaire pour une coopération policière renforcée est envisagée. Mercredi, le premier ministre roumain assurait à ses compatriotes que le paquet législatif italien ne les ciblait pas.

Salvatore Aloïse
Facebook
Twitter
Email