Communiqué commun à la LDH-NC et à la LDH
Nouméa et Paris, le 19 avril 2008
De récents et nombreux conflits sociaux se sont déroulés en Nouvelle Calédonie. Ils ont été parfois accompagnés d’incidents avec les forces de l’Ordre et souvent de recours à l’institution judiciaire.
La Ligue des droits de l’Homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie et la Ligue Française des droits de l’Homme considèrent que les droits économiques et sociaux sont partie intégrante des droits de l’Homme. A ce titre elles ont toujours défendu l’action syndicale et le respect du droit de grève.
Sanctionner des salariés parce qu’ils participent à un mouvement de grève constitue une négation du droit de grève. La LDH-NC et la LDH-France condamnent sans réserve toute atteinte à ce droit.
Les salariés et leurs organisations syndicales sont parfaitement fondés à faire grève pour défendre des revendications collectives qui concernent l’ensemble des entreprises du pays comme l’action des pouvoirs publics. Enfermer l’action syndicale dans les seules limites de l’entreprise revient à isoler les salariés et à leur interdire toute action collective.
Il importe de rappeler à ce propos que l’action syndicale ne saurait se confondre avec l’action d’un parti politique et qu’il est tout aussi incompatible de mélanger les intérêts personnels et une activité syndicale.
Par ailleurs, l’exercice du droit de grève ne doit pas entraîner le recours systématique à la Justice, laquelle, depuis plusieurs mois, semble se transformer en Nouvelle-Calédonie en machine à réprimer les travailleurs, sans tenir compte des rapports de force déséquilibrés qui existent, par nature, en faveur des employeurs.
Si le respect des personnes et des biens, ainsi que la liberté d’accès aux lieux de travail s’imposent à tous, l’usage disproportionné, répété et mal venu, des forces de l’ordre ne peut que provoquer plus d’incidents qu’il ne prétend en éviter. Dans ces domaines, c’est la responsabilité de l’Etat qui est directement engagée, notamment dans sa volonté de traiter les choses sous le seul angle de la force.
La LDH-NC et la LDH-France seront attentives au résultat de l’enquête de l’IGPN en cours tout autant qu’au respect du droit de grève.
Pour la Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie
(LDH-NC)
le Président : Elie POIGOUNE
Pour la Ligue Française des Droits de l’Homme
le Président : Jean-Pierre DUBOIS
Kanak syndical et radical
Dernier venu sur la scène politique de l’île, l’USTKE bouscule l’équilibre entre les partis traditionnels. La radicalité de ses actions vaut à son président une possible peine de prison. Jugement aujourd’hui.
Il pleut ce soir-là sur Nouméa. Aux portes de Carsud, une entreprise de transports en commun, filiale de Veolia, flotte le drapeau de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), le principal syndicat indépendantiste de Nouvelle-Calédonie. Son slogan : «Usines, tribus même combat.» Sous les abris de tôle du piquet de grève où se relaient jour et nuit des militants depuis des mois, on met au point les modalités du dixième appel à la grève générale lancé depuis le début de l’année. Une étape de plus dans le bras de fer très politique engagé par le syndicat avec le patronat local et l’Etat au nom de la «défense du droit de grève».
Depuis la fin 2007, l’USTKE inquiète les autorités françaises, mais pas seulement elles. La coalition indépendantiste, vieillissante, du FLNKS 1 voit elle aussi d’un mauvais œil émerger une force politique et sociale qui la conteste et se pose en alternative. Quant au président local du Medef, Jean-Yves Bouvier, il est persuadé que derrière le combat syndical, l’USTKE vise ni plus ni moins «la prise du pouvoir par la déstabilisation sociale dans la rue». Un sentiment que nombre d’acteurs locaux partagent sans oser l’exprimer. D’aucuns redoutent aujourd’hui le retour des violences qui ont marqué ce territoire français du Pacifique sud dans les années 80, avant d’être stoppés par les accords de Matignon en 1988. Indépendantistes et loyalistes s’étaient alors entendus sur un partage du pouvoir local et l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, avec à la clé un référendum d’autodétermination à partir de 2014.
Premier syndicat de l’archipel avec 5 000 adhérents et 25 % des voix aux élections professionnelles, l’USTKE a décidé d’élargir son combat en créant en novembre sa propre formation politique, le Parti travailliste (PT). Dans la mouvance des idées de José Bové, un ami du syndicat, le PT a enregistré des résultats prometteurs aux municipales et mise aujourd’hui sur les élections territoriales de mai 2009, décisives pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Cette double casquette syndicale et politique, l’USTKE l’assume parfaitement. Ses discours radicaux sur l’indépendance, la «lutte contre l’Etat colonial» et son combat syndical sans concession séduisent de plus en plus de jeunes Kanaks.
L’argent coule à flots
Alors que l’argent de la métropole coule à flot et que s’étalent les fortunes vite amassées et les Porsche Cayenne, le syndicat-parti tente de réanimer la flamme indépendantiste. L’USTKE accuse les dirigeants du FLNKS de l’avoir laissée s’éteindre en s’installant dans les fauteuils des institutions locales où le consensus avec la droite anti-indépendantiste est la règle.
Pour l’Etat, comme pour les partis traditionnels pro ou anti-indépendantistes, l’USTKE et son Parti travailliste sont vécus comme une véritable menace. «L’USTKE ne défend jamais l’intérêt général mais des cas individuels limite. Elle rejette l’accord de Nouméa qui est le consensus et la paix, accuse un haut responsable de l’Etat sous couvert d’anonymat. Ses dirigeants veulent l’antagonisme et la lutte comme dans les années 80. Au fur et à mesure qu’on approche de 2014, ils savent qu’il n’y aura pas de majorité pour voter en faveur de l’indépendance. Pour éviter la stabilisation du lien entre la Calédonie et la France, ils ont donc opté pour la déstabilisation par la violence.»
Un succès de l’USTKE fragiliserait le FLNKS, interlocuteur historique de la France côté indépendantiste, et compromettrait le voyage de Nicolas Sarkozy courant 2009. D’ici là, une coalition hétéroclite semble bien décidée à entraver la montée en puissance du syndicat, en le remettant au pas à défaut de pouvoir le casser. «Voyous», «terroristes», «dictateurs en puissance»… Tels sont, entre autres, les mots utilisés ces dernières semaines par la justice, le Haut-Commissariat (qui représente l’Etat en Nouvelle-Calédonie), le patronat et les adversaires politiques de tous bords à propos des dirigeants de l’USTKE.
Ce lundi , un jugement à haut risque pour la paix civile doit être rendu à l’encontre du président du syndicat, Gérard Jodar. Un an de prison, dont six mois ferme, a été requis par le parquet de Nouméa. Du jamais vu pour un dirigeant syndical. Les 16 et 17 janvier, de très violentes échauffourées avaient opposé la police à l’USTKE autour de la société Carsud. Gérard Jodar n’a pas participé aux affrontements mais est accusé d’en être l’inspirateur. «Selon l’enquête, il a donné des instructions pour aller au contact et tenir le terrain face aux forces de l’ordre. Il manipule des gens pour des missions contraires à leur intérêt. Monsieur Jodar poursuit des buts qui ne sont pas du domaine syndical mais politique», confie le procureur de Nouméa, Robert Blaser. Pour lui, «le chef est plus responsable que les simples exécutants qui ont dit obéir à celui qu’ils considèrent comme leur général». Dix-neuf autres militants de l’USTKE ont comparu avec lui et se sont vu pour la plupart infliger des peines de prison. Ils étaient poursuivis pour «attroupement armé, violences aggravées et destruction de biens publics et privés».
Menottes, grenades…
Des témoignages dignes de foi, des photos et des vidéos (que Libération a pu visionner) indiquent que les policiers présents le 17 janvier ont agi avec un zèle inouï : menottages à des poteaux, tirs tendus de grenades, empilement des prisonniers les uns sur les autres… Des images montrent aussi la police en train de danser de joie après des tirs ou d’imiter des animaux sauvages face aux manifestants. Dans l’autre camp, des galets ont été jetés, des véhicules incendiés, le directeur de Carsud a été violenté. Saisie par le procureur de Nouméa, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a débarqué le 8 avril pour enquêter sur d’éventuels dérapages.
Au siège de l’USTKE à Vallée-du-Tir, quartier populaire et kanak de Nouméa, Gérard Jodar affirme au contraire avoir cherché l’apaisement. «Certains étaient si remontés qu’ils voulaient sortir les fusils et tirer sur la police. J’ai dû les calmer», dit-il. S’il est condamné à l’emprisonnement aujourd’hui, il fera appel et affirme qu’il n’ira pas en prison : «Il faudra venir me chercher.»En janvier, Jodar s’est déjà barricadé pendant un mois à l’intérieur du local de son syndicat. Dehors, la police veillait pour l’interpeller, jusqu’à ce que le Haut-Commissaire, prudent, renonce à employer la force pour l’en déloger.
A la tête de l’USTKE, on trouve deux hommes : son actuel président, Gérard Jodar, 56 ans, et Louis Kotra Uregei, 57 ans, son fondateur en 1981. Jodar est blanc. Il est arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1972 lors d’un tour du monde, pour ne plus en repartir. Uregei est un Kanak originaire de l’île de Tiga. Retraité de la Poste, il s’est reconverti dans les affaires. Dans un pays où les lignes ont longtemps été marquées par la seule appartenance ethnique, cet attelage continue à déranger. Lors d’une visite mouvementée en octobre, le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer Christian Estrosi 2 avait tenu à les rencontrer. Dialogue de sourds. S’en prenant aux «comportements excessifs» de l’USTKE, il finit par dire à Gérard Jodar : «Vous êtes quand même citoyen français !» Réponse du syndicaliste :«Non, je suis citoyen kanak.» Si Jodar reproche au FLNKS de «vouloir rester indépendantiste pendant encore un siècle», il assure avoir créé le Parti travailliste «non pas contre le FLNKS mais pour répondre à ce qu’il ne défend pas : l’emploi local, le Smic, les transferts de compétence, l’indépendance… L’inertie de la coalition indépendantiste officielle ne nous satisfait pas.»
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