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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Nouvelle-Calédonie : le rêve de Pierre Messmer

En 1970, Roger Laroque, maire de Nouméa, déclare : « Il faut faire du Blanc ». En juillet 1972, dans une lettre adressée à son secrétaire d’État aux DOM-TOM, le Premier ministre, Pierre Messmer, écrit : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et à moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’Outre-mer (Réunion), devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés ». Ce scénario n'est-il pas en voie de réalisation dans un pays que l'on pensait engagé dans un processus de décolonisation ?

Les “métros” débarquent sur le Caillou

par Xavier Ternisien, Le Monde du 20 avril 2008

Il est une terre de France où le chômage n’existe pas, où la croissance est de 6 % par an. Les journaux y débordent de petites annonces d’emplois. Les impôts sont bas, les traitements des fonctionnaires quasiment multipliés par deux, les tracasseries administratives inexistantes. Le soleil y brille toute l’année, la mer est bleu turquoise, la nature luxuriante. Ce paradis est à 20 000 km et vingt heures d’avion de Paris. C’est la Nouvelle-Calédonie.

Le secret commence à être éventé. Chaque année, des centaines, voire des milliers de Français de métropole viennent vivre sur le Caillou. Estimation basse : selon l’Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie (Isee), 14 000 « métros » se seraient installés entre 2000 et 2004. Aujourd’hui, le solde migratoire oscillerait entre 800 et 1 200 nouveaux arrivants par an. Estimation haute : d’après Harold Martin, président (l’Avenir ensemble, centre droit) du gouvernement local, 7 500 Français de métropole se sont installés en 2006. « C’est un chiffre qui augmente un peu plus chaque année depuis le début des années 1990 », avance M. Martin. On imagine le bouleversement démographique que provoque ce flot constant de nouveaux arrivants dans un pays de 250 000 habitants.

Beaucoup de jeunes à la recherche d’un emploi tentent l’aventure. Beaucoup d’artisans, plombiers, maçons, qui aiment le grand air et ont l’esprit pionnier. « On manque de tout, dans tous les secteurs, affirme Harold Martin. Dans le BTP, le tourisme, l’hôtellerie-restauration, les services. Récemment, un hôtel de Païta cherchait un cuisinier. Il a mis une annonce sur Internet. Résultat : 240 réponses en trois semaines, tous des métros. » La construction de deux usines de nickel, l’une dans le Sud, à Goro, l’autre dans le Nord, près de Koné, devrait engendrer 7 000 emplois en phase de construction, et 2 000 en phase de fonctionnement. Sans compter les emplois induits.

A Nouméa, cet afflux de Français de métropole fait flamber les prix de l’immobilier. En bord de mer, l’Anse Vata et la baie des Citrons se donnent des allures de petit Nice. Des retraités bronzés font du vélo, des militaires courent leur jogging, les jeunes au look de surfeurs traînent leur ennui à l’ombre des cocotiers. Pas un Kanak à l’horizon. La richesse s’affiche sur la route qui longe la plage : 4 × 4, pick-up « double cabine » et, le nec plus ultra, Porsche Cayenne, dont il se vend un exemplaire par mois à Nouméa. Les complexes du type appart-hôtel ont poussé comme des champignons depuis 2003. Les principaux clients sont des métropolitains en phase d’installation et des retraités de la fonction publique, qui bénéficient ici de « faveurs ». Actuellement, 4 600 personnes profitent d’un dispositif d’inexation en Nouvelle-Calédonie. Elles n’étaient que 1 600 en 1989. Pour avoir une retraite indexée, il suffit de résider en Nouvelle-Calédonie six mois par an. Aucun contrôle n’est effectué.

Ici, un professeur retraité gagne 6 000 euros par mois, un colonel à la retraite 9 000, un magistrat 10 000. Des couples de professeurs, dont le revenu mensuel peut dépasser les 10 000 euros, rachètent de vieilles maisons coloniales en bois dans les quartiers du Faubourg Blanchot et de la Vallée des Colons, à Nouméa, et les retapent. Sur les chantiers des usines de nickel, d’anciens capitaines de gendarmerie, qui ont pris leur retraite avant 50 ans, sont recrutés pour former les Kanaks aux métiers de la surveillance. Ils cumulent les avantages et peuvent ainsi gagner jusqu’à 6 000 euros par mois.

Même à Bourail, la capitale des « broussards », c’est-à-dire des Caldoches ruraux, située sur la côte ouest de la Grande Terre, le maire, Jean-Pierre Aïfa (l’Avenir ensemble), constate une arrivée massive de « zoreilles », comme on appelle les métropolitains. Il en veut pour preuve les 500 voix que Ségolène Royal a obtenues à la présidentielle, dans une commune qui vote traditionnellement à droite. Ils seraient déjà un millier sur les 5 000 habitants que compte cette ville aux allures de Far West. « C’est un phénomène qui ne peut que s’amplifier, estime le maire. Les zoreilles viennent pour l’espace, la mer, la plage de sable blanc. Ce sont des professeurs, des médecins, des kinés, des infirmières libérales. »

Il est vrai qu’avec une densité de 10,6 habitants au km² et des besoins de main-d’oeuvre, la Nouvelle-Calédonie peut en théorie accueillir beaucoup d’immigrants.

Mais cette venue massive de Français non calédoniens inquiète. « C’est une bombe à retardement », prédit Etienne Dutailly, directeur du mensuel satirique Le Chien bleu. « Nous sommes dans une spirale absurde, affirme Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de Nouvelle-Calédonie. L’Etat finance les immeubles à travers la défiscalisation et paye ceux qui vont en profiter, les retraités indexés. Tout cela au détriment des générations futures, qui régleront la facture, et sans profit pour le développement du pays. Cela prouve que l’Etat n’est pas géré. » L’annonce, faite par Nicolas Sarkozy, le 4 avril, de la fin de l’indexation des retraites, rassure le professeur de droit, même s’il trouve que ce n’est pas suffisant.

La croissance économique et l’arrivée massive des métros contribuent à créer une bulle spéculative dans l’immobilier. Les prix flambent et le logement social ne suit pas. Sept mille dossiers sont en attente. Les travailleurs pauvres et les chômeurs, qui sont tous kanaks, polynésiens ou wallisiens, sont rejetés à la périphérie de Nouméa. Dix mille d’entre eux vivent dans des bidonvilles dans les faubourgs de la ville. A Dumbéa, ville au nord de l’agglomération, 20 % de la population vit dans des baraquements.

Le problème est aussi politique. Le dernier recensement disponible prenant en compte les données ethniques, celui de 1996, donnait 44 % de Kanaks dans la population. Aujourd’hui, cette part est sans doute plus faible. Les Mélanésiens craignent de subir le sort des Aborigènes en Australie. Le premier boom du nickel, dans les années 1970, avait provoqué l’afflux de milliers de métropolitains et de Wallisiens, contribuant à affaiblir l’influence des Kanaks.

Aujourd’hui, les indépendantistes sont rassurés par le gel du corps électoral, adopté en 2007. Celui-ci prévoit que seuls pourront voter aux élections provinciales et au référendum d’autodétermination, qui aura lieu entre 2014 et 2018, les électeurs présents en Nouvelle-Calédonie depuis 1998. Les opposants à l’indépendance, de leur côté, ont tendance à encourager l’arrivée des métropolitains. Pour Mathias Chauchat, cette immigration n’est ni plus ni moins qu’une « colonisation de peuplement ». Or, depuis les accords de Matignon, en 1988, la Nouvelle-Calédonie est censée être engagée dans un processus de décolonisation.

Xavier Ternisien
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