Un musée-mémorial pour ressusciter le camp de Rivesaltes
A la sortie d’autoroute Perpignan-Nord, un panneau indique « Camp de Rivesaltes site du mémorial ». Une pancarte arrachée de haute lutte à la direction départementale de l’équipement pour indiquer, parmi les destinations touristiques, l’emplacement d’un trou noir. Quelques centaines de mètres plus loin, des ruines émergent d’une végétation touffue, entre des entrepôts qui grignotent l’emprise de l’ancien camp Joffre, théâtre d’un camp d’internement de sinistre mémoire.
Le conseil général des Pyrénées-Orientales a racheté à l’armée l’îlot F, un petit morceau de cet immense territoire de 300 hectares. Sur 42 hectares s’alignent encore les squelettes de dizaines de baraques construites à la fin des années 1930.
C’est ici que doit être créé un mémorial, destiné aussi à réveiller les souvenirs de la population locale. « On sait qu’il s’est passé des choses ici, mais les questions restaient sans réponses il y a encore quelques années. C’est un passé qu’on n’aime pas trop évoquer », commente Marianne Petit, ancienne directrice de la culture au conseil général. Plus de quatre-vingt mille personnes ont été internées au camp de Rivesaltes, et beaucoup y sont mortes de froid et de faim. « La plupart n’étaient pas retenues pour ce qu’elles avaient fait, mais en vertu du danger potentiel qu’elles représentaient pour la société, aux yeux de l’Etat », poursuit Mme Petit.
Dès 1939, les militaires laissent la place à des républicains espagnols chassés par les troupes de Franco, puis en 1941 et 1942, à des juifs, souvent étrangers, en « transit » vers les camps de concentration. Suivent des Tziganes, puis des prisonniers allemands et des collaborateurs après la Libération. Des harkis rapatriés y sont cantonnés à partir de 1962, dont les derniers quittent le camp dans les années 1970.
Selon les époques, prisonniers ou assignés à résidence fournirent une main-d’oeuvre très bon marché à des agriculteurs ou à des industriels de la région. Encore récemment, jusqu’à un millier de sans-papiers séjournaient chaque année dans le centre de rétention administrative entouré de barbelés. Il a été déplacé il y a quelques mois.
En 1997, les derniers vestiges de cette histoire faillirent disparaître et les « indésirables » tomber dans l’oubli : Christian Bourquin, élu en 1998 président (PS) du conseil général, raconte qu’il ne manquait que sa signature sur l’ordre de raser le camp. Dans quelques semaines sera déposé un nouveau permis de construire sur cette zone morte. Il aura fallu une pétition, signée par Simone Veil, Edgar Morin, Claude Simon et bien d’autres, et dix ans de mobilisation politique et citoyenne pour qu’un projet émerge.
Le musée-mémorial de 3 000 m2 dessiné par l’architecte Rudy Ricciotti n’a pas eu de mal à convaincre le jury du concours international lancé en 2005. Fiché dans le sol comme une écharde dans les consciences, son bâtiment, un monolithe de béton, est pratiquement enterré. Vue de face, cette grande dalle, ou faut-il y voir une stèle, entre en résonance avec le sol usé des baraques, à quelques mètres.
Le contenu muséographique est encore en permanente évolution, sans cesse augmenté des témoignages recueillis dans toute l’Europe et de l’exploration d’une histoire encore peu connue. Il a été confié à Denis Peschanski, directeur de recherches au CNRS, dont la thèse publiée en 2002 porte sur l’internement en France entre 1938 et 1946, et à Lydia Elhadad, scénographe de la Cité de l’immigration à Paris.
« Toute la difficulté consiste à raconter l’histoire de tous sans tenter de savoir quelle communauté a le plus souffert ou réserver à chacune un quota de mètres carrés dans le musée », expliquent les membres du comité scientifique. Faut-il cristalliser des baraques ? Les reconstituer ? Comment définir un parcours dans un lieu aussi vaste ? Il manque encore des réponses pour raconter l’histoire du camp de Rivesaltes tout en s’interrogeant sur une notion très contemporaine, l’internement.
Ces dix ans de réflexion ont en tout cas fait revivre le lieu, bien avant l’ouverture du musée, prévue pour 2010 au plus tôt, après avoir été d’abord annoncée pour 2008. Le camp de Rivesaltes est désormais inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, seule contribution à ce jour de l’Etat à un projet de 18 millions d’euros financé par les collectivités locales, l’Europe et des associations. Un parking y est aménagé, des panneaux retracent son histoire en français, en espagnol, en anglais et en allemand, bientôt en hébreu.
Depuis la première ouverture au public en 2005, les Journées du patrimoine y attirent 4 500 personnes chaque année. Deux professeurs sont détachés par l’éducation nationale pour animer des ateliers pédagogiques, y amener des élèves de collège, leur faire rencontrer des survivants des différentes communautés. L’îlot F sert parfois de décor à des spectacles de danse contemporaine, des installations d’artistes ou de photographes, « à condition qu’ils aient un rapport avec l’histoire, évidemment », explique Mme Petit, devenue directrice du projet.
Alors que le Mémorial du camp de Royallieu, à Compiègne, a été inauguré le 23 février et que des projets similaires sont en préparation aux camps de Drancy, de Gurs et des Milles, le conseil général des Pyrénées-Orientales ne perd pas de vue les retombées touristiques et économiques qu’un tel projet peut apporter à un département traversé par quatre millions de visiteurs chaque année. La proximité de Perpignan, d’une autoroute, d’un aéroport, de la frontière espagnole et de Barcelone font partie des clés de son succès. Et des arguments que la collectivité commence à mettre en avant. L’hommage aux disparus peut aussi servir le marketing territorial.