Communiqué de la LDH
Algérie : liberté de conscience contre la religion d’Etat
Ce mardi 27 mai, le tribunal de Tiaret va rendre son verdict contre une jeune femme convertie depuis quatre ans au christianisme pour pratiquer « un culte non musulman sans autorisation ». Sept autres membres de la communauté chrétienne de cette ville seront aussi jugés le même jour pour prosélytisme.
Cela fait déjà plusieurs mois que les minorités chrétiennes subissent une sorte de harcèlement. Le pasteur Hugh Johnson a été obligé de quitter l’Algérie alors qu’il y résidait depuis quarante-cinq ans. Deux instituteurs algériens convertis ont été radiés de l’enseignement. Un prêtre catholique français d’Oran a été condamné à de la prison avec sursis pour avoir organisé un culte avec des migrants subsahariens. Pourtant la constitution algérienne garantit la liberté de culte et de conscience.
La Ligue française des droits de l’Homme s’inquiète vivement de la situation que connaissent les minorités religieuses aujourd’hui en Algérie. Elle apporte son soutien aux voix algériennes, de journalistes et d’intellectuels qui ont lancé dès le 17 mars un appel à la tolérance et pour le respect des libertés.
La liberté de conscience, celle de croire comme celle de ne pas croire, font partie des droits fondamentaux indérogeables que protègent les conventions internationales auxquelles l’Algérie est partie. Aucune atteinte à ces libertés n’est tolérable où qu’elle advienne et quels qu’en soient les auteurs.
Communiqué du Manifeste des libertés
Notre solidarité avec les chrétiens d’Algérie
Des médias dignes de foi font état d’un climat de harcèlement et de pressions sur les Eglises chrétiennes, tant catholiques que protestantes, à travers tout le territoire.
La loi du 28 février 2006, régissant les « conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans », a pour objectif premier d’assurer « la tolérance et le respect entre les différentes religions ». Les restrictions qui l’accompagnent ne visent que « les activités illégales des évangéliques néo-conservateurs développant un prosélytisme agressif ». Aujourd’hui, ces restrictions sont étendues aux membres des autres Eglises, dont le comportement ne peut être assimilé à du « prosélytisme ».
Outre les difficultés de tous ordres auxquelles sont confrontées les communautés évangéliques récemment constituées, on rapporte :
- l’expulsion, en 2005, d’une vingtaine d’étudiants africains qui avaient participé à une rencontre biblique à Tizi-Ouzou ;
- la radiation de l’Education nationale pour « prosélytisme » d’un directeur d’école et d’un instituteur, citoyens algériens de confession chrétienne, en décembre 2007 ;
- les tracasseries administratives pour les visas d’entrée des responsables de congrégations religieuses engagées dans le pays, ou pour leurs remplacements ;
- la condamnation, le 30 janvier 2008, par le tribunal de Maghnia, du Père Pierre Wallez, du diocèse d’Oran, à un an de prison avec sursis pour avoir prié, un mois plus tôt, le lendemain de Noël, avec un petit groupe de migrants clandestins subsahariens « hors d’un lieu de culte » ;
- la condamnation, par ce même tribunal, à deux ans de prison ferme, d’un médecin algérien accompagnant le Père Wallez : il est accusé d’avoir exercé la médecine hors du centre public de soins dont il a la charge, en faisant usage du matériel du centre ;
- l’expulsion – suspendue, depuis – du pasteur Hugh Johnson, ancien président de l’Eglise protestante d’Algérie, où il réside depuis quarante-cinq ans, et de quatre volontaires brésiliens de la communauté Salam.
Ces mesures qui nous préoccupent au plus haut point sont la marque d’une idéologie rétrograde et obscurantiste, empêchant l’exercice des libertés individuelles de conscience, de culte et d’expression, que garantit la Constitution.
Peut-on oublier qu’à la tête de l’Eglise d’Algérie, monseigneur Duval fut l’une des premières personnalités à condamner publiquement la torture pratiquée par l’armée française, et que de nombreux réseaux chrétiens ont soutenu activement la lutte du peuple algérien pour son indépendance ? Faut-il rappeler le prix que l’Eglise a encore payé durant les années 1990 pour ses relations d’amitié et de partage, avec l’assassinat de dix-neuf de ses membres, dont monseigneur Claverie, évêque d’Oran, et les sept moines de Tibéhirine. Comment ignorer qu’aujourd’hui encore, loin de tout prosélytisme, elle reste « Eglise de la rencontre ».
L’Algérie doit redevenir un pays d’accueil et de fraternité pour tous ceux qui y vivent, et ne pas céder au climat d’islamisme rampant dont de tels agissements sont les symptômes.
Nous assurons les chrétiens d’Algérie de notre sympathie et de notre solidarité, et demandons aux autorités de mettre fin à la campagne de harcèlement à leur égard.
Paris, le 27 mars 2008.
A quand la liberté de culte ?
– A-t-on le droit d’adhérer à une religion différente de nos parents ? Oui
– Peut-on imposer à une personne de se convertir à une religion ? Non
– Doit-on laisser les autres religions exercer leur culte ? Oui
Les autres religions font-elles partie de notre patrimoine identitaire ? Oui. Il y a tant d’autres questions que les Algériens doivent en poser, car c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu. L’ordonnance n° 06-08 du 28 février 2006 adoptée le 20 mars 2006, qui fixe les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans, est une loi injuste et ne trouve guère sa place dans le monde civilisé. Je me suis déjà exprimé à propos de cette loi que je trouve rétrograde et qui ne correspond pas à l’image d’un pays en pleine effervescence économique. En outre, cette loi ne respecte pas les normes d’une République moderne.
J’espérais que notre Etat parvienne à protéger la liberté des consciences au lieu de les limiter à une seule conscience. N’est-ce pas là un retour à l’esprit totalitaire ? Les gouverneurs doivent intégrer dans leur pensée que nous sommes dans une République et non pas un royaume, que nous sommes des citoyens et non pas des sujets ! La citoyenneté est basée sur le respect des droits et devoirs de chacun. Cependant, la religion se situe au niveau individuel, c’est à l’individu de choisir une liberté, une conscience qui lui correspond. Et l’Etat doit être le garant de cette diversité (article 36 « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables »). Le mouvement national émane du modèle républicain français et est nourri par ses valeurs comme la laïcité, l’Etat de droit, la justice sociale, etc., (le fondateur du PPA, père du mouvement national, était influencé par Mustafa Kemal, fondateur de la Turquie moderne « 1923 – 1938 »).
Cependant, la pratique démocratique est difficilement compatible avec la problématique de l’identité (religieuse) se définissant par les frontières qui séparent de l’autre. La campagne politico-médiatique, en considérant toute question comme une agression et toute réponse comme une riposte, me semble exagérée et infondée. S’attaquer à une minorité qui ne représente même pas 1% de la population algérienne ne constitue qu’une provocation gratuite. Cette minorité représente-t-elle un danger pour le pays ? Porte-t-elle un message de haine et d’intolérance ? Ce qui me gène dans cette question, c’est l’infantilisation du peuple algérien : on choisit à sa place. Depuis un siècle et demi, les Algériens étaient sous la domination coloniale française. Ils n’avaient guère songé à renoncer à leur religion (même les harkis sont restés fidèles à leur religion qui fait partie de leur identité). Cela dit, ceux qui ont opté pour d’autres formes de croyance et d’incroyance aiment leur pays comme tout le monde. Ils sont fiers d’appartenir à la nation algérienne et sont parfois plus chauvins que ceux qui se réclament les gardiens du temple « de l’identité nationale ». Cette campagne médiatique est menée à la manière d’Al-Jazeera : chaque jour, nous avons droit à un article sur la communauté chrétienne algérienne vivant en Algérie ou ailleurs. Ce n’est qu’une alimentation de l’idéologie et de la pensée répandue, adoptée par ceux qui croient aux chocs des civilisations ! Tant mieux, s’il existe dans ce pays des personnes qui pensent et croient différemment, car si tout le monde pense de la même façon, personne ne pense, comme dit le philosophe. Nous sommes très loin du cas des pays d’Orient où chaque religion est importante.
La présence chrétienne en Algérie ne date pas d’aujourd’hui, elle fait partie de l’histoire de notre nation. Des noms célèbres de l’Eglise ont marqué l’histoire de cette dernière. Doit-on nier cette partie de nous ? Doit-on l’extirper de nos manuels scolaires, de nos têtes pour satisfaire une minorité qui ne parvient pas à regarder et à assumer toutes les racines historiques de cette partie du monde. Pendant la guerre de Libération, combien de prêtres ont-ils pris position pour l’indépendance de notre pays ? A-t-on oublié le combat mené par le Témoignage Chrétien contre la torture en Algérie ? Chrétiens et communistes du monde ont participé de près ou de loin à l’indépendance de notre pays. On se souvient du cardinal Duval, le père Clavier, le père Scotto, des sept moines sauvagement assassinés et tant d’autres qui ont donné leur vie pour nous et notre pays. Ils aiment notre pays, ils ont épousé nos traditions, notre langue. Ils étaient là (ils sont toujours) avec nous pendant la décennie noire, en assurant les bibliothèques, des espaces de culture, alors que les autochtones quittaient le pays. Ce ne sont pas le père Pierre Wallez, qui célèbre une messe pour une fête de Noël pour les chrétiens émigrants, ni le centre social où travaille le père Jan Heufi (qui a consacré sa vie aux sourds et muets algériens) qui vont déstabiliser le pays.
Imaginons qu’une communauté musulmane, vivant clandestinement dans un pays européen, célèbre la prière de l’Aïd et que les autorités de ce pays emprisonnent l’imam pour prosélytisme. Quelle serait la réaction des musulmans du monde ? On parle beaucoup de la tolérance et on crie à l’injustice, lorsque les autres touchent à nos libertés, mais qu’en est-il de nous ? La liberté du culte chez nous régresse et cette intolérance pousse des Algériens à l’exil. Il serait préférable de canaliser l’énergie gaspillée pour semer la peur de l’autre, afin de construire un Etat de droit et développer la modernisation de notre société. Comme l’a écrit Lahouari Addi, « le plus urgent n’est pas de définir aujourd’hui les fondements culturels de la nation ; il est plutôt de la doter d’institutions représentatives des individus et des groupes sociaux qui la constituent sociologiquement et qui eux-mêmes construiront à travers le temps les fondements culturels. La culture n’est pas seulement une mémoire collective, elle est surtout une pratique vivante en perpétuel devenir ».
Note – Dans le préambule de la Constitution algérienne, on trouve que la Constitution est au-dessus de tout, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs.