Voici ce que l’on pouvait lire début novembre 2007, dans La Dépêche
Un mémorial sera construit dans le camp où furent internés juifs, tziganes et réfugiés espagnols. Mais qui sait qu’un centre de rétention y existe encore, avec ses barbelés ?
C’est la décision qu’on n’osait espérer : le centre de rétention administrative quittera fin novembre le camp de Rivesaltes pour s’installer à côté de l’aéroport de Perpignan dans des locaux plus grands. Coupé du monde, accessible par un mauvais chemin bordé de panneaux interdisant de pénétrer sur des terrains militaires, ce centre était soumis à d’incessantes critiques et aux rapports sévères de la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués). Mais surtout, avec ses barbelés et ses caméras de surveillance à l’entrée, il perpétue malgré lui le douloureux souvenir de l’ancien camp d’internement de Rivesaltes au milieu duquel ce centre a été installé en 1984. Car l’endroit n’est pas neutre. Rivesaltes est bien le plus grand camp qu’ait jamais connu la France. Aujourd’hui, il reste aussi le mieux conservé avec ses centaines de baraquements qui essayent de résister encore à l’assaut du temps et des hommes.
Le centre de rétention offensait donc la mémoire des lieux. Depuis 23 ans, il a vu passer vingt mille clandestins en situation irrégulière, interpellés à 95 % par la Police de l’air et des frontières, à la gare de Cerbère ou de Port-Bou, sur la plate-forme autoroutière du Perthus. Des Marocains, mais aussi des Roumains, des Algériens et des ressortissants d’Amérique latine. Tous vivent « dans des pièces de 9 m² avec deux lits de camp, des chambres souvent froides l’hiver, extrêmement chaudes l’été. Il n’existe aucune séparation entre hommes et femmes et, contrairement à beaucoup d’autres centres, ils sont enfermés la majorité de la journée dans leur chambre », note l’enquêteur de la Cimade dans un rapport publié il y a un mois.
On comprend pourquoi beaucoup exigeaient le départ de ce centre qui n’aurait jamais dû être dans ce lieu aussi chargé d’histoire. D’août à octobre 1942, neuf convois sont partis pour l’Allemagne, rassemblant 2 313 juifs, dont 110 enfants. « C’était une sorte de Drancy de la zone libre», dira Serge Klarsfeld lors de l’inauguration des stèles du souvenir érigées en 2003. Mais y furent prisonniers aussi des tsiganes, des réfugiés espagnols, des prisonniers allemands et des collabos, et puis des harkis avant que le camp d’instruction militaire créé en 1938 ne retrouve sa vocation première.
[Note de LDH-Toulon] Les harkis n’étaient pas à proprement parler prisonniers mais plutôt enfermés dans le camp dont ils ne pouvaient sortir que dans des conditions exceptionnelles.
Quelques informations sur le CRA de Rivesaltes
Le centre de rétention administrative (CRA) de Rivesaltes se situe sur le camp militaire Joffre, près de Rivesaltes et à une quinzaine de kilomètres au nord de Perpignan. Il est difficile de trouver le centre si on n’a pas une description détaillée du chemin. En effet, pour y arriver, il faut s’engager sur une petite route en mauvais état, bordée de plusieurs panneaux indiquant “zone militaire, défense d’entrer”. Sur ce terrain vague, on voit au loin les anciens baraquements où furent internés les “indésirables” des années 40, à savoir étrangers, juifs et Tsiganes.1
En 2007, 1 023 personnes (dont 35 femmes, transférées à Sète ou Toulouse) sont passées par l’ancien centre de Rivesaltes ou par le nouveau de Torremila, avec une durée moyenne de séjour de 4 jours.
Au cours de 2006, il y en avait eu 1 094 (dont 157 femmes) pour une durée moyenne de séjour de 5,65 jours, et 974 en 2005. 2
La rétention administrative… qu’est-ce que c’est ?
«La rétention administrative est une privation de liberté spécifique pour les étrangers en instance d’éloignement du territoire français ». Il s’agit du placement par une préfecture « dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire » d’un étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement forcé. La durée maximale de maintien en rétention est de 32 jours. Au-delà de cette période, l’étranger que l’administration n’aura pas réussi à reconduire devra être remis en liberté, souvent sans que sa situation ne soit régularisée. Il peut alors revenir plusieurs fois en rétention.
La capacité des centres, qui était de 1 200 places en 2005, est passée à 1 800 places fin 2006 pour 24 centres, et elle dépassera 2 000 places en 2008.
31 232 personnes ont été enfermées (on dit “retenues” dans le langage administratif) en CRA au cours de l’année 2006 ; parmi elles 197 enfants, dont la moitié étaient nés en France.
- Qu’ont-ils fait pour être enfermés ? Quel délit, grave, ont-ils commis qui justifie leur rétention ? Quel tribunal en a décidé ?
Les retenus n’ont commis aucun délit, ils n’ont été condamnés par aucun tribunal, ils sont enfermés par une décision administrative prise par une préfecture. Pourquoi ? Parce qu’ils sont étrangers et que leur situation administrative est irrégulière.
- Comment devient-on en situation irrégulière ?
La situation administrative d’un étranger peut devenir irrégulière pour toutes sortes de raisons dont vous trouverez des exemples sur le site de Resf.
- La rétention a-t-elle toujours existé ?
Non ! Les lois Bonnet (1980) et Peyrefitte (1981) ont légalisé les mesures d’expulsion du territoire d’étrangers en situation irrégulière et autorisé la privation de liberté de ceux-ci sur décision administrative. La loi du 29 octobre 1981 a organisé la rétention administrative. De 1981 à 1998 la durée maximale de rétention est passée de 7 à 12 jours, et la loi « Sarkozy » du 26 novembre 2003 l’a portée à 32 jours. Nicolas Sarkozy Le ministère de l’intérieur fixe des objectifs chiffrés de reconduites à la frontière : 15 000 pour 2004, 20 000 pour 2005, 25 000 pour 2006. Le décret du 30 mai 2005 prévoit la présence d’enfants en rétention dans des centres habilités à cet effet.
Ce n’est pas du Kafka, mais ce sont des vies humaines qu’on maltraite, des familles qu’on brise.
Le nouveau CRA de Torremila 3
D’une capacité d’accueil de 48 hommes, contre 21 dans l’ancien centre de Rivesaltes,
le CRA de Torremila est implanté sur un terrain de 13 000 m² proche de l’aéroport de Perpignan-Rivesaltes (Lotissement Torremila, Rue des Frères-Voisin) ce qui facilitera les départs.
Le centre est, comme le précédent, placé sous la surveillance de la gendarmerie nationale qui quadruple ses effectifs. Bien qu’initialement «autorisé à accueillir des
familles», donc des enfants, par l’arrêté du 2 novembre 20074.
le centre n’admettra ni femmes ni enfants dans son enceinte. Elles ne seront pas pour autant exemptes de rétention mais envoyées dans les CRA de Sète ou Toulouse.
L’équipement du centre est moderne. Peu de barbelés, mais caméras et détecteurs infrarouges, grillages sécurisés, barreaux aux fenêtres et portes blindées sont l’horizon des futurs « retenus » avant leur transfèrement. Son règlement intérieur a été approuvé par l’arrêté préfectoral N°4457 du 17 déc 2007.
Manifestation, le 19 janvier 2008, journée européenne contre l’emprisonnement des étrangers sans-papiers
Centre de rétention : « aucun être humain n’est illégal»
Pus de 120 personnes se sont rassemblées hier devant le nouveau centre de rétention administrative, chemin de Torremila, pour dire non au projet de directive qui ferait passer la durée maximale d’enfermement de 32 jours à 18 mois.
Trois rangées de grillage. Et plusieurs mètres de no man’s land asséché par le vent. Voilà désormais avec quoi il faut composer pour tenter d’instaurer un dialogue avec les sans-papiers du nouveau centre de rétention administrative, à Torremila. « On a besoin d’aide ! » La phrase parvient jusqu’aux 120 personnes rassemblées à l’extérieur. À l’appel du Réseau éducation sans frontières (RESF), elles sont venues accrocher des banderoles aux grilles : « Aucun être humain n’est illégal ». La raison de leur colère, c’est le projet de directive, qui doit être soumis au Parle¬ment européen prochainement, et qui prévoit l’allongement de la durée de rétention à 18 mois. « Ce n’est plus de la rétention, c’est de la détention », s’insurgent plusieurs manifestants, pointant du doigt le symbole représenté par l’implantation du nouveau centre à quelques centaines de mètres de l’aéroport.
« Cette directive prévoit non seulement l’allongement de la durée de la rétention, mais également une interdiction pour cinq ans de revenir en Europe pour toutes les personnes renvoyées. Ce qui stigmatise les sans-papiers et les transforme en personnes à exclure, alors que leur seul délit est de vouloir vivre en Europe », dénonce RESF dans une pétition destinée à appeler les parlementaires européens à rejeter ce projet.
Le RESF de l’Aude a fait le déplacement
« Déjà, cette semaine, un retenu a tenté de se suicider, et un autre a mis le feu à sa chambre, ajoute l’un des membres de RESF 66. Alors qu’est-ce qu’il va se passer si on les garde là pendant 18 mois ? » Pour le Collectif de soutien aux sans-papiers 66, qui s’est joint à la manifestation, « cette directive s’inscrit dans le cadre des restrictions des libertés en général ».
Les membres de RESF 11, venus de Carcassonne, ont également tenu à faire le déplacement. « Nous nous battons aussi contre ces centres de rétention, et contre le fait que l’on mette des enfants dans ces centres au lieu de les mettre dans nos écoles, comme cela a failli se faire à Perpignan et se fait à Toulouse ! »
Un peu à l’écart, deux jeunes hommes scrutent. Eux aussi sont venus de loin, puisque Nam arrive de Rennes, et Mohcen de Toulouse. Ils sont venus tenter de prendre des nouvelles de leur ami et collègue de travail Adnane, arrêté il y a deux jours et retenu depuis au centre de Torremila. Et eux aussi espèrent qu’il ne restera pas 18 mois derrière ces grilles.
- Extrait du rapport 2006 de la Cimade sur les centres de rétention administrative.
- Le Travailleur Catalan, N° 3245 – Semaine du 21 décembre 2007 au 3 janvier 2008.
- Source : le Travailleur Catalan
N° 3245 – Semaine du 21 décembre 2007 au 3 janvier 2008. - Référence : NOR IOCD0768720A.