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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
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Henri Guaino fustige les professeurs qui refusent d’obéir

De nombreux enseignants refusent de participer à ce qui devait être un moment de rassemblement républicain, la lecture le 22 octobre de la lettre de Guy Môquet, ce jeune communiste de 17 ans fusillé en 1941 par les Allemands. Les textes adoptés par les enseignants du lycée Carnot (Paris) expliquent les raisons de leur prise de position. Henri Guaino, conseiller spécial du président n'admet pas ce refus. Hier matin, au micro de RTL, il a fustigé ces professeurs « dont la nation a payé des études, dont la nation paie le salaire », et qui refusent de lire à leurs élèves la lettre de Guy Môquet, comme le prévoit l'instruction officielle du 30 août dernier. Il expose son incompréhension dans un entretien publié par Libération.
[Mise en ligne le 19 oct. 07, mise à jour le 21 oct. 07]

Dernière minute

Sarkozy n’ira pas dans un lycée pour la journée Guy Môquet

[Source : AFP – reprise par Dépêches de l’Education – 21 oct. 07]

Nicolas Sarkozy ne se rendra pas dans un lycée, comme un temps envisagé, à l’occasion de la journée de commémoration du Résistant Guy Môquet, qui fait polémique notamment chez les enseignants, a annoncé son conseiller spécial Henri Guaino, invoquant des raisons d’agenda.

«Le Président de la République hélas ne pourra pas se rendre dans un lycée demain compte tenu de son agenda international», a déclaré M. Guaino sur France 2. Nicolas Sarkozy reçoit à la mi-journée le Premier ministre israélien Ehud Olmert avant de partir pour une visite d’Etat au Maroc.

«Cela n’a rien à voir avec l’agitation» qui est «le fait de quelques professeurs», a assuré la « plume » du chef de l’Etat tout en ajoutant que «le président n’était pas très content».

Il avait été un temps question que M. Sarkozy, à l’initiative de cette journée de commémoration, se rende au lycée Carnot à Paris pour la journée du 22 octobre, déplacement jamais confirmé par l’Elysée. Des professeurs de l’établissement avaient rédigé un texte à son intention expliquant leur «refus de participer à cette commémoration». […]

Des profs du lycée Carnot ont préparé une lettre pour Nicolas Sarkozy

[Dépêches de l’Education, mercredi 17 octobre 2007 (extraits

Des professeurs du lycée Carnot à Paris, où le président de la République est attendu lundi, sous réserve de confirmation, à l’occasion de la lecture de la lettre de Guy Môquet, ont rédigé un texte à son intention expliquant qu’ils « refusent de participer à cette commémoration ».

« Depuis la rentrée, on nous parle de la possibilité de la venue du président pour lire la lettre. Mais il n’y a encore aucune confirmation officielle », a affirmé à l’AFP Chantal Ananou, responsable de la section Snes-FSU de l’établissement.

La venue du président dans cet établissement, un temps annoncée, n’était pas non plus confirmée mercredi soir par l’Elysée. […]

Le Snes-FSU entend remettre ce texte lundi à M. Sarkozy ou à son entourage, s’il se confirme qu’il vient dans cet établissement du 17e arrondissement de Paris.

Des enseignants devraient aussi distribuer lundi matin aux élèves une autre lettre, à destination des parents cette fois, expliquant les raisons de leur « refus d’obéir à l’injonction » du président, selon le texte.

Lettre à Nicolas Sarkozy

Les professeurs du Lycée Carnot réunis en assemblée générale le 16 octobre 2007

A Monsieur Nicolas Sarkozy, président de la République française

Les professeurs du lycée Carnot n’ont pas attendu votre injonction, M. le Président, pour expliquer à leurs élèves qui était Guy Môquet, mais cet enseignement s’est toujours inscrit dans une progression pédagogique réfléchie et dans le respect des programmes. La démarche historique n’est, en effet, pas compatible avec le recours non distancié à l’émotion collective, elle est fondée sur une exigence de contextualisation sans laquelle tout texte, aussi universel soit-il, risque d’être falsifié ou détourné de son sens. Elle repose aussi sur la distinction entre histoire et mémoire.

La lettre de Guy Môquet ne dit rien de son engagement, elle évoque son amour de la patrie, de sa famille et son sens du devoir. Il est nécessaire de rappeler que Guy Môquet, jeune militant communiste , a été arrêté par la police française sur ordre d’un ministre français. Guy Môquet est mort parce qu’il combattait aussi bien le nazisme que l’Etat français collaborateur et ne confondait pas la légalité provisoire de son pays et la légitimité. Il faudra également rappeler que ceux qui fusillèrent Guy Môquet ont eu la monstruosité de réduire les êtres humains à leur patrimoine génétique.

Nous avons le souci, en tant qu’enseignants de préserver l’école de toute tentative d’instrumentalisation dont elle pourrait faire l’objet à des fins partisanes. C’est là le sens de notre conception de l’école républicaine et laïque. Transformer les lycées en lieux où s’exprime « l’union sacrée » de la Nation à travers son Président et sa jeunesse et où s’exalte l’esprit de sacrifice, nous semble très inquiétant.

C’est donc un esprit de vigilance et de réserve qui nous amène à solennellement refuser de participer à cette commémoration, dont l’objet et l’enjeu exacts nous semblent mal définis. Mais veuillez croire, Monsieur le Président, que nous sommes attentifs à transmettre aux jeunes générations l’héritage de la Résistance et de ses idéaux .

Lettre à l’intention des parents d’élèves

Adresse des enseignants du collège-lycée Carnot, réunis en assemblée générale le mardi 16 octobre, concernant le cérémonial en mémoire de Guy Môquet

Elu président de la République, Nicolas Sarkozy a décidé de faire commémorer dans toutes les écoles de France la mémoire de Guy Môquet, jeune lycéen arrêté en octobre 1940 par la police française et fusillé par l’armée d’occupation le 22 octobre 1941 avec 26 de ses camarades communistes. Voulant ne retenir que son attitude de courage et d’abnégation devant la mort, instruction a été donnée à tous les enseignants de lire à leurs élèves, le 22 octobre 2007, la lettre adressée par Guy Môquet à sa famille peu avant son exécution. Ils sont en outre invités à célébrer dans leur classe les « valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui font la force et la grandeur de notre pays et qui appellent le sens du devoir, le dévouement et le don de soi […] et les valeurs de courage et d’engagement ».

En tant qu’enseignants, nous refusons d’obéir à cette injonction, aussi louable puisse-t-elle paraître sur un plan moral et émotionnel. Et devant l’annonce du président de la République de venir accomplir cette cérémonie commémorative dans notre établissement qui fut aussi celui de Guy Môquet, nous voulons expliquer les raisons de ce refus aussi simplement et aussi précisément que possible.

Enseignants à Carnot, nous connaissons de longue date cette histoire singulière ; et nombre d’entre nous considèrent de leur devoir ou plus simplement de leur fonction éducative d’expliquer à leurs élèves pourquoi le hall de leur établissement porte le nom d’un jeune homme dont la mémoire fut longtemps inconnue voire oubliée, hors de la tradition communiste. Mais l’évocation de cette histoire s’inscrit pour nous, comme d’ailleurs pour tout enseignant, dans la transmission d’un programme ordonné des connaissances historiques sur cette période, de même qu’elle s’accompagne d’une réflexion critique sur les constructions de mémoire, sur les obéissances aveugles et sur les formes de résistance à l’oppression.

Comme enseignants, nous avons d’abord et essentiellement à expliquer, à mettre en perspective, à éclairer les zones plus obscures de la mémoire collective qui a tendance à déformer ou à transformer les réalités historiques, y compris pour les réduire, les simplifier, les falsifier ou les instrumentaliser dans un sens ou dans un autre. Pas plus que notre enseignement sur Guy Môquet ne consistait jusqu’ici à exalter ou à condamner son appartenance politique et son statut de résistant, pas plus il ne nous semble aujourd’hui historiquement juste et moralement acceptable d’en réduire l’itinéraire à une leçon de morale édifiante dictée par le seul désir ou le seul calcul du chef de l’exécutif de notre pays. Notre travail d’enseignant n’est pas de renchérir sur des constructions qui magnifient, arrangent, voire manipulent la réalité historique aux fins de masquer les méandres de l’histoire réelle ou aux fins de glorifier, dans une pure contagion émotionnelle, la valeur héroïque et sublime d’une attitude indéniable de courage devant la mort.

Or, en nous enjoignant de lire à tous les élèves cette lettre simple et poignante d’un jeune homme à sa famille alors qu’il va être exécuté, c’est exactement ce geste de commande émotionnelle qu’on nous demande de faire. Cette injonction relève expressément de la volonté de construire une morale d’Etat dont les enseignants seraient chargés de porter la bonne parole d’autant plus impérieuse qu’elle ferait communier la nation enfantine dans un recueillement fusionnel présenté comme indiscutable, sous peine d’être taxé d’esprit « anti-patriotique ». Contrairement à ce qu’ont pu dire ou écrire certains publicistes, il ne s’agit pas de prétendre que l’enseignement exclut par principe les sentiments et les émotions, et que c’est cette dimension « émotionnelle » qui effraierait les enseignants que nous sommes, trop méfiants à cet égard, trop « intellectuels » comme on dit parfois avec une curieuse insistance. Nous n’avons pas à nier ni à refuser toute dimension émotionnelle, mais nous savons aussi qu’il est très facile, à l’évocation des violences et injustices extrêmes de l’histoire, de faire communier élèves et adultes dans les pleurs, sans apporter pour autant le moindre élément de connaissance ni de compréhension du passé.
Comme le rappelait l’un d’entre nous dans une tribune rendue publique, seul le cadre d’un enseignement structuré et réfléchi permet d’aborder la complexité de l’histoire en résistant à sa caricature, voire à son déni pur et simple dans une construction idéologique qui ne conserverait que des gestes héroïques déliés de toute épaisseur historique. Cette cérémonie d’édification morale à laquelle on nous enjoint d’apporter notre concours d’enseignants ne correspond en rien à l’idée qu’on est en droit de se faire d’un service public et laïque d’éducation nationale ; elle tend bien davantage à instrumentaliser cette mission pour mener une stricte opération de communication politique d’autant plus détestable qu’elle se couvre de manière insistante d’un manteau de grandeur morale.

Il ne s’agit donc pas d’opposer une mémoire à une autre, une idéologie à une autre, mais de rappeler sans faux-fuyants que notre mission d’enseignants n’est pas d’être des prêcheurs de morale officielle, même si nous sommes aussi des éducateurs au sens plein du terme comme le rappelait le président de la République dans sa récente « Lettre » aux enseignants. Par conséquent, nous demandons que le ministre de l’Education nationale applique avec clarté et simplicité la volonté réaffirmée dans cette lettre de « laisser aux professeurs le libre choix de leur pédagogie » (Nicolas Sarkozy, Lettre aux éducateurs, p. 28). Forts de cette « confiance » qui nous est reconnue du fait de notre statut et de notre mission institutionnelle, nous savons et saurons user de notre « capacité de jugement » pour solliciter en cours les documents que nous jugeons appropriés à l’étude réfléchie des programmes que nous avons la charge d’enseigner. C’est le meilleur usage de la « valeur de liberté » pédagogique qui est précisément la nôtre, seule justification de notre métier comme le rappelait encore cette « Lettre ». A moins que les mots utilisés en la circonstance par le président de la République ne soient précisément que des mots de circonstance, aussi vite oubliés que proférés — ce que nous nous refusons à croire.

C’est pourquoi nous serons présents ce lundi 22 octobre devant le lycée Carnot, non pour obéir à une injonction qui n’a rien à voir avec notre travail d’enseignants, mais pour exprimer notre volonté de poursuivre sereinement ce travail de transmission des connaissances et de réflexion sur les valeurs, loin de l’agitation médiatisée et de la récupération politicienne dont la commémoration de la mémoire de Guy Môquet n’est aujourd’hui que le triste prétexte.

Henri Guaino : Ce refus de quelques-uns m’est parfaitement incompréhensible

[Libération, samedi 20 octobre 2007]
  • Si vous étiez professeur, que diriez-vous, lundi, à vos élèves ?

guaino2.jpg Je lirais la lettre de Guy Môquet. Je soulignerais ce qu’il y a d’universel dans cette magnifique figure de la jeunesse. Il y a beaucoup à dire sur ce garçon qui, au seuil de la mort, écrit une lettre d’amour et de courage, sans aucune trace de haine. A partir de cette lettre, le professeur d’histoire peut expliquer qu’il s’agit d’un drame ordinaire de cette période. Guy Môquet n’est pas une grande figure de la résistance de la stature d’un Jean Moulin. Il est communiste, comme son père emprisonné. Il résiste à sa façon. Il tombe victime de la barbarie nazie. A ce moment-là, il est l’un des plus beaux visages de la France.

  • Pourquoi avoir remplacé «camarade» par «compagnon» dans l’intitulé de l’hommage officiel ?

Je n’ai découvert cet intitulé qu’après coup. Quelqu’un a dû penser que «camarade», ça faisait ringard. C’est aussi bête que de gommer les cigarettes sur les vieilles photos. Mais est-ce si grave ? A force de se scandaliser de tout, on finit par ne plus savoir ce qui est important.

  • Comprenez-vous que beaucoup de professeurs refusent de lire la lettre ?

Je ne crois pas qu’ils soient si nombreux. Ce refus de quelques-uns m’est parfaitement incompréhensible. Que le professeur veuille remettre la lettre dans le contexte historique, c’est très bien, c’est nécessaire. Qu’il y ajoute son analyse de l’histoire, tout à fait normal. Mais va-t-on refuser d’étudier un texte de Hugo inscrit au programme en disant : «Moi je n’aime pas Hugo, c’est mon droit de ne pas faire étudier ce texte ?» Le professeur a des droits et aussi des devoirs. Les enfants qu’on lui confie ne sont pas les siens.

  • Certains protestent qu’ils ne sont pas «professeurs de patriotisme»…

Ceux qui disent ça, qu’ont-ils exactement derrière la tête ? S’il faut comprendre qu’ils refusent de parler des grandes figures de l’histoire nationale juste parce qu’elles sont nationales, alors je n’ai pas envie de leur confier mes enfants. Mais nous parlons d’une petite minorité de gens, qui pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’éthique de l’enseignant, ont ouvert une mauvaise controverse. Dans ce texte, il n’y a aucune trace de nationalisme, aucune propagande. Juste l’évocation d’une tragédie humaine dans un moment tragique de notre histoire.

  • Pourquoi a-t-il tant touché Sarkozy, ce texte qu’il ne connaissait pas ?

C’est un texte émouvant. Pendant la campagne, on en a lu un passage dans un discours. Ce fut un moment très intense. Peu à peu, c’est devenu une figure familière de cette campagne. Il n’y avait là aucun calcul. Nos adversaires en ont fait un sujet politique en prétendant nous interdire de parler de Guy Môquet. Nous avons répondu que cette figure-là appartenait à tous les Français comme Jaurès, Blum, de Gaulle ou Jeanne d’Arc. Nous voulions casser les affiliations automatiques. Moi, je ne me reconnais pas dans les antidreyfusards du début du siècle.

  • Mais vous rendez hommage à Barrès, antidreyfusard et proche de Maurras…

Je n’ai jamais été maurrassien. Maurras est un grand écrivain, mais je ne partage rien de ce qu’il a pu écrire. Ma référence, c’est Péguy. Barrès a dit des choses qu’il n’aurait pas dû dire, mais il a une conception très charnelle de la nation qui parfois me touche. Dans un discours, on a évoqué un jour la Colline inspirée. C’est un grand texte qui a joué un rôle important à un moment donné de notre histoire. C’est tout.

  • Pourquoi cette insistance à revenir sur l’identité nationale ?

Dans un pays où elle s’impose avec évidence, la nation n’est pas un sujet politique. Lors de l’élection de 1974, les Français ne s’intéressaient pas à ce que racontaient Malraux et les gaullistes sur la nation et la résistance. Mais aujourd’hui, avec l’immigration, la mondialisation, la désintégration du travail, il y a un problème identitaire. La nation est redevenue un sujet fondamental de la politique.

  • Ce qui frappe, c’est la soudaineté de l’initiative. Nicolas Sarkozy découvre ce texte et décide du jour au lendemain d’en rendre la lecture obligatoire. Ne fallait-il pas un minimum d’expertise ?

De quelle expertise a-t-on besoin pour ressentir la vérité et la profondeur humaine de ce texte ? L’historien intervient pour replacer ce destin singulier dans son contexte historique et pour analyser ce contexte. A chacun son rôle. Mais ce n’est pas Sarkozy, c’est de Gaulle qui a décidé de citer Guy Môquet à l’ordre de la nation. Il y a à Paris une station de métro Guy-Môquet. La lettre y est exposée. Des milliers de gens passent devant tous les jours. Nous n’avons pas inventé cette histoire. Il se trouve qu’elle n’était plus à la mode.

[…]1

[Les propos de Henri Guaino ont été recueillis par Alain Auffray et Antoine Guiral]
  1. L’entretien a été abrégé de sa partie finale où Henri Guaino abordait le discours de Dakar ; nous avons consacré un autre article à ce sujet.
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