Ensemble pour inaugurer la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration !
Pétition et rassemblement le 10 octobre 2007 à l’initiative de la LDH
La République, la France a enfin son lieu de mémoire de l’immigration, son lieu d’histoire, de cette histoire longtemps délaissée, oubliée, sous-estimée.
Venus de Belgique, d’Allemagne, de Pologne, d’Espagne, d’Italie, du Portugal, puis des pays d’Afrique du Nord, des anciennes colonies africaines ou d’Asie, de Chine, du Sénégal et du Mali qui constituaient une partie de l’Empire colonial français, des centaines de milliers d’étrangers sont venus travailler et vivre dans notre pays.
Ils ont participé d’abord aux grands chantiers de constructions de notre économie que ce soit dans les mines, l’automobile ou dans le bâtiment, les transports, la voirie. Ils se sont battus aux côtés des soldats français bretons ou auvergnats, lorrains ou champenois durant la Grande guerre de 1914-1918, puis ont constitué une partie importante des armées de la France libre qui débarquèrent sur les côtes de Provence en août 1944.
Prolétaires et soldats, la République ne leur a guère témoigné de reconnaissance.
Une certaine France et certains de nos concitoyens leur ont même témoigné au cours des décennies de l’animosité et ont fait montre de violence, d’intolérance, de jalousie ou de la répulsion, jusqu’à exprimer à leur encontre la pire haine xénophobe.
Cette histoire contrastée, la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration se propose de la traiter, de la resituer dans son contexte, d’en expliquer la cause et les raisons, de montrer d’une manière vivante que la République, notre République a su tantôt discriminer tantôt accueillir et intégrer celles et ceux qui le souhaitaient.
Nous ne pouvons, au-delà des critiques et des débats légitimes que suscite une telle entreprise mémorielle, que nous réjouir de l’ouverture de cette « Cité nationale ».
Mais, nous aurions préféré qu’elle naisse dans un autre climat politique que celui dominé aujourd’hui par la restriction des droits des étrangers, d’atteinte au droit d’asile, de « chasse à l’étranger » et de quotas d’expulsion, de restriction au droit de mener une vie familiale normale…
Quant à certains amendements parlementaires, tel celui sur les tests ADN, ils remettent en cause les principes les plus élémentaires de notre droit.
Mais qui s’étonnera que de telles conceptions soient aujourd’hui défendues quand, à l’opposé de toute tradition républicaine démocratique, un « ministère de l’immigration et de l’identité nationale » a pu voir le jour !
Certes, il est difficile pour la présidence de la République française de saluer l’inauguration de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration et de s’y reconnaître, quand cette dernière se veut un lieu luttant contre la discrimination, et dans le même temps, d’exiger de la police plus d’expulsions, de stigmatiser les immigrés et de pratiquer une « xénophobie d’Etat ».
Alors, cette inauguration, nous proposons, nous, citoyens et citoyennes de la République et étrangers résidants en France, avec ou sans papiers, de l’organiser et de déclarer ensemble :
Que soit ouverte à toutes et à tous la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration !
Nous vous appelons à signer ce texte et à venir nous rejoindre le mercredi 10 octobre 2007 à 10 heures
devant la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (ex. Musée des Colonies)
Avenue Daumesnil 75012 PARIS – Métro : Porte Dorée
pour son inauguration citoyenne (prise de parole, inauguration, stands associatifs…)
Premiers signataires
ATTAC Paris 12, Bougeons la gauche, CGT Saint-Antoine, CGT Cheminots Gare de Lyon, CIMADE, Commune libre d’Aligre, FCPE 12, La Santé n’est pas une marchandise, LCR 12ème, LDH 12ème, Les P’tits Baudelaire, Les Verts 12ème, MEEAO (Maison des Etudiants des Etats d’Afrique de l’Ouest), MRAP 12ème, PCF 12ème, PS 12ème, RESO (Réseau Solidaire), SEM (Synergie Europe Méditerranée), Zone de Droit, et habitants de l’arrondissement.
Avec la participation du collectif de vigilance Paris 12ème
Pour les droits des étrangers / RESF Paris 12ème
L’intervention de Dominique Guibert, membre du Bureau national de la LDH
Nous sommes aujourd’hui ensemble réunis pour fêter l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Ensemble, oui, mais manifestement pas tous ensemble ! En effet, je n’ai pas à m’adresser à ces plus hautes autorités de l’Etat qui comme il est d’usage en de pareilles circonstances sont protocolairement requises. Je n’ai pas à dire, Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la par ci, Monsieur le par là. Prenons la mesure de ce fait : un établissement public national, du même statut que cette Cité de l’architecture récemment inaugurée, ou bien encore semblable au Musée du Quai Branly ne bénéficie pas de cette attention qui fait d’une action publique un événement politique.
Mon premier sentiment est de vous proposer de nous en moquer : après tout, l’officialité d’une cérémonie ne préjuge pas de sa valeur. Mais en politique, tout a un sens. D’autant plus que nous avons affaire à des spécialistes de la communication gouvernementale. Il ne peut pas leur avoir échapper que le silence assourdissant de cette absence ne pourra être excusé par un congé maladie , un moment d’inattention de l’hyper président ou une surcharge de calendrier entre la Bulgarie, Cardiff et la Russie.
Nous pouvons donner acte au Président de la République qui prétend faire ce qu’il dit de sûrement savoir ne pas dire ce qu’il ne fait pas. Accordons au ministre de l’immigration et de l’identité nationale que son titre dit bien ce qu’il veut dire. Mais il convient de leur retourner l’argument. Puisque en toute connaissance de cause, ils ne sont pas venus, il s’agit bien d’une décision politique : alors que l’appui à cette structure originale et nouvelle aurait compté pour la reconnaissance de la place de l’immigration dans la construction nationale et sociale de la France, ce geste qui aurait eu une force symbolique n’a pas été voulu.
On discerne assez facilement la première dimension explicative de cette absence. Dans une conjoncture politique pour la première fois ouvertement difficile, le gouvernement n’a pas souhaité contraindre le débat parlementaire et augmenter les craquements de sa majorité. On peut en juger avec les différentes réactions aux amendements introduits par un quarteron de députés considérant que le populisme est le meilleur garant de leur avenir professionnel. Les mesures de contrôle génétique, de fermeture du droit aux hébergements d’urgence, de vérification des compétences linguistiques à l’extérieur du territoire national, enfin de limitation du délai de réponse aux demandeurs d’asiles sont autant de mesures qui nous rapprochent de la xénophobie d’Etat. Comme le rappelle lui-même le président de la CNHI : « le discours actuel insiste davantage sur l’idée de fermeture que sur celle d’ouverture ». On peut en conclure que les autorités ont jugé qu’il fallait s’en tenir à la fermeture plutôt que de se prendre les pieds dans le tapis rouge de l’ouverture et éviter ainsi de « brouiller le message ». Contrairement à ce qu’en pense le Premier ministre, c’est dans les détails qu’est le diable !
Mais je voudrais proposer une deuxième dimension explicative que je qualifierais de structurelle. Il y a une certaine cohérence entre le refus de la « repentance », le discours de Dakar et la création récente de l’Institut d’études sur l’immigration et l’intégration. Avec ces trois exemples parmi d’autres, on distingue la volonté de refonder un substrat idéologique, politique et historique qui redonnerait du corps à une vision de la France impériale, bienfaitrice et civilisatrice tout au long de son histoire, y compris coloniale. Dans ce cadre, alors même que la création de la CNHI avait laissé subsister une ambiguïté ontologique dans les rapports entre la colonisation et l’immigration et avait renvoyé aux futures recherches la discussion, il se pourrait que la discrétion officielle corresponde à un déni d’existence. Une nouvelle histoire officielle est en route et la CNHI gêne.
La LDH avait dès le départ considéré que la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration était un événement positif. Nous avons apprécié les efforts déployés pour dessiner les contours d’un outil pluraliste, démocratique, contradictoire, mais aussi ouvert vers tous les acteurs de la vie sociale, vers toutes ces personnes dont les histoires de vie font la richesse de notre pays. Nous avons compris les réactions des membres du conseil scientifique en réponse à la création d’un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale. La France est un pays d’immigration depuis très longtemps. Ce processus ne s’arrêtera pas. Les murs législatifs, réglementaires, policiers n’y pourront rien. Faire croire qu’il est possible et souhaitable de tendre versune immigration choisie pour les uns et zéro pour les autres ; est un mensonge d’Etat. La CNHI rend toute son épaisseur à cette plus que centenaire dimension structurelle du pays. La LDH restera très vigilante pour que cette création originale en France ne tombe pas soit en déshérence, soit en désespérance.
Nous sommes ici, comme le dit très bien l’appel à cette active cérémonie, parce que « La République, la France a enfin son lieu de mémoire de l’immigration, son lieu d’histoire longtemps délaissée, oubliée, sous-estimée ». Avent de conclure, je veux, à partir du passé, faire le lien avec le présent. Voici un extrait du rapport du 28 septembre dernier de l’experte indépendante des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités qui « lance un appel en faveur d’un ferme engagement au plus haut niveau pour promouvoir la non discrimination, l’égalité et la diversité en France » : « il reste encore beaucoup à faire pour que la diversité culturelle soit acceptée. A ce jour les communautés de nouvelles minorités ont le sentiment largement partagé qu’il ne suffit pas d’être citoyen français pour être pleinement accepté, que cette acceptation va de pair avec une assimilation totale qui les oblige à renoncer à des pans entiers de leur identité ». Nouvelles minorités, anciennes minorités, ne serait-ce pas du rôle de la CNHU de servir les concordances des temps entre les unes et les autres ?
Autrement dit, nous savons quoi combattre, nous savons qui combattre. L’inauguration citoyenne que nous allons faire maintenant montre que nous savons aussi comment le faire et avec qui.
Paris, le 10 octobre 2007
Le projet de la Cité
Faire connaître et reconnaître l’apport de l’immigration en France à travers l’histoire des deux derniers siècles, tel est le projet de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, présidée par Jacques Toubon et Jean-François Roverato et dirigée par Patricia Sitruk.
À l’occasion de son ouverture, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a accueilli gratuitement le public pendant cinq jours, du mercredi 10 octobre au dimanche 14 octobre, permettant ainsi à tous de découvrir cette nouvelle institution culturelle. Cela a été l’occasion pour le visiteur de parcourir l’exposition permanente du musée, Repères, qui met en perspective notre histoire collective et individuelle et offre l’opportunité unique d’appréhender 200 ans d’histoire de l’immigration sous un angle totalement neuf. Au travers de documents d’archives, d’images, d’oeuvres d’art, d’objets de la vie quotidienne et de témoignages visuels et sonores, l’exposition valorise la part prise par les immigrés dans le développement économique, les évolutions sociales et la vie culturelle de la France.
Située dans le superbe bâtiment conçu par Albert Laprade et édifié en 1931, rénové par Patrick Bouchain et Loïc Julienne, la CNHI se destine à devenir un lieu de connaissance, d’accueil et d’échanges tourné vers l’avenir, un centre national autour duquel graviteront des activités et événements culturels qui se déploieront également hors les murs et sur son site Internet.
Pour accomplir sa mission, la CNHI croise les regards et les disciplines en associant à son action un réseau d’environ 1500 partenaires. C’est en relation étroite avec ces partenaires que la CNHI organisera des expositions temporaires, des manifestations artistiques, des actions pédagogiques et développera des outils de référence : édition, médiathèque, site Internet.
La France immigrée
Fausses demandes d’asile, fraudes au regroupement familial, franchissement illégal de frontière, communautarisme… Le débat actuel sur l’immigration semble polarisé par les abus et dangers créés par l’entrée des étrangers en France. Le modèle d’intégration à la française aurait connu son heure de gloire, dopé par une croissance régulière et une volonté farouche des nouveaux arrivants, souvent catholiques, toujours blancs, de s’intégrer au creuset national. Puis les temps, comme l’origine géographique et religieuse des migrants, auraient changé…
C’est une tout autre perspective que nous livre la nouvelle Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Soucieuse de « dépassionner le débat » sans fermer les yeux ni forcer le trait. Bons et mauvais immigrés ? Immigration subie et immigration choisie ? Le « regard » sur les deux siècles passés auquel elle nous invite est bien différent. « Terre d’accueil », mais aussi « terre hostile », le pays a toujours manifesté une ambivalence à l’égard de « ses » étrangers. Des Italiens aux Polonais, des massacres d’Aigues-Mortes, en 1893, aux expulsions de mineurs dans les années 1930, tous se sont heurtés, dans leur intégration, à de fortes résistances. Cette histoire rappelle d’ailleurs, à ceux qui l’auraient oublié, que l’Etat n’a pas attendu Nicolas Sarkozy pour manier la matraque.
Mais, au-delà des difficultés, la Cité témoigne surtout de l’extraordinaire apport de l’immigration à la société française : du travail à la culture, des loisirs à la langue, du sport à la cuisine, sans oublier la science. La Cité qui ouvre ses portes en témoigne : l' »identité française » existe. Mais elle n’a cessé de se métisser. Comme hier, la France sans doute continuera à se cabrer devant ce qui est souvent perçu comme une menace étrangère. Mais, comme hier aussi, elle finira par mesurer et admettre ses besoins de main-d’oeuvre, de dynamisme démographique, d’apports culturels.
Il n’est qu’à regarder l’histoire de la Cité pour s’en convaincre. Certes, la gauche n’a pas saisi l’importance du projet. Et le gouvernement actuel a choisi, jusqu’ici, de l’ignorer. Mais les faits sont là : mercredi 10 octobre, la France aura son Musée national de l’immigration, et l’on peut faire le pari que Nicolas Sarkozy finira par s’y rendre. Il aura d’autant moins de difficultés à le faire que ce musée a choisi, délibérément, d’éviter le sujet qui fâche : celui de la colonisation. Or c’est bien cette histoire commune, ce « secret de famille » entre la France et ses anciennes terres d’outre-mer, cette histoire douloureuse et refoulée qui accentue les difficultés d’intégration des dernières vagues d’immigration, maghrébines et africaines. Ce musée n’aura pleinement rempli son rôle que lorsqu’il cessera de l’occulter et saura inviter la société française à l’assumer.