Le généticien André Langaney, directeur du Laboratoire d’anthropologie au Musée de l’homme, a accordé à Hommes et libertés un long entretien sur la notion de race face aux nouvelles découvertes de l’anthropologie. Voici le passage où il évoque les classifications policières et l’utilisation des empreintes génétiques.
- Les fichiers de police font mention de la couleur de la peau des personnes et mentionnent couramment des « types « : « européen «, « méditerranéen «, etc. Qu’en pensez-vous ?
A. L. : La couleur de la peau humaine est déterminée par un pigment, la mélanine, dont la quantité détermine son caractère plus ou moins foncé. Il n’y a pas « les Noirs », « les Jaunes », « les Blancs », il y a des individus de peau plus ou moins foncée. Faire de grandes catégories d’après la couleur de la peau est une imposture. Si la mention de la couleur de la peau d’une personne résultait de l’enregistrement pour chaque
individu, avec un réflectomètre, de la couleur d’une portion de sa peau non exposée au soleil, et si cette mention figurait sur la carte d’identité de tout le monde de la même manière que leur taille en centimètres, je n’y verrais pas d’inconvénient. C’est un signe apparent et inaltérable propre à chaque individu. On peut relever de tels signes particuliers. Ainsi, jusqu’à récemment, on mentionnait la couleur des cheveux des personnes sur les cartes d’identité et les passeports, bien que celle-ci change avec l’âge et que l’on peut facilement la modifier (d’ailleurs, on n’enregistrait jamais les changements). Mais ce qui est important du point de vue de l’égalité des droits, c’est que ce type de mention ne désavantage pas certains groupes.
- Et les autres utilisation des empreintes génétiques ?
Il faut comparer les empreintes du criminel et celles d’un suspect avec toutes les techniques nécessaires pour établir que ce sont bien les mêmes. Il ne faut pas se contenter de deux ou trois marqueurs comme on le fait trop souvent. D’autant plus que les empreintes génétiques sont fondées sur des systèmes génétiques variables où il y a des mutations très fréquentes : on a eu le cas de deux vrais jumeaux qui n’avaient pas le même patrimoine génétique parce qu’il y avait eu une mutation. Ces examens ne sont fiables qu’à condition de s’être entouré de toutes les garanties, ce qui les rend très coûteux.
- Dans les caractères physiques des individus, que pensez-vous que l’on puisse relever ?
Je veux bien qu’on mette la couleur de la peau, mais à condition qu’on relève aussi les individus qui louchent, ceux qui ont un gros nez, ceux qui ont un menton en sabot, ceux qui ont des grandes oreilles, un anneau dans le nez ou une cicatrice à l’oreille. Si on met tous les signes particuliers, il n’y a pas de raison de ne pas mettre la couleur de la peau qui est un caractère physique parmi d’autres. Sur une recherche criminelle particulière, on va prendre en compte ce caractère-là, mais on ne peut pas faire un fichage de la population en fonction de ce caractère-là, car ce fichage serait forcément discriminant à moins qu’on ne décide de ficher tous les caractères particuliers, travail dont je ne crois pas qu’il vaille la peine.
- Comment répondre à la demande de description des individus sans faire appel aux classifications traditionnelles en races ?
Une donnée parfaitement simple que l’on devrait utiliser systématiquement est l’identification de la « population d’origine » d’un individu. On pourrait répondre à cette rubrique en indiquant la nationalité de l’individu, ou sa ville d’origine, voire son ethnie d’origine pour des Africains, par exemple, chez qui cela correspond à la classification locale des individus. Dans tous les cas, ce sera beaucoup plus précis que d’utiliser la classification quadriraciale.
On a besoin d’un certain nombre d’informations sur l’origine des individus. Aux États-Unis, certaines maladies ne se trouvent pratiquement que dans certaines communautés. Il faut donc bien mieux indiquer « origine suédoise », « origine sarde », « origine sicilienne » ou « origine grecque » que « race blanche ».