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Édition du 1er au 15 décembre 2024

A propos du Premier novembre 1954 : Réflexions sur la guerre d’indépendance algérienne

La lutte armée a joué un rôle essentiel dans l'issue de la guerre, mais il ne faut pas oublier l'action diplomatique et le rôle de l'immigration.

par Kader Abderrahim

Militants de l’Etoile nord-africaine. Négatif sur support souple en nitrate de cellulose. 1936. Photographie de Marcel Cerf (1911-2010). Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Première partie : Le rôle de l’immigration algérienne en France

La plupart des articles de la presse algérienne à l’occasion de l’anniversaire du Premier novembre 1954 portent sur le rôle des combattants de l’Armée de libération nationale (ALN), dont le combat a été essentiel dans les régions rurales de l’Algérie. Le courage et l’abnégation des maquisards des différentes Wilayas ont été un facteur essentiel qui a conduit à l’issue finale de la guerre d’indépendance nationale. Cependant, ces combattants n’ont pas été les seul acteurs de cette guerre.

Son succès n’aurait pu être assuré sans l’action diplomatique du FLN et du gouvernement provisoire (GPRA) et sans les mobilisations populaires dans les villes, comme celle de décembre 1960 dans toute l’Algérie et celle d’octobre 1961 dans la région parisienne et ailleurs en France.

L’immigration algérienne en France a aussi constitué un apport financier et politique essentiel au FLN et à l’ALN. C’est sur son rôle important que nous commençons la publication de trois articles de Kader Abderrahim, maître de conférence à Sciences-Po Paris, membre du Global Finder Expert des Nations-Unies et auteur de Géopolitique de l’Algérie (éditions Bibliomonde, 2020).

Le premier résume l’histoire et le développement de cette émigration. Le deuxième portera sur création de la Fédération de France du FLN, outil décisif à destination de l’immigration algérienne en France. Et le troisième traitera des rivalités entre les Messalistes et le FLN, signaux annonciateurs d’une liberté sous surveillance dans l’avenir du pays.

Histoire coloniale et postcoloniale


L’émigration algérienne vers la France a pris une ampleur considérable pendant les huit ans qu’a duré la guerre d’indépendance. Le nombre d’immigrés algériens en métropole est passé de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962. Les émigrés algériens sont devenus un enjeu du conflit aussi bien pour les nationalistes algériens que pour les pouvoirs publics français. Leur mobilisation a été décisive dans la lutte pour l’indépendance.

L’immigration mobilisée pour l’indépendance

Il peut sembler paradoxal qu’un flux massif d’hommes dans la force de l’âge émigrent volontairement vers la métropole qui conduit la répression contre l’insurrection nationaliste. Si l’émigration double presque pendant la durée du conflit, c’est non seulement en raison de la liberté de circulation entre les départements algériens et métropolitains (article 2 de la loi du 20 septembre 1947 qui définit un nouveau statut de l’Algérie) mais aussi parce que la situation en Algérie s’aggrave du fait même du conflit : misère, sous-emploi et injustices du système coloniale sont aggravés par la répression ou la politique des camps de regroupement.

Suivant le même schéma que les migrations de la fin du XIXe siècle ou de l’entre-deux-guerres, il s’agit de jeunes travailleurs, venant seuls pour une durée déterminée afin de faire vivre leur famille restée en Algérie. Ils participent ainsi à la croissance des Trente Glorieuses, en particulier dans les secteurs du BTP et de l’automobile, et comblent un manque de main-d’œuvre en métropole, aggravé par l’envoi du contingent en Algérie en 1956. De nouvelles caractéristiques sont générées par la guerre : l’allongement des séjours, qui passe de deux à quatre ans, et la venue en famille. Le nombre de familles algériennes en métropole passe en effet de 7 000 à 30 000 entre 1954 et 1962. Leurs conditions de vie sont particulièrement précaires, en particulier pour ce qui est du logement, dans un contexte général de crise, et des faibles salaires. Les foyers de travailleurs, les garnis et les hôtels meublés sont donc les principaux types de logement accessibles.

Les ouvriers algériens sont très politisés depuis l’entre-deux-guerres qui a vu naître en métropole le nationalisme algérien sous la houlette de Messali Hadj qui fonde le premier parti indépendantiste en 1926 : l’Etoile nord-africaine. C’est à cette date que le Comité Exécutif de la IIIè Internationale charge le PCF de créer au sein de l’émigration algérienne l’Etoile Nord-Africaine. Après 1928, l’Etoile devient indépendante du PCF et, surmontant tous les obstacles, se construit en s’engageant dans la lutte sociale et politique en France. Adhérant en 1936 au Front populaire, elle participe aux grèves, à la lutte contre l’impérialisme, le fascisme, le racisme. Créée par l’émigration ouvrière algérienne, l’Etoile nord-africaine est un cas unique et exemplaire d’une organisation révolutionnaire construite au sein même du pays colonisateur et manifestant toujours sa solidarité avec la classe ouvrière et le peuple ami français. Figure pionnière et tutélaire, Messali Hadj est incontesté au sein de l’immigration qui compte de nombreux militants actifs diffusant journaux et tracts ou organisant réunions et manifestations comme le 1er mai 1955 pour demander la libération du Zaïm (guide). 

La lutte des partis nationalistes pour le contrôle de la communauté

Le déclenchement de l’insurrection par le FLN, inconnu jusqu’alors et né de la scission au sein du parti messaliste à l’été 1954, constitue une nouvelle donne. L’émigration algérienne en métropole devient un enjeu considérable pour les deux partis nationalistes rivaux. D’une part, cette population représente un support financier considérable. D’autre part, unanimement ralliée, elle assurerait au parti un poids politique et idéologique incontestable, au sein même de la métropole. Dès 1955, la région parisienne, qui regroupe un tiers de l’immigration, devient le théâtre d’affrontements sanglants entre le FLN et le MNA (Mouvement national algérien, nouveau nom du parti messaliste). L’élimination du parti rival ne se réalise pas seulement par la propagande, mais par les armes. Le bilan de cette guerre fratricide s’élèverait à 4 000 morts et 12 000 blessés, selon les chiffres officiels de la préfecture de police. Si Messali Hadj conserve un temps influence et autorité au sein de l’immigration, comme le prouve la manifestation organisée en mars 1956 devant l’Assemblée nationale, contre le vote des pouvoirs spéciaux, le FLN progresse de manière spectaculaire. A partir de 1957, il est profondément implanté parmi les ouvriers algériens tandis que le MNA se replie vers ses bastions du nord et de l’est de la France. Messali Hadj est désormais bien isolé et ne pèse plus sur le cours des événements.

(à suivre)

• Deuxième partie : la création de la Fédération de France du FLN.

• Troisième partie : les rivalités entre les Messalistes et le FLN.


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