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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Réédition de « Les balles du 14 juillet 1953 » par Daniel Kupferstein

Les éditions du Croquant rééditent ce livre important de Daniel Kupferstein, d’abord paru à La Découverte en 2017 et qui était épuisé, sur la tuerie par la police parisienne de sept manifestants, dont six Algériens indépendantistes et un responsable syndical français, place de la Nation, des mois avant le début de la guerre d’indépendance.

Editions du Croquant, 252 pages, 18 €.

Présentation de l’éditeur

Le 14 juillet 1953, la gauche communiste et syndicale célèbre, comme c’était alors la tradition, la fête nationale par une manifestation à Paris.

Y participent, à la fin du cortège, plusieurs milliers de militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), le parti nationaliste algérien. Quand ils arrivent à la Nation, des heurts se produisent et les policiers tirent froidement sur les manifestants algériens. Six d’entre eux sont tués, ainsi qu’un militant de la CGT. Et on compte des dizaines de blessés.

Pendant un demi-siècle, ce drame va être effacé des mémoires et des représentations, en France comme en Algérie. Pour comprendre les raisons de cette amnésie et faire connaître les circonstances de l’événement, Daniel Kupferstein a conduit une longue enquête, pendant quatre ans. Elle lui a permis de réaliser en 2014 un film que ce livre prolonge et complète. On y découvrira les témoignages de beaucoup d’acteurs de l’époque, ainsi que les ressorts de l’incroyable mensonge d’État qui a permis d’occulter ce massacre. Et on comprendra le rôle essentiel de « déclic » joué par ce dernier dans le déclenchement par le FLN de la guerre de libération en 1954.


Préface

De nos combats contre la falsification du passé à nos défis d’aujourd’hui

par Gilles Manceron

La répression, le 14 juillet 1953, du cortège des Algériens place de la Nation n’est pas le seul épisode dramatique de notre histoire coloniale à avoir été occulté dans la mémoire commune de la France. Il a fallu plus de vingt ans pour que celle du 17 octobre 1961, avec ses centaines de morts en plein Paris, cesse de faire l’objet d’un bilan officiel mensonger de deux morts algériens et qu’il apparaisse dans sa réalité : la répression la plus meurtrière d’une manifestation pacifique dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que, grâce aux premières commémorations militantes qui ont suivi les Marches pour l’égalité de 1983 et 1984, au roman policier de Didier Daeninckx, Meurtre pour mémoire, et aux livres du chercheur indépendant Jean-Luc Einaudi, ce drame a cessé d’être nié dans le discours des autorités officielles et a commencé à s’inscrire dans la mémoire collective.

Dans le cas du 14 juillet 1953, il a fallu plus longtemps encore pour que l’événement commence à émerger dans la conscience nationale. Le premier livre qui lui a été consacré, publié en 2003 par Maurice Rajsfus, 1953, un 14 juillet sanglant (Agnès Viénot éditions), a été peu diffusé et il a fallu attendre 2021 pour qu’un autre éditeur, les éditions du Détour, en fasse une nouvelle édition avec une préface de l’historienne Ludivine Bantigny. Entre temps, l’historien Emmanuel Blanchard lui a consacré un chapitre dans son livre, La police parisienne et les Algériens (1944-1962), publié en 2011 aux éditions Nouveau monde.

Mais, peu avant, lors d’une projection-débat du film du cinéaste documentariste Daniel Kupferstein, Mourir à Charonne, pourquoi ?, le 8 février 2010, à Paris, Salle Jean Dame, dans le 2ème arrondissement, co-organisée par la fédération de Paris de la Ligue des droits de l’Homme, l’historienne des manifestations parisiennes, Danièle Tartakovsky, lui a suggéré qu’après avoir consacré deux films aux deux manifestations parisiennes, celle du 17 octobre 1961 et celle du 8 février 1962 au métro Charonne, il y avait un autre événement largement oublié qui en mériterait un, lui aussi, celui du 14 juillet 1953.

Kupferstein a d’abord écarté l’idée. Il avait d’autres projets en tête et ne voulait pas devenir « le cinéaste spécialiste des massacres coloniaux parisiens ». Mais, peu après, il a réalisé que les témoins disparaissaient un à un, qu’aucune des personnes auxquelles il en parlait ne le connaissaient, et que, par conséquent, un nouveau livre et un film s’imposaient. Il s’est mis au travail et a commencé une enquête approfondie auprès des archives et des survivants, s’est rendu en Algérie recueillir les témoignages de parents des victimes, et il a rencontré en France des anciens de l’immigration algérienne qui avaient participé à la manifestation, ainsi que des policiers qui avaient participé à sa répression. Il a mené à bien un film, Les balles du 14 juillet 1953, sorti en 2014, puis publié le présent livre, en 2017, aux éditions La Découverte, consacré, sur les conseils de leur éditeur, François Gèze, à l’histoire de cet événement, qui a été suivi, la même année, d’un autre livre, intitulé Filmer contre l’oubli (éditions Ressouvenances), consacré à son enquête.

Didier Daeninckx le précise avec justesse dans la préface qu’il a donnée à la première édition du présent livre : « L’originalité de l’approche de Daniel Kupferstein réside dans sa méthode de cinéaste documentariste. Si ce livre s’appuie sur la consultation d’archives inédites, sur une lecture attentive de la presse de l’époque et des moindres évocations du 14 juillet 1953 au cours des années qui suivent la tragédie, sur une fréquentation des études consacrées à la guerre d’Algérie, une part essentielle est constituée par la recherche des témoignages. Ce qui en fait la richesse, c’est bien la rencontre avec les acteurs de cet épisode sanglant, avec leurs proches, aussi bien du côté des victimes que des forces de répression, et avec tous ceux dont la vie, aujourd’hui encore, est entravée par les non-dits, les mal-dits de l’Histoire ». Le préfacier de la présente réédition de 2024 par les éditions du Croquant ne saurait mieux dire.

*

Pourquoi cet événement a-t-il été oublié et pourquoi a-t-il mis tant de temps à être l’objet de commémorations ? La réponse est donnée par l’historien Emmanuel Blanchard : « Pour qu’il y ait une mémoire, il faut qu’il y ait des porteurs de mémoire ». Or, il apparaît que si cet épisode tragique a mis tant de temps à commencer à être reconnu, c’est que, des deux côtés de la Méditerranée, il y avait davantage de forces qui ne tenaient pas à ce qu’on le rappelle que d’autres désireuses d’en perpétuer la mémoire.

En France, les partisans du maintien à tout prix de l’Algérie française, à commencer par le gouvernement de l’époque, ont fait en sorte que la vérité ne soit pas dite. Après le débat qui a suivi, le 16 juillet 1953, à l’Assemblée nationale, et qui s’est soldé par le refus de constituer une commission d’enquête, aucune des plaintes déposées contre les violences policières commises le 14 juillet 1953 n’a débouché sur des poursuites. La majorité des forces politiques françaises qui ont été au pouvoir dans les années qui ont suivi ont tout fait pour qu’on oublie ce drame.

Seize mois plus tard, le Premier Novembre 1954, le FLN a été fondé par de jeunes militants issus du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratique), et, durant les huit années de la guerre d’indépendance algérienne, d’autres évènements ont recouvert l’histoire de la manifestation de 1953. A partir du Premier novembre 1954, c’est le FLN qui a été désigné comme l’ennemi à combattre, qui a été qualifié de « hors-la-loi » et de « bandits » par les autorités et par l’essentiel des partis politiques et de la presse. C’est lui qui a incarné l’indépendantisme algérien, symbolisé dans les mains des manifestants du 14 juillet 1953 par la présence du drapeau algérien à l’origine de la fusillade. Et le FLN et ceux qui étaient suspectés d’en faire partie ou de le soutenir par leurs cotisations ont fait l’objet de répressions encore plus violentes, impliquant la pratique d’exécutions sommaires et de la torture, qui s’est étendue systématiquement de l’Algérie coloniale à la France métropolitaine. Des équipes de tueurs constituées, hors de la hiérarchie policière, par le préfet de police, Maurice Papon, opérant la nuit, ont pratiqué des violences dans les bidonvilles et des mitraillages de cafés-hôtels où vivaient les immigrés algériens. Jusqu’aux Accords d’Evian et à l’indépendance de l’Algérie, la partie du gouvernement hostile à cette indépendance, autour du premier ministre, Michel Debré, et du ministre de l’Intérieur, Roger Frey, ont tout fait pour nier les violences commises contre les Algériens en France, et il a fallu attendre les années 1980-90 et le début du XXIe siècle pour qu’on commence à en parler.  

Seules des publications clandestines comme Vérité-Liberté, ou la presse du PCF ou proche de lui, les ont dénoncées, cette dernière rompant peu à peu avec une forme de méfiance envers les indépendantistes algériens qu’elle avait eue durant la majeure partie de la guerre.

En Algérie, l’insurrection qui a suivi le Premier Novembre 1954 ont recouvert dans l’actualité tout ce qui avait précédé cette date. Et l’histoire officielle qui s’est mise en place après l’indépendance a eu tendance à laisser de côté tout ce qui l’avait précédée. D’autant que le FLN s’est construit sans les fidèles de Messali Hadj qui était le leader du mouvement qui avait organisé le cortège de 1953, celui dont les manifestants algériens brandissaient le portrait et demandaient la libération. Plus généralement, l’histoire construite et propagée par le régime algérien après l’indépendance s’est efforcée de mettre à l’écart le rôle de l’immigration algérienne en France dans la construction du mouvement national, depuis la fondation, au milieu des années 1920, de l’Etoile nord-africaine jusqu’au rôle de la Fédération de France du FLN, majoritairement hostile, à l’été 1962, à l’installation de l’armée des frontières aux commandes du pays.

Pourtant, grâce aux efforts de l’auteur de ce livre et d’autres historiens et militants de la vérité, beaucoup d’esprits ont bougé sur les deux rives de la Méditerranée. En juillet 2017, Daniel Kupferstein a parlé de son film et de ses livres à un élu communiste parisien, Nicolas Bonnet-Oulaldj, et celui-ci a œuvré pour que la ville de Paris soutienne l’apposition d’une plaque commémorant le 14 juillet 1953, place de la Nation. Depuis, chaque année, des rassemblements commémoratifs ont lieu, et, pour le 70ème anniversaire de cette répression, une exposition, une exposition d’œuvres d’un plasticien, et une reconstitution théâtralisée du débat parlementaire du 16 juillet 1953 ont rassemblé un public nombreux, place de la Nation. Et, côté algérien, alors que les victimes de cette répression n’avaient longtemps obtenu aucune reconnaissance de la part des institutions de l’Algérie indépendante, un rassemblement a été organisé pour l’officielle Journée du Chahid (Martyr), le 18 février 2024, devant la plaque de la place de la Nation, soutenue par diverses associations de la diaspora algérienne, dont certaines sont proches du régime.

La vérité fait son chemin. Mais, triste continuité dans les atteintes aux libertés publiques en France lorsque celles-ci sont revendiquées par des héritiers des indigènes d’antan, alors qu’ils devraient pourtant avoir tous les droits de citoyens ou de résidents, la Préfecture de police de Paris, en 2024, a interdit ce rassemblement…

Le combat contre la falsification du passé est inséparable de la défense des droits de l’Homme et de l’égalité dans la société française d’aujourd’hui.


Voir nos articles sur le massacre du 14 juillet 1953 et sa commémoration aujourd’hui


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