Le Festival d’Avignon a connu en 2024 des moments forts d’émotion et de solidarité autour du refus de l’extrême droite et de son discours imprégné de racisme colonial, ainsi qu’autour de la prise en compte de la diversité de la société française, de ce que la période coloniale lui a légué et de l’émancipation de tous les êtres humains.
La nuit d’Avignon
Dès l’ouverture, le Festival, la Ville d’Avignon, les compagnies, les artistes, la CGT-Spectacle, le Syndeac et de nombreux acteurs de la société civile dont la Ligue des droits de l’Homme ont organisé la nuit du 5 juillet dans la cour d’honneur du Palais des Papes une mobilisation festive contre l’extrême droite.
Une nuit d’union, une nuit de mobilisation, une nuit populaire pour contrer la supposée inéluctabilité de la victoire de l’extrême droite. Une nuit de force, et d’espoir, où la Ligue des droits de l’Homme a été représentée par une belle prise de parole d’Arié Alimi.
« La France Empire », « Femme aujourd’hui » et « Vita Activa »
En dehors du spectacle donné au Théâtre Le 11 par Nicolas Lambert, qui propose de feuilleter quelques pages manquantes de notre histoire coloniale, « La France Empire », dont ce site a déjà parlé, d’autres spectacles ont été l’occasion d’une forte empathie et d’élans de solidarité avec les luttes d’émancipation dans le monde.
« Femme aujourd’hui » et « Vita Activa », deux spectacles venus d’Iran dans le cadre du mouvement Femme Vie Liberté, ont été donnés au Théâtre de la Porte St Michel, ainsi que la conférence gesticulée, « J’aurais dû m’appeler Aïcha » et la pièce adaptée d’un roman, « Un faux pas dans la vie d’Emma Picard ».
« J’aurais dû m’appeler Aïcha »
Sous-tirée [ou l’identité française en question], cette conférence gesticulée « J’aurais dû m’appeler Aïcha » par Nadège De vaulx (-en-velin) interroge la question de l’identité en France en lien avec le système colonial, elle a été donnée cette année pour la deuxième fois en Avignon, cette fois au Théâtre Humanum, puisque la section de la LDH Avignon-Orange-Carpentras avait déjà fait venir ce spectacle en octobre 2022 dans le cadre du quarantième anniversaire de la « marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983.
« Un faux pas dans la vie d’Emma Picard »
Dans le cadre de la réflexion qu’elle mène sur les résonances du système colonial dans la société française d’aujourd’hui, cette même section « AOC » de la LDH a soutenu la pièce représentée en juillet 2024 au Théâtre Transversal, « Un faux pas dans la vie d’Emma Picard ».
C’est une adaptation pour la scène du roman éponyme de Mathieu Belezi. Dans les années 1860, pour échapper à la misère en France, Emma Picard, paysanne, veuve et mère de quatre fils, part en Algérie cultiver la terre que lui octroie le gouvernement français. Après quatre années d’épreuves, elle fait le récit de son combat permanent pour la survie. Colon par nécessité, Emma est avant tout une paysanne. Son récit témoigne d’un rapport viscéral à la nature tout entière, mais aussi au travail de la terre. Loin d’occulter le drame de la colonisation, le spectacle dresse le portrait d’une femme de condition modeste et donne une voix à celles et ceux dont on ne parle jamais.
A l’issue de la représentation du 8 juillet, en partenariat avec le théâtre Transversal et la Compagnie Okeanos, elle a animé un débat autour de la pièce en rappelant qu’aujourd’hui, soixante-deux ans après l’indépendance de l’Algérie, beaucoup de Françaises et de Français gardent des liens particuliers avec ce pays, de par son histoire coloniale, mais aussi et surtout par des mémoires demeurées vives et souvent douloureuses.
Parmi celles-ci, celle concernant ceux qu’on appelle communément les Pieds-noirs. Ceux-ci représentaient au moment de l’indépendance de l’Algérie près d’un million d’Européens d’origines diverses, y vivant et y travaillant depuis des générations.
C’est l’histoire d’une de ces protagonistes que raconte cette pièce forte. Emma Picard est une héroïne tragique qui nous interpelle par la dimension universelle d’une tragédie personnelle livrée dans l’intimité d’un soliloque bouleversant avec comme arrière-fond la violence de la colonisation subie par les Algériens.
En privilégiant un questionnement sur la contemporanéité du passé et l’actualité de ses empreintes, sur la ténacité, parfois discrète, des survivances et de leurs détournements, cette pièce invite à s’interroger sur ce qui reste de l’Algérie coloniale, des récits de ces actrices et acteurs. Quels usages en sont-ils faits ? Comment ce passé et ses mémoires se transmettent-ils ? Comment la colonisation et la guerre d’indépendance continuent-elles d’être interprétées et de résonner dans ces milieux autant qu’au sein de la société française dans son ensemble ? La pièce est reprise à Paris, du vendredi 6 septembre 2024 au dimanche 16 février 2025, au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes.
Ces moments d’émotion et de réflexion provoqués par certains spectacles et aussi par les débats qui les ont entourés laisse présager de nouveaux rendez-vous pour la prochaine édition, tant au niveau du Festival in que celui du off.