Chronologie
27 octobre 2005. Trois adolescents de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Bouna Traoré, Zyed Benna et Muhittin Altun, se réfugient dans un transformateur EDF, en début de soirée, à l’issue d’une course-poursuite avec des policiers. Deux d’entre eux décèdent, seul Muhittin Altun parvient à s’échapper.
30 octobre 2005. Nicolas Sarkozy met hors de cause les forces de l’ordre : « En l’état actuel des éléments qui sont à ma disposition, les policiers ne poursuivaient pas les jeunes. »
3 novembre 2005. Une information judiciaire est ouverte pour « non-assistance à personne en danger ».
27 octobre-17 novembre 2005. Les cités s’embrasent. 200millions d’euros de dégâts matériels, selon les assurances.
13 novembre 2006. Cinq gardiens de la paix intervenus à Clichy-sous-Bois sont entendus, sous le statut de témoin assisté, par le juge Olivier Géron.
La « légèreté » des policiers dénoncée dans le drame de Clichy-sous-Bois
L’inspection générale des services (IGS) a remis récemment au juge d’instruction Olivier Géron son rapport final d’enquête sur le drame de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), où deux adolescents, Bouna Traoré et Zyed Benna, avaient trouvé la mort le 27 octobre 2005 dans un transformateur EDF.
Dans ses conclusions, l’IGS établit qu’il y a bien eu une course-poursuite, et critique sévèrement le comportement, « d’une légèreté et d’une distraction surprenantes », de certains policiers. Elle ne se prononce pas, en revanche, sur la culpabilité éventuelle des cinq policiers entendus, le 13 novembre, comme témoins assistés, par le juge Olivier Géron.
Saisi depuis le 3 novembre 2005 d’une enquête pour « non-assistance à personne en danger », le magistrat devrait procéder, dans les semaines à venir, à une reconstitution des faits. « Les faits, tels qu’ils sont établis dans le document de l’IGS, ne correspondent pas à l’accusation de non-assistance à personne en danger, a indiqué au Monde Me Daniel Merchat, l’avocat des cinq policiers poursuivis. On ne peut imputer à mes clients des faits qui ne se sont jamais déroulés. » Pour Me Jean-Pierre Mignard, le conseil des familles des victimes, « les policiers savaient que les adolescents avaient pénétré sur le site EDF, et leur seule attitude a été l’indifférence ».
La course-poursuite. L’IGS est formelle sur ce point. Leur enquête, fondée sur l’audition de vingt policiers, mais aussi celle de quatre des jeunes suspectés, le 27 octobre 2005, par les policiers, d’avoir tenté de cambrioler un chantier, établit que « les jeunes Bouna Traoré et Harouna Konte ont été poursuivis, une première fois, à l’intérieur du chantier, par un seul policier en civil, puis, qu’après avoir distancé leur poursuivant, ils ont été poursuivis une seconde fois (…) alors qu’ils se trouvaient dans le parc Vincent-Auriol en compagnie de leurs six amis. (…) A chaque fois la poursuite fut brève, à la fois dans le temps et dans l’espace. »
La tentative de vol. Deux ou trois jeunes seraient entrés sur un chantier privé, un autre faisant le guet. Pour l’IGS, la « tentative de vol était bien constituée dans la mesure où ses auteurs n’avaient renoncé à leur action concertée et organisée, non pas de leur propre fait, mais suite à l’intervention rapide et efficace des policiers de la BAC 833 ».
Les policiers ont-ils vérifié la présence des jeunes dans la centrale EDF ? A 17 h 32, le gardien de la paix Stéphane G. passe trois messages radio dans la même minute : « Deux individus sont localisés. Ils sont en train d’enjamber pour aller sur le site EDF. Il faudrait cerner le coin. » Puis : « Il faudrait ramener du monde », et enfin : « S’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau ». Devant le juge Géron, le 13 novembre, il a déclaré « qu’à aucun moment, il n’a[vait] vu de jeunes rentrer sur le site EDF ».
Pour l’IGS, ces messages « paraissent bien avoir été suivis d’effets, car aussitôt après qu’ils furent émis, plusieurs fonctionnaires se sont mis en devoir de s’approcher de la centrale ». Stéphane G. se serait hissé à deux reprises sur une poubelle, puis une armoire électrique, pour observer l’intérieur de la centrale. « N’ayant rien vu, a expliqué Stéphane G. au magistrat, j’ai pensé qu’il n’y avait personne. » « Au final, conclut l’IGS, les recherches des policiers ne permettaient pas de localiser les jeunes. »
L’inaction des policiers. Sur les dix-sept policiers impliqués dans l’intervention, le 27 octobre, seuls six d’entre eux ont indiqué avoir entendu les messages signalant l’introduction des jeunes sur le site EDF. Pour l’IGS, « il paraît singulier qu’en phase active de recherche de délinquants, les fonctionnaires impliqués n’aient pas prêté attention aux messages radio (…), près des deux tiers d’entre eux ont failli dans ce domaine ».
Et l’IGS de conclure : « L’étude de la chronologie des faits met en évidence le fait que si EDF avait été avisée au moment où le gardien de la paix G. constatait que les deux jeunes étaient susceptibles d’entrer dans la centrale, les agents EDF seraient intervenus un quart d’heure avant que ne se produise l’accident, (…) l’urgence aurait voulu que fussent appelés les services d’EDF ». Néanmoins, selon les enquêteurs, « l’intervention des agents EDF n’aurait pas, à coup sûr, évité l’accident ».
Les jeunes avaient-ils été cernés ? Pour l’IGS, « plus qu’un encerclement de la centrale, et bien que le verbe ‘cerner’ eût été prononcé sur les ondes, les opérations menées par les policiers s’apparentaient davantage à une intensification des recherches autour de la centrale, une manœuvre imparfaite, en tout cas non orchestrée, menée de manière empirique et dans un très court trait de temps ». Cinq véhicules avaient participé à l’opération.
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Dès le lendemain, la police contestait l’article précédent, évoquant «une présentation biaisée du rapport de l’IGS» :
Clichy-sous-Bois: la police contre-attaque
Devant une rangée de caméras au garde-à-vous, Eric Meillan, directeur de l’Inspection générale des services (IGS, la «police des polices»), et Pierre Mutz, préfet de police de Paris, ont tenté, vendredi matin, de déminer le terrain. La veille, la presse avait publié des éléments du rapport de l’IGS sur les conditions dans lesquelles deux adolescents ont trouvé la mort dans une centrale EDF, le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois.
L’opération, montée à la hâte, de l’aveu même du patron de l’IGS («Je n’ai pas vraiment eu le temps de préparer cette conférence de presse»), s’est révélée laborieuse. Tout en expliquant qu’ «aucune faute [des policiers, ndlr] n’est établie à ce jour», Eric Meillan s’est refusé à la moindre précision sur le fond, mais a souligné que par «une présentation tronquée de pièces de justice», on pouvait s’acheminer vers «une image fausse» de l’affaire. Le préfet de police a tenu lui aussi à «couper court à une fausse polémique», ajoutant que «la police est l’une des institutions les mieux contrôlées». En déplacement dans la Somme, Nicolas Sarkozy s’est aussi élevé contre une présentation biaisée du rapport.
Cette contre-offensive a aussitôt fait réagir les avocats des familles des victimes, Mes Mignard et Tordjmann. «On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de manquement. Ce commentaire du directeur de l’IGS contredit ouvertement le contenu du rapport de ses services», a protesté Me Mignard. De fait, des éléments extraits du rapport sont accusateurs pour les policiers : ainsi, alors qu’au moins un policier avait indiqué, ce 27 octobre 2005, à ses collègues dans un message radio qu’il voyait «deux individus en train d’enjamber pour aller sur le site EDF», l’IGS écrit qu’il «paraît singulier que les fonctionnaires impliqués n’aient pas prêté attention au message radio».
Cinq policiers sont d’ailleurs placés sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre celui de témoin et de mis en examen. Les avocats des victimes demandent aussi la création d’une commission d’enquête parlementaire, notamment pour faire la lumière sur la communication de Sarkozy qui, juste après le drame, avait nié une poursuite entre jeunes et policiers. Un point aujourd’hui établi par l’IGS.