Ces Tsiganes que la France interna
auteur du livre « Un camp pour les Tsiganes et les autres : Montreuil-Bellay, 1940-1945 »
Le président de la République française,
Vu la loi du 16 juillet 1912 […]
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :
Article 1 – La circulation des nomades est interdite sur la totalité du territoire métropolitain pour la durée de la guerre.
Article 2 – Les nomades, c’est-à-dire toutes personnes réputées telles dans les conditions prévues à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912, sont astreints à se présenter tous les quinze jours qui suivront la publication du présent décret, à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de police le plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à résider sous la surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du préfet. […]
Tels sont les termes du décret signé le 6 avril 1940 par Albert Lebrun, président de la République française. Ce décret publié au Journal Officiel des 8 et 9 avril 1940, page 2 600, devait justifier l’internement en France des nomades dans des camps pendant la Seconde Guerre mondiale et leur maintien pendant de nombreux mois après la fin de celle-ci. La dernière phrase de l’article 2 explique par ailleurs la multiplication de ces camps sur tout le territoire national.
Mais qui étaient ces nomades que l’on décidait officiellement de neutraliser ? Pour les définir, reportons-nous à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912, comme le recommande le décret d’avril 1940. L’ouvrage de Félix Challier, La nouvelle loi
sur la circulation des nomades, Loi du 16 juillet 1912, édité en 1913, est très précis sur la question :
Article 3 – Sont réputés nomades f…], quelle que soit leur nationalité, tous individus circulant en France.sans domicile ni résidence fixe, et ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus spécifiées, même s’ils ont des ressources ou prétendent exercer [ces deux derniers mots sont soulignés dans le texte] une profession. Ces nomades doivent être munis d’un carnet anthropométrique.
Les catégories concernées étaient les ambulants (ceux qui vont de village en village en exerçant une profession déterminée, ayant, par conséquent, des moyens d’existence connus ; ils ont souvent un domicile fixe), et les forains (commerçants et industriels qui n’ont ni domicile, ni résidence fixes, dont la profession consiste à mener une existence commerciale errante […] à travers toute la France, se transportant dans les villes et les villages les jours de foires, de marchés, de fêtes locales, pour offrir à une clientèle de passage leurs marchandises ou leurs « attractions »).
Un texte présenté au Sénat le 30 mars 1911, également publié par Félix Challier, qualifiait les nomades de roulottiers, n’ayant ni domicile, ni patrie, la plupart vagabonds à caractère ethnique, romanichels, bohémiens, tsiganes.
Voici donc ces Tsiganes victimes du décret du 6 avril 1940. Vraisemblablement originaires de l’Inde qu’ils auraient quittée vers le IXe siècle, ils se sont divisés en plusieurs groupes et ont nomadisé, parfois sédentarisés de force ou condamnés à l’esclavage. Cette dispersion, qui favorisa certaines localisations, divisa ce même peuple en plusieurs groupes : les Roms, en Europe orientale et en Scandinavie ; les Manouches, en France et en Allemagne, les Sintis, au Piémont ; les Gitans, en Espagne, au Portugal, dans le sud de la France et en Afrique du Nord.
Les Gypsies forment un groupe à part en Angleterre.
Les Tsiganes sont évoqués en France pour la première fois dans les archives à la date du 23 août 1419, rencontrés aux portes de Mâcon. Dans son Journal, couvrant les années 1405 à 1449, le Bourgeois de Paris dit les avoir vus le 17 août 1427 plaine Saint-Denis : Les hommes estoient tres noirs, les cheveulx crespez, les plus laides femmes que on peust veoir et les plus noires ; […] Brief, ce estoient les plus povres creatures que on vit oncques venir en France de aage de homme.
Aujourd’hui appelés volontiers Tsiganes, Voyageurs, Fils du Vent, ils étaient autrefois les Romanichels, Baladins et Bohémiens…
Tels étaient ces « nomades » que la France avait décidé d’interner. Les sédentaires ne les avaient jamais aimés, et la loi du 16 juillet 1912 leur avait déjà imposé le carnet anthropométrique, carnet normalement destiné aux criminels et qui ne sera supprimé… qu’en 1969 !
Les camps en France
Dès novembre 1939, des avis publiés dans les journaux limitaient les libertés des nomades et des forains. Le 18 novembre 1940, un décret précisait des mesures qui devaient être prises à l’égard des individus dits dangereux pour la défense nationale (Journal Officiel du 30 novembre 1939, page 13516). Leur internement ou assignation à résidence pouvait être décidé par les préfets. Pour justifier une telle mesure, quand il s’agissait des nomades, était invoquée la facilité qu’ils pouvaient avoir d’espionner
au bénéfice de l’ennemi. Argument spécieux puisque les forains, comme les ambulants, également sans cesse sur les routes, étaient libérés dès qu’ils avaient été distingués des « nomades ». Le caractère racial de la mesure ne fit plus aucun doute après que le préfet du Finistère eut précisé, dans une lettre conservée aux Archives départementales du Maine-et-Loire, de ne retenir que les individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani [C’est moi qui souligne.].
Il y eut des internements antérieurement au décret du 6 avril 1940. Ainsi, une soixantaine de Tsiganes lorrains, évacués de l’Est le 8 septembre 1939, avaient été rassemblés dans le camp des Alliés, au sud d’Angoulême
(Charente). Les Archives départementales du Maine-et-Loire signalent celui de Louis L., né le 3 novembre 1895, interné depuis le 28 janvier 1940. Motif de l’internement : habitait dans une maison en planches à Vannes. Autorité ayant prononcé l’internement : Gendarmerie française.
Les assignations à résidence se multiplièrent dès le mois de mai. Ainsi, Louis Winterstein, né le 7 mars 1899, fut arrêté avec sa compagne et ses dix enfants le 14 mai à Galgon (Gironde), et interné dans le camp de Mérignac où un onzième enfant naquit. La famille
connut ensuite les camps de Poitiers et de Montreuil-Bellay.
Dès son installation, le gouvernement de Vichy se contenta le plus souvent de reconduire les lois de la IIIe République, comme le confirme cet extrait d’un document des Archives départementales de la Sarthe : Direction Générale de la Sûreté-Nationale, Vichy, le 29 décembre : Chaque centre de séjour surveillé, créé en application du décret-loi du 18 novembre 1939, est placé sous l’autorité d’un chef de camp. Le décret du 6 avril 1940 était systématiquement rappelé pour justifier les internements. L’Occupant publia bien des ordonnances, mais dans le but d’expulser les nomades de certaines zones dites stratégiques, comme le long des côtes,
ou de leur interdire de circuler ; il n’y était pas question d’internement dans des camps, seulement d’amende ou d’emprisonnement en cas de refus d’obtempérer. L’ordonnance (VOBIF) n° 19 du 7 décembre 1940 prévoit : L’exercice des professions ambulantes est interdit dans les départements suivants [suit une liste de 23 départements]. Les professions visées par la présente ordonnance comprennent l’activité des marchands ambulants, commerçants et industriels forains, nomades.
En 1941, un Tourangeau, ne comprenant pas pourquoi il était interné, s’est adressé à la Feldkommandantur de sa ville. Celle-ci a aussitôt adressé le courrier à la préfecture de l’Indre-et-Loire. Une note a été griffonnée sur la lettre : Étant donné que l’intéressé est Français et qu’il a été arrêté par les autorités françaises, cette affaire ne concerne pas les autorités allemandes.
De son côté, début 1942, la préfecture d’Angers n’entendant plus payer la charge trop lourde que représentait pour elle le camp de Montreuil-Bellay, demanda à la même Feldkommandantur de Tours d’en assumer financièrement
le fonctionnement. Elle reçut cette réponse le 5 mars 1942: La surveillance de nomades est une mesure policière qui incombe à l’administration française en tant que mesure de police prise par l’État français, et ceci, également quand l’internement a lieu par ordre des services allemands.
Lorsque le territoire français fut libéré, à partir de l’été 1944, les camps enfermant des Tsiganes ne furent pas pour autant supprimés. Celui de Poitiers ne fut liquidé que fin décembre 1945 et celui d’Angoulême sévissait encore en mars 1946 ! Le décret du 6 avril 1940 avait toujours cours, bien que la guerre fût terminée depuis dix mois.
Le camp de Montreuil-Bellay
Considéré comme le plus grand camp d’internement de Tsiganes implanté sur le territoire national pendant la Seconde Guerre mondiale, celui de Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire, eut une histoire très compliquée.
Il faut commencer par résoudre un problème de vocabulaire, expliquer pourquoi, dans les papiers officiels et autres, ce camp est presque toujours qualifié
de « camp de concentration de nomades ». Il était de « concentration » dans le sens premier du terme. Existaient parallèlement à cette catégorie des camps de transit (comme Drancy, dans la région parisienne), de représailles (en forteresse), de travail (Gusen, en Autriche) et d’extermination (le château d’Hartheim, lui aussi en Autriche).
Auschwitz (Pologne) était un camp mixte, puisque si des internés travaillaient dans des Kommandos, certains étaient exterminés dès leur arrivée, après sélection. Pour celui de Montreuil-Bellay, on parle aujourd’hui de « camp d’internement ».
Le camp de Montreuil fut à l’origine une poudrerie construite au cours du premier semestre 1940 pour le ministère de l’Armement. Avaient été embrigadés des soldats républicains espagnols vaincus. Le 19 juin 1940, les entreprises et les Espagnols abandonnèrent le chantier presque achevé, menacés par l’avancée des Allemands qui entrèrent dans Montreuil-Bellay deux jours plus tard. Le site devint jusqu’en mars 1941 un stalag pour les militaires français et alliés défaits, et les civils britanniques vivant en France qu’Hitler voulait neutraliser ou punir pendant la Bataille d’Angleterre. Puis les soldats français furent envoyés en Allemagne comme prisonniers, et les Britanniques regroupés à Saint-Denis, près de Paris. À partir du 8 novembre 1941, Montreuil-Bellay reçut plusieurs contingents de Tsiganes qui avaient précédemment séjourné dans une multitude de petits camps que les préfectures avaient ouverts sur le territoire français, camps que l’on supprimait parce que d’un coût trop élevé, et qui étaient remplacés par le grand camp régional de Montreuil. Furent également internés plus de soixante clochards arrêtés dans les rues de Nantes au printemps 1942.
Le camp ayant été bombardé par les alliés en juin et juillet 1944, les Tsiganes furent transférés dans un second lotissement de l’ancienne poudrerie, à quelque trois kilomètres du premier.
Début septembre 1944, Montreuil-Bellay ayant été libéré le premier, les barbelés éventrés accueillirent 145 soldats du Reich, arrêtés dans la région, dont 107 Géorgiens, ou « Russes blancs », enrôlés par les nazis pour combattre contre leurs compatriotes communistes, et 30 Italiens ; puis ce fut le tour de collaborateurs locaux pour qui le vent avait tourné, vite expédiés à Châteaubriant (Loire-Atlantique, alors Loire-Inférieure). Les Tsiganes regagnèrent leurs baraquements en partie en ruine début octobre, et ne quittèrent Montreuil que le 16 janvier 1945, pour être transférés dans les camps de Jargeau et d’Angoulême, parce que la préfecture avait besoin du site. Le 20 janvier, arrivaient en effet 796 civils allemands, dont 620 femmes, la plupart très âgées, et 71 enfants, qui vivaient ou travaillaient dans l’Alsace annexée, reconquise par les hommes de Leclerc, et que l’on avait un temps rassemblés dans le camp du Struthof (Bas-Rhin). Des femmes hollandaises mariées à des nazis les rejoignirent au cours de l’été. Le grand nombre de morts pendant l’hiver ayant alarmé les autorités et les conditions sanitaires devenant épouvantables, les survivants furent transférés dans le camp de Pithiviers (Loiret) fin novembre.
Au printemps 1946, un escadron d’un régiment de Chasseurs d’Afrique occupa une dernière fois le site débarrassé de ses barbelés et de ses miradors. Les installations furent enfin vendues aux enchères par les Domaines le 22 octobre 1946.
Restent aujourd’hui le long de la grand route Angers-Poitiers, les marches qui conduisaient aux baraquements et la cave-prison dont un soupirail a conservé ses barreaux.
Le camp était entouré de deux rangées de fil de fer barbelé électrifié, avec chevaux de frise, bordées de guérites espacées. Deux miradors dominaient l’enceinte aux extrémités.
Il connut sa plus forte population en août 1942, avec 1 086 internés, en raison de l’arrivée de 717 nomades et clochards du camp de Mulsanne (Sarthe). Ils étaient encore 498 au 12 janvier 1945. En dehors de quelques menus travaux de nettoyage, de corvées de bois ou d’aide à la cuisine pour des femmes, ils restaient quasiment toujours oisifs. La scolarité des enfants étant obligatoire
en France, même pendant les guerres et même pour les nomades, des écoles fonctionnaient dans un bâtiment aménagé, et l’Inspection académique du Maine-et-Loire avait détaché quatre maîtres. Un prêtre de Montreuil officiait dans une chapelle également installée dans un bâtiment du camp.
Jusqu’en janvier 1943, les Tsiganes furent surveillés uniquement par des gendarmes. Puis furent engagés par la préfecture de jeunes gardes civils originaires de la région qui échappaient ainsi au départ pour l’Allemagne dans le cadre de Relève forcée (loi du 4 septembre 1942) et du Service du Travail Obligatoire (le STO, loi du 16 février 1943). Les archives et les témoignages rappellent très peu de sévices corporels, les internés souffrant surtout de conditions d’hygiène épouvantables dans des locaux non chauffés l’hiver, de l’extrême insuffisance et pauvreté de la nourriture, et surtout de la privation de la liberté de se déplacer que rien ne justifiait à leurs yeux.
Des libérations eurent lieu pendant les premiers mois, lorsqu’était justifié l’achat d’une maison ou d’un simple habitat troglodyte, nombreux dans le Saumurois. Le prêtre mariait alors le couple qui avait jusqu’alors vécu en concubinage pour que le père et la mère pussent sortir ensemble. Les libérations furent supprimées après le remplacement du directeur et du sous-directeur arrêtés par la Gestapo en septembre 1943… pour fait de Résistance !
Les évasions furent rares, et les fugitifs, privés de papiers, étaient presque toujours dénoncés par la population puis reconduits dans le camp.
Les décès furent particulièrement nombreux fin 1942 et début 1943. Ils frappèrent surtout les clochards de Nantes, plus vulnérables que les tsiganes habitués aux privations et aux conditions de vie précaires: 60 morts pendant l’automne et l’hiver dont une cinquantaine de clochardS, 25 au cours des 29 autres mois de l’internement, dont plusieurs au cours de bombardements alliés. Par tranches d’âge 15 de moins de 5 ans, dont plusieurs bébés dans la dernière période du camp, mis au monde par des mères sous-alimentées ; 2 de 5 à 15 ans ;
de 15 à 45 ans, et 46 de plus de 45 ans. Si les deux médecins de la ville se relayaient pour donner des consultations aux malades, les hôpitaux voisins refusèrent souvent de recevoir ces patients jugés indésirables.
Quand les survivants quittèrent enfin les camps, ils ne possédaient plus rien, leur matériel abandonné dans des champs lors des arrestations ayant le plus souvent disparu. Beaucoup se sont sédentarisés pour cette raison, mais aussi par peur d’être de nouveau interceptés et internés s’ils continuaient de nomadiser.
Une stèle rappelant ces tristes événements fut inaugurée le 16 janvier 1988 sur le site du camp, à proximité de la prison ; la première en France pour un ancien camp de nomades. Les autorités sollicitées pour participer à son financement ont alors toutes refusé. Chaque année, le dernier samedi d’avril, s’y déroule la cérémonie nationale des victimes tsiganes de la Seconde Guerre mondiale.
La déportation en Allemagne et dans les pays conquis
L’Allemagne nazie n’a pas cherché dès les premières années à exterminer ses nomades. Elle a d’abord décidé leur
sédentarisation forcée, jusqu’à ce que Himmler publiât, le 8 décembre 1938, un décret destiné à lutter contre « l’infestation tsigane ». Ce même Himmler, le 27 avril 1940, donna l’ordre de déporter 2 500 Tsiganes allemands en Pologne, par familles entières. Enfin, le 29 janvier 1943, un décret stipula que tous les Tsiganes devaient être envoyés à Auschwitz. Les historiens pensent que les nazis ont décidé pour eux la solution finale le 16 décembre 1942.
Le 13 octobre 1943, le ministre de la Justice avertit le Reichsleiter qu’il se proposait d’organiser des poursuites pénales contre les Polonais, Russes, Juifs et Tsiganes afin d’en débarrasser le corps national allemand, et afin de nettoyer les régions de l’Est annexées par le Reich pour les faire coloniser par le peuple allemand.
Pour l’État policier qu’était alors l’Allemagne, les nomades étaient classés parmi les asociaux qu’il fallait supprimer ; le paradoxe est qu’au point de vue racial, ils se trouvaient être définis de pure race indo-germanique. Certains arrivèrent à Auschwitz arborant sur leur poitrine des décorations gagnées pendant la campagne de Pologne. On pense qu’ils furent près de 20 000 à séjourner dans la partie tsigane du camp de Birkenau. La plupart furent gazés au cours de l’été 1944 sur l’ordre d’Himmler.
En France
Les nombreuses recherches effectuées dans les archives et auprès de survivants confirment qu’il n’y a pas eu de déportation de nomades français dans les camps de la mort nazis. Les Allemands, considérant que les autorités françaises s’étaient chargées d’eux, se désintéressèrent du sujet. Ce qui n’eût certainement pas été le cas si la guerre avait continué. Il faut évoquer pourtant deux situations représentatives.
Le 15 janvier 1944, un convoi Z (Z pour Zigeuner, Tsigane en allemand) quittait Malines, en Belgique, déportant 351 Tsiganes à Auschwitz. Seuls douze d’entre eux survécurent. Ils avaient été raflés pour la plupart à Arras, Roubaix et Hénin-Liétard entre octobre et décembre 1943, dans le ressort du commandement militaire de Bruxelles dont faisaient alors partie les départements français du Nord et du Pas-de-Calais. Sur les 351 déportés, 145 s’étaient déclarés Français et 121 Belges.
L’extermination eut lieu à Birkenau dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Le destin d’un dénommé Talloche fut particulièrement tragique. Interné à Montreuil-Bellay, il réussit à se faire libérer après avoir acheté, par l’intermédiaire d’un
notaire, une petite maison à quelques kilomètres de la ville. Incapable de vivre entre quatre murs, il reprit la route pour retourner dans son pays d’origine, la Belgique. Il fut arrêté dans le Nord et disparut en Pologne avec ses compagnons d’infortune.
Se pose également la question de Tsiganes originaires du camp de Poitiers (Vienne) : 70 partirent pour l’Allemagne le 13 janvier 1943, et 38 le 21 juin. Les dates sont importantes parce que, rappelons-le, venaient d’être institués, pour la première, la « Relève forcée », par la loi du 4 septembre 1942, et pour la seconde, le « S.T.O. », par celle du 16 février 1943. Ces hommes ne furent pas déportés outre-Rhin par les nazis pour y être exterminés : ils avaient été désignés par la municipalité poitevine qui préférait envoyer ces parias disponibles plutôt que ses « bons » citoyens pour composer, ou compléter, les contingents de travailleurs que réclamait en vain l’Occupant pour ses usines. Étaient concernés les hommes de 18 à 50 ans. J’ai rencontré l’un d’eux, refusé à son passage dans le camp de transit de Compiègne parce que trop jeune ou trop faible. Quand ils déportaient pour l’extermination, les nazis n’avaient pas autant d’attentions, et à cette date, femmes et enfants auraient fait partie des tragiques convois. Toujours est-il que certains se retrouvèrent dans des camps d’où ils ne revinrent pas ; les autres retrouvèrent leur famille après mai 1945.
L’internement des Tsiganes français dans des camps pendant la Seconde Guerre mondiale est peu connu, occulté ou oublié. Aucun historien ne l’avait étudié jusqu’à ce que je découvre tardivement, au début des années 80, l’existence de l’un de ces camps dans la ville où j’enseignais, Montreuil-Bellay. Et pourtant, ils sont restés derrière des barbelés jus-
qu’en 1946, victimes d’une mesure arbitraire, comme le précise laconiquement l’intitulé de la stèle commémorative de cette forfaiture. Cette mesure ne dérangeait pas outre mesure la conscience des Français. Il semble que cet internement était programmé depuis longtemps, et que l’on avait profité de la guerre pour agir. Celle-ci terminée, on a parfois fait comme si elle continuait.
Si certains ont pu bénéficier d’une carte d’ancien interné « politique », reconnaissance officielle de leurs souffrances, tous ont voulu pendant de longues années cacher cette honte d’avoir été enfermés, et n’en ont parlé à personne, pas même à leurs enfants.
Demeure l’immense tristesse que cela ait été.
- Ce texte a été publié dans le numéro 108 / juin 2001, de la revue Les Chemins de la Mémoire, éditée par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives.
L’ouvrage de Jacques Sigot, « Un camp pour les Tsiganes et les autres : Montreuil-Bellay, 1940-1945 », a été édité chez Wallâda (5, rue Defabritis 13110 Port-de-Bouc) – Prix : 22, 56 euros.
La société Candela Productions a réalisé un documentaire de 26′ : Les oubliés de Montreuil-Bellay de Abdelali Boutibi – 1999.
http://www.candela-productions.fr/Film.php?idFilm=22
Candela Productions, 3 rue d’Estrées, 35000 Rennes – Tél: 02 99 78 26 67
Fax: 02 99 78 26 80.