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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Un appel de 56 juristes à l’abrogation des « lois mémorielles »

Un appel à l'abrogation des « lois mémorielles », qualifiées d'« abus de pouvoir du législateur » et accusées de violer « à plus d'un titre la Constitution », a été publié le 21 novembre 2006 par 56 juristes. Lancé notamment par Bertrand Mathieu, directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel, il dénonce la « liste déjà longue de dispositions visant, soit à interdire la manifestation d'opinions, soit à écrire l'Histoire et à rendre la version ainsi affirmée incontestable » comme les textes sur le génocide juif, l'esclavage ou la colonisation. « Sous couvert du caractère incontestablement odieux du crime ainsi reconnu, le législateur se substitue à l'historien pour dire ce qu'est la réalité historique et assortir cette affirmation de sanctions pénales » en cas de négation, ajoute l'appel.

Appel de juristes contre les lois mémorielles

Les juristes soussignés demandent l’abrogation de ces lois « mémorielles » et estiment qu’il est du devoir des autorités compétentes de saisir le Conseil constitutionnel du texte en discussion (ie pénalisant la négation du génocide arménien) et de toutes nouvelles dispositions en ce sens qui viendraient à être votées par le Parlement.

Après avoir affirmé l’existence du génocide arménien, le législateur s’est engagé dans une procédure visant à réprimer pénalement la négation de ce génocide. Cette proposition de loi, votée en première lecture par l’Assemblée nationale, s’inscrit à la suite d’une liste déjà longue de dispositions visant, soit à interdire la manifestation d’opinions, soit à écrire l’histoire et à rendre la version ainsi affirmée incontestable (loi Gayssot sur le génocide juif, loi sur l’esclavage, loi sur la colonisation). D’autres propositions sont déposées (sur le blasphème ou sur le prétendu génocide du peuple algérien commis par la France…).

La libre communication des pensées et des opinions est, selon la déclaration de 1789, l’un des droits les plus précieux de l’homme. Certes, ce droit n’est pas absolu et la protection de l’ordre public ou des droits d’autrui peuvent en justifier la limitation. En ce sens, des lois appropriées permettent de sanctionner les propos ou les comportements racistes causant, par nature, à celui qui en est victime un préjudice certain.

L’existence de lois dites « mémorielles » répond à une toute autre logique. Sous couvert du caractère incontestablement odieux du crime ainsi reconnu, le législateur se substitue à l’historien pour dire ce qu’est la réalité historique et assortir cette affirmation de sanctions pénales frappant tout propos ou toute étude qui viseraient, non seulement à sa négation, mais aussi à inscrire dans le débat scientifique, son étendue ou les conditions de sa réalisation.

Les historiens se sont légitimement insurgés contre de tels textes. Il est également du devoir des juristes de s’élever contre cet abus de pouvoir du législateur.

« La loi n’est l’expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution ». Or ces lois, que les autorités compétentes se gardent bien de soumettre au Conseil constitutionnel, violent à plus d’un titre la Constitution :

Elles conduisent le législateur à outrepasser la compétence que lui reconnaît la Constitution en écrivant l’histoire. Les lois non normatives sont ainsi sanctionnées par le Conseil constitutionnel. Tel est le cas des lois dites « mémorielles ».

Elles s’inscrivent dans une logique communautariste. Or, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, la Constitution « s’oppose à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelques groupes que ce soit, définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ».

Ce faisant elles violent également le principe d’égalité en opérant une démarche spécifique à certains génocides et en ignorant d’autres, tout aussi incontestables, comme, par exemple, celui perpétré au Cambodge.

Par leur imprécision quant à la nature de l’infraction, ce dont témoignent les décisions de justice qui s’y rapportent, le législateur attente au principe constitutionnel de la légalité des peines et à la sécurité juridique en matière pénale.

Elles violent non seulement la liberté d’expression, de manière disproportionnée, mais aussi et surtout la liberté de la recherche. En effet, le législateur restreint drastiquement le champ de recherche des historiens, notamment dans des domaines complexes ou controversés comme la colonisation ou s’agissant d’un crime comme l’esclavage pour lequel la recherche des responsabilités appelle une analyse approfondie et sans a priori.

On peut aussi considérer, sur un plan plus politique, que de telles lois peuvent aller, en muselant la liberté d’opinion, à l’encontre des objectifs qui sont les leurs et dont la légitimité n’est pas en cause.

C’est pour toutes ces raisons que les juristes soussignés demandent l’abrogation de ces lois « mémorielles » et estiment qu’il est du devoir des autorités compétentes de saisir le Conseil constitutionnel du texte en discussion et de toutes nouvelles dispositions en ce sens qui viendraient à être votées par le Parlement.

Signataires :

Bertrand MATHIEU, Professeur, Université Paris I

François TERRE, Membre de l’Institut

Anne Marie LE POURHIET, Professeur Université Rennes 1

Olivier GOHIN, Professeur, Université Paris II

Thierry DI MANNO, Professeur, Université de Toulon

François GAUDU, Professeur, Université Paris I

Anne LEVADE, Professeur Université Paris XII

Christophe BOUTIN, Professeur Université de Caen

Yves JEGOUZO, Professeur Université Paris I

Florence CHALTIEL, Professeur, I.E.P. Grenoble

Olivier DUBOS, Professeur, Université Bordeaux IV

Marie-Claire PONTHOREAU, Professeur Université Bordeaux IV

Maryse DEGUERGUE, Professeur, Université Paris I

Frédéric SUDRE, Professeur, Université de Montpellier

Paul CASSIA, Professeur, Université Versailles-Saint Quentin en Yvelines

Diane de BELLESCIZE, Professeur, Université du Havre

Henri OBERDORFF, Professeur, I.E.P. de Grenoble

Olivier LECUCQ, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour

Jean MORANGE, Professeur, Université Paris II

Gilles LEBRETON, Professeur, Université du Havre

Yvonne FLOUR, Professeur, Université Paris I

Jean-Jacques DAIGRE, Professeur, Université Paris I

Catherine LABRUSSE RIOU, Professeur, Université Paris I

Yves DAUDET, Professeur, Université Paris I

Olivier JOUANJAN, professeur, Universités de Strasbourg et de Fribourg-en-Brisgau.

Alain PIETRANCOSTA, Professeur, Université Paris I

Jean GAYON, Professeur, Université Paris I (Institut d’histoire et de philosophie des sciences)

Michel MENJUCQ, Professeur, Université Paris I

Raymonde VATINET, Professeur, Université Paris V

Danielle CORRIGNAN-CARSIN, Professeur, Université Rennes 1

Alexis CONSTANTIN, Professeur, université Rennes 1

Pierre AVRIL, Professeur émérite, Université Paris II

Bernard CHANTEBOUT, Professeur émérite, Université Paris V

Guillaume WICKER, Professeur, Université Bordeaux IV

Michel GERMAIN, Professeur, Université Paris II

Joseph PINI, Professeur, Université Aix-Marseille III

Geneviève BASTID BURDEAU, Professeur Université Paris I

Hervé LECUYER, Professeur, Université Paris II

Florence DEBOISSY, Professeur, Université Bordeaux IV

Marie France CHRISTOPHE TCHAKALOFF, Professeur, Université Paris I

Jacques PETIT, Professeur, Université Rennes 1

Christian LARROUMET, Professeur Université Paris II

Christophe de LA MARDIERE, Professeur, Université de Dijon

Laurent AYNES, Professeur, Université Paris I

Olivier BARRET, Professeur, Université Paris V

Michel FROMONT, Professeur émérite, Université Paris I

Yves GAUDEMET, Professeur, Université Paris II

Vincent HEUZÉ, Professeur, Université Paris I

Philippe STOFFEL-MUNCK, Professeur, Université Paris I

Pierre MAYER, Professeur, Université Paris I

Philippe PORTIER, Professeur, Université Rennes I

Frédéric POLLAUD-DULIAN, Professeur, Université Paris I

André ROUX, Professeur, Université Aix Marseille III

Stéphane PIERRE CAPS, Professeur, Université de Nancy

Francis HAMON, Professeur émérite, Université Paris XI

Alexandre VIALA, Professeur, Université Montpellier

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