« Une commémoration qui n’a pas lieu d’être »
Ancien ministre de Gaulle, président de la fondation qui lui est dédiée, Yves Guéna est favorable à l’interdiction des hommages publics aux anciens de l’OAS.
- Comment réagissez-vous à la tenue annoncée, le 11 septembre prochain, d’un hommage à Jean-Marie Bastien-Thiry, instigateur de l’attentat du Petit-Clamart visant le général de Gaulle ?
Yves Guéna. Ma réaction est celle d’un ancien des Forces françaises libres, d’un ancien ministre du général de Gaulle, et d’un citoyen français. Bastien-Thiry a été condamné à mort pour une tentative d’assassinat du chef de l’État, même si celle-ci a échoué. Lorsque l’on fait tirer au fusil-mitrailleur sur la voiture du président de la République, c’est que, manifestement, on a l’intention de le tuer. Je considère, en ce qui me concerne, que le jugement rendu à l’époque, qui condamnait à mort Bastien-Thiry, était justifié. Cet acte criminel allait en outre à l’encontre du respect dû au suffrage universel. Le général de Gaulle a fait ratifier sa politique algérienne, d’abord par un premier référendum sur l’autodétermination. Et lorsque l’indépendance a été acquise, il a fait ratifier cette décision par un nouveau référendum, à l’issue duquel elle a été approuvée par 90 % des voix. Tenter de l’assassiner revenait donc à aller contre la volonté du peuple. Je ne crache pas sur les cadavres, mais je regrette cette commémoration qui n’a pas lieu d’être.
- Que pensez-vous de la multiplication, ces dernières années, des hommages rendus aux anciens activistes de l’OAS sous forme de manifestations publiques, de stèles, de plaques commémoratives ?
Yves Guéna. Ces hommages sont le fait de minorités aberrantes. Je suis récemment intervenu, comme président de la Fondation Charles-de-Gaulle, à propos d’un hommage qui devait être rendu à Salan, et les choses ont été réduites à leur minimum.
Faut-il interdire ce type d’initiatives ?
- Yves Guéna. Il me paraît difficile d’interdire des célébrations privées, comme des messes. Mais je suis en revanche favorable à l’interdiction des célébrations publiques et des élévations de stèles dans des lieux publics ou des cimetières.
LE PROCÈS DES STÈLES DE MARIGNANE EN APPEL
L’action en justice visant les responsables de l’ADIMAD1, association à l’origine de l’érection des stèles de Marignane et vitrine légale des anciens de l’OAS, se poursuit après le jugement rendu sur la forme, le 15 mai dernier, par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence. La citation à comparaltre des responsables de l’ADIMAD par Jean-François Gavoury, fils du commissaire central d’Alger assassiné le 31 mai 1961 par l’OAS, pour «apologie de crimes de guerre », a fait l’objet lundi d’une audience de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. En dépit des pressions de la trentaine d’ex-activistes de l’OAS présents et du refus de l’avocat de I’ADIMAD de plaider au fond, la présidente a fait droit à la demande de Me Jean-François Veroux, avocat de Jean-François Gavoury, de lier le fond et la forme. En réponse à l’avocate générale, qui a mis en avant le principe de liberté d’expression, Me Veroux a mis en garde sur le risque de voir un jour érigés, à l’initiative de quelque groupuscule, des cénotaphes à la mémoire de criminels nazis.
La date du délibéré est fixée au 16 janvier 2007.
L’hommage indigne à Bastien-Thiry aura-t-il lieu?
Des ultras de l’Algérie française ont lancé un appel pour honorer la mémoire du responsable des attentats manqués contre de Gaulle.
Les apologistes de l’OAS n’entendent pas renoncer à leur entreprise de réhabilitation des anciens criminels. Leur vitrine légale, l’ADIMAD, a récemment rendu public, sur son site Internet, un appel à un rassemblement le 11 novembre prochain, au cimetière de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), devant la sépulture de Jean-Marie Bastien-Thiry, à l’origine, en 1961 et 1962, de deux attentats manqués contre le général de Gaulle. Objet de cette manifestation, « défendre », en ce jour de célébration de l’armistice de 1918, la mémoire de cet homme condamné à mort et fusillé le 11 mars 1963. Et, par la même occasion, honorer le « souvenir de tous les morts de l’Algérie française ».
L’appel à cette manifestation, dont le caractère public ne fait pas de doute, est relayé par de nombreux groupuscules d’ultras de l’Algérie française, dont le cercle Bastien-Thiry, dont l’objectif est de « faire connaître les raisons et promouvoir les valeurs qui ont inspiré l’action » du chef du commando qui mitrailla la DS présidentielle le 22 août 1962, au Petit-Clamart.
Lors de son procès, qui se déroula du 28 janvier au 4 mars 1963 devant la cour militaire de justice, Jean-Marie Bastien-Thiry, un polytechnicien de 35 ans, militant d’extrême droite et catholique traditionaliste, invoqua ses convictions religieuses pour justifier son sanglant engagement. « C’est le tyran qui est séditieux », lança-t-il à propos de Gaulle, en citant saint Thomas. « L’autodéfense » des Européens d’Algérie et la « trahison de la parole donnée » justifiaient, à ses yeux, la tentative d’assassinat du chef de l’État.
Cette manifestation visant à faire d’un criminel un héros, si elle devait effectivement se tenir ; viendrait allonger encore la liste des hommages rendus, ces derniers mois, aux condamnés à mort de l’OAS que furent également Roger Degueldre,
chef du commant Delta, Claude Piegts et Albert Dovecar, jugés par le tribunal militaire spécial de Paris le 30 mars 1962, reconnus coupables d’atteinte à la sûreté de l’État, homicide volontaire, complicité d’assassinat et association de malfaiteurs, condamnés à mort et fusillés le 7 juin 1962.
En réaction à la falsification historique que constituerait un tel hommage public, l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS2 a interpellé le préfet des Hauts-de-Seine. Dans une lettre qu’il vient de lui adresser, son président, Jean-François Gavoury, fils du commissaire central d’Alger, Roger Gavoury, assassiné le 31 mai 1961 par Piegts et Dovecar, voit dans cette nouvelle initiative des nostalgiques de l’OAS « une forme d’expression de l’apologie de crime de guerre constitutive à elle seule l’un trouble réel à l’ordre public ». Il demande au préfet de prendre « un arrêté d’interdiction à l’encontre des instigateurs de ce nouveau projet dont la réalisation porterait atteinte au crédit de l’État en même temps qu’à l’honneur et à la mémoire d’un ancien président de la République ». Contactée par l’Humanité, la préfecture des Hauts-de-Seine n’a pas donné suite.
Secrétaire général de la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP), Robert Créange s’indigne lui aussi de la tenue de telles manifestations, qui témoignent, à ses yeux, de la montée de l’extrême droite et procèdent d’un véritable « révisionnisme historique ». « On ne peut pas accepter que des hommages publics soient rendus à des criminels qui ont voulu renverser la République, fait-il valoir. Et pourquoi pas, demain, un hommage public à Pierre Laval, lui aussi fusillé ? ».
Les nostalgiques de l’OAS honorent Bastien-Thiry
Le préfet des Hauts-de-Seine a refusé d’ interdire l’hommage public, comme le lui demandaient des associations.
Au surlendemain de la date anniversaire de la mort du général de Gaulle, l’hommage public à Jean Bastien-Thiry, instigateur d’une tentative d’attentat contre lui, a bien eu lieu samedi après midi au cimetière de Bourg-la-Reine.
Alors que plusieurs associations réclamaient l’interdiction de cette manifestation à laquelle appelaient des cercles de nostalgiques de l’OAS, le préfet des Hauts-de-Seine a refusé d’accéder à leur demande, estimant dans une lettre que « cette cérémonie, qui se déroule traditionnellement au cimetière de Bourg-la-Reine depuis plusieurs années,(…), n’a jamais suscité de débordements et de troubles particuliers à l’ordre public ».
Samedi, des représentants du MRAP, d’associations d’anciens combattants et des anticolonialistes ont témoigné, à l’entrée du cimetière, de leur indignation face à la tenue de cet hommage auquel ont pris part 130 personnes. Le face-à-face, en présence de huit agents de police, n’a donné lieu à aucun incident. Dans le cimetière, un discours a été prononcé et des drapeaux français inclinés sur la tombe de l’ancien officier condamné à mort puis exécuté le 11 mars 1963, ce qui contredit l’argument d’une cérémonie intime et familiale.
« En n’empêchant pas qu’éloge soit fait, aujourd’hui, d’un ennemi de la République, l’État témoigne de faiblesse ou, pire, fait acte de complaisance », commente Jean-François Gavoury. Le président de l’ANPROMEVO n’hésite pas à mettre en relation la réhabilitation des ex-terroristes qu’entérine l’article 13 de la loi du 23 février 2005 et le regain d’activisme des nostalgiques de l’OAS qui ont multiplié, ces derniers mois, ce genre d’initiatives, dans lesquelles il voit « une modalité particulière d’exaltation des crimes contre l’État ».
Dans une lettre au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, à la veille du déplacement de celui-ci en Algérie, Jean-Pierre Gonon, vice-président de l’association France-Algérie, attire son attention sur la tolérance vis-à-vis de ce genre d’initiatives, « susceptibles de faire obstacle à la réconciliation durable de la France et de l’Algérie ».