Aujourd’hui, 25 septembre, dans la cour des Invalides, des
discours formatés auront rendu hommage aux harkis. Quelques
médailles auront été distribuées. Quelques poignées de mains auront
été offertes à quelques-uns. Et, dans la cour des Invalides, le mot
«harki» aura résonné comme une plaie béante…
L’année même où un élu de la République, Georges Frêche,
président de la région Languedoc-Roussillon, les insulte en les
traitant de
«sous-hommes» (le 11 février à Montpellier), les harkis
devront se contenter de discours qui évoqueront dévouement et
sacrifices, se satisfaire de médailles et de stèles devant
lesquelles on les rassemblera pour leur rappeler, sur fond d’hymne
national, leur fidélité à la France et la reconnaissance qui
l’accompagne… Cette reconnaissance, Jacques Chirac l’avait
exprimée le 25 septembre 2001, en déclarant à propos des massacres
de harkis pendant l’été 1962 :
«La France, en quittant le sol algérien, n’a pas su les
empêcher. Elle n’a pas su sauver ses enfants…»
Pas su ou pas
voulu ?
Car pour certains historiens, les faits sont patents. Ainsi,
pour Pierre Vidal-Naquet, pas de doute, la République n’a pas voulu
:
«Des ordres ont été donnés pour éviter un afflux que l’économie
française est pourtant en état de supporter… »1.
Cette commémoration cache l’essentiel et ne répare rien : en
rendant hommage, à moindres frais, aux harkis, la république se
dispense de répondre à l’attente réelle de ces hommes. Et, d’abord,
de reconnaître officiellement la violation des droits de l’homme,
en favorisant l’enrôlement des mineurs, comme Saïd Ferdi qui, dans
son témoignage 2, raconte comment, enlevé à sa famille en 1958,
il fut enrôlé de force dans l’armée française alors qu’il n’avait
que 14 ans.
Violation des droits de l’homme, encore, avec l’abandon, sur
ordre, de harkis et de leurs familles après le cessez-le-feu de
mars 1962 et le refus de les rapatrier, malgré les risques qu’ils
encouraient de subir une violence inexcusable mais largement
prévisible , compte tenu des drames qui avaient marqué cette
guerre.
Violation des droits de l’homme enfin, avec la relégation, en
France, dans des camps, jusqu’à la fin des années 80 pour nombre
d’entre eux. Sait-on que, le 31 janvier 1964, François Missoffe,
ministre des Rapatriés, avait fait parvenir aux préfets une note
dans laquelle il écrit :
«Vous ne devez reloger les anciens harkis qu’après avoir relogé
tous les rapatriés [pieds-noirs] demandeurs de logement et particulièrement mal logés… » 3? Le ministre ne devait certainement pas savoir que onze enfants
de harkis mouraient, à ce moment-là, sous les «guitounes» du camp
militaire de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme). En discriminant les
rapatriés d’origine arabo-berbère par rapport aux rapatriés
d’origine européenne, la logique coloniale de la République se
poursuivait sur son propre sol.
Il est plus que temps que la République reconnaisse
officiellement que les harkis et leurs familles sont prisonniers
d’un destin préparé par elle. Que l’on accepte, ensuite, la
multiplicité et la complexité, non pas de choix d’engagement, mais
des contraintes subies par la plupart de ces hommes. Car plusieurs
historiens ont montré, à juste titre, que les supplétifs de l’armée
française avaient été enrôlés en majorité malgré eux. Par peur ou
par manque de ressources avant de devenir les grands oubliés de la
guerre d’Algérie.
Pour s’en convaincre, il faut lire Mohammed Harbi, ancien
dirigeant du FLN :
«Les harkis ne nourrissaient aucun projet politique, ni pour
eux-mêmes ni pour les populations… »4.
Ou encore l’historien Benjamin Stora, qui contredit, des
deux côtés de la Méditerranée, l’histoire officielle :
«Des paysans algériens se trouvent transformés, à leur corps
défendant, en fidèles serviteurs de la France»5. De fait,
quelle que soit la nature de ces engagements, ces hommes ont servi
la République française : ils ont rempli leur part de contrat et
attendent que l’histoire officielle soit enfin remaillée. Peut-on,
dès lors, encore aujourd’hui, se satisfaire de cette journée
d’hommage répétée depuis six ans ? N’est-il pas temps de donner
l’occasion à ces hommes, dont une grande partie de la vie a été
confisquée, de pardonner à la France ?