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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
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Un petit Eire de colonie

Pour mieux comprendre le cours tumultueux de l'histoire irlandaise, et en particulier l'origine du conflit nord-irlandais, il faut rappeler à quel point cette dernière a profondément été marquée, à partir des XVI-XVIIe siècle, par sa subordination coloniale à la Grande-Bretagne voisine. La politique de soumission brutale des catholiques et le peuplement de l'Ulster par des colons protestants commencent à semer les germes de la confrontation. La libération du Sud à l'issue de la guerre d'indépendance de 1919-1921 aboutit, l'année suivante, à la partition de l'île, le Nord, à majorité protestante et unioniste (favorable à l'union avec la Grande-Bretagne), restant sous suzeraineté britannique.

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L’invasion de l’Irlande par les Anglais remonte au XIIe siècle. Elle se concentra d’abord essentiellement sur la région du littoral autour de Dublin, le Pale, et permit aux barons anglo-normands de s’approprier les meilleures terres. Cette suzeraineté demeurait formelle, l’Irlande conservant ses traditions, ses coutumes et sa langue.

Les premiers colons s’assimilèrent du reste très bien, ce qui ne fut pas sans inquiéter les rois d’Angleterre : par les « statuts de Kilkenny », en 1366, le roi Edouard III tenta d’interdire aux Anglais de l’île d’épouser des Irlandaises, de parler le gaélique, d’entretenir des bardes ou des musiciens irlandais, etc.

L’hostilité des Anglais à l’égard des Irlandais fut ainsi précoce et leur crainte d’être subvertis par la culture indigène particulièrement intense et palpable à travers les différents dispositifs légaux régulièrement mis en place qui relevaient en quelque sorte d’un apartheid avant l’heure.

Ainsi la loi Poynings, qui, en 1494, sous le règne d’Henri VII, alignait la législation irlandaise sur celle de Londres, signant de fait la fin de l’autonomie irlandaise : toute loi votée par le Parlement de Dublin devrait désormais être ratifiée par celui de Westminster et porter le sceau du roi d’Angleterre.

Par ailleurs, la « politique des Plantations » , vaste entreprise de confiscation des terres des irlandais au profit des grands propriétaires fonciers1, le plus souvent établis en Angleterre, amorcée sous le règne de Marie Tudor au XVIème siècle, s’amplifia avec l’arrivée des troupes de Cromwell au XVII e siècle.

Caricature de Cromwell
Caricature de Cromwell

L’arrivée des « lois pénales » au XVIIIe siècle parachèva la mise au ban des catholiques : interdiction de porter l’épée ou d’avoir un cheval, d’envoyer les enfants s’instruire à l’étranger, d’entrer dans l’armée ou la marine, etc. Les prêtres qui refusaient de jurer fidélité au roi protestant étaient bannis ou pendus. Les exportations vers l’Angleterre étaient en outre soumises à des taxes exorbitantes…

Écrasés et réduits à la misère, les catholiques étaient hors d’état de se révolter… Et ce fut des protestants (notamment Henri Grattan) que montèrent dans un premier temps les revendications politiques, relayées plus tard par celles des catholiques, à travers notamment les initiatives de Wolfe Tone qui fonda à Belfast en 1791 la société des Irlandais Unis et qui fut à l’origine d’une insurrection générale en 17982.

Le début du XIXe ouvre la « Question d’Irlande » avec l’avènement de l’Acte d’Union entre le Royaume Uni et l’Irlande, par lequel les affaires de l’île seraient désormais examinées par le Parlement de Westminster, rendant la question de l’autonomie politique et de l’égalité religieuse plus aiguë encore, et relayée par la figure de Daniel O’Connell, dans les années 1820-1840. La naissance du mouvement Jeune Irlande, en 1840, sous l’égide de Parnell, annonçait la montée du nationalisme irlandais.

L’arrivée de la Grande Famine dans les années 1845 à 1849, provoquée par le mildiou, mit provisoirement fin aux revendications politiques. Elle causa surtout la disparition de près d’un million d’individus et une immense diaspora, qui finit de porter un coup fatal à l’ancienne culture irlandaise ou celtique.

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Les années 1850 et 1860 virent la naissance des Fenians, révolutionnaires clandestins conspirant pour le renversement de l’autorité britannique en Irlande. La lutte politique s’intensifia à partir de 1870 avec la naissance du « Home Rule« , mouvement visant à assurer à l’île un parlement fédéral et un pouvoir exécutif séparés, subordonnés au Parlement de Londres, et mené avec brio par le propriétaire protestant Charles Stewart Parnell, qui permit d’aboutir à la loi agraire de 18813. Malgré le ralliement de Gladstone au Home Rule, ce dernier fut repoussé.

La perspective de la mise en application du Home Rule estompée au début du XXe et la résurgence de l’Ordre d’Orange avec les Unionistes redonna vigueur aux organisations révolutionnaires : le Sinn Fein était fondé par Arthur Griffith en 1905 et James Connolly4 dirigeait l’Irish Republican Party (à la fois socialiste et séparatiste).

Durant la guerre, en 1916, sous la direction de l’Irish Republican Brotherhood, du Sinn Féin et de l’Irish Citizen Army de James Conolly, éclata l’insurrection de Pâques 1916 à Dublin, proclamant la République au nom de Dieu et des générations disparues5. Elle fut écrasée au bout d’une semaine.

Déclaration de Pâques 1916
Déclaration de Pâques 1916

Le Sinn Féin en retira cependant une popularité accrue : il remporta triomphalement les élections de décembre 1918, constitua un parlement irlandais (le Dáil Éireann) et proclama l’indépendance. Le pouvoir britannique dissolut le parlement. Un nouveau soulèvement éclata, qui allait durer trois ans.

Fin 1921, des négociations entre le gouvernement anglais et les dirigeants nationalistes irlandais aboutirent à un traité, qui fit de l’Irlande, amputée de l’Ulster, un dominion au sein de l’empire britannique, l’ Irish Free State, qui se dotera d’une constitution en octobre 1922. Ce traité fut ratifié de peu par le Dail en décembre 1921 et conditionna l’histoire future de l’irlande : rejeté par une large minorité, il entraîna en effet une guerre civile fratricide entre partisans du Traité, les Etat-libristes, et opposants au Traité, les Républicains. Le clivage des Irlandais fut ressenti sur la scène politique bien après la fin des hostilités de la guerre civile, en 1923.

Dernière page du traité anglo-irlandais
Dernière page du traité anglo-irlandais

Durant ses premières années, ce nouvel État fut gouverné par les vainqueurs de la guerre civile. Cependant, en 1932 , Fianna Fáil, le parti des opposants au traité, dirigé par Eamon De Valera, remporta les élections (il resterait au pouvoir jusqu’en 1948). En 1933, ce dernier, devenu président du conseil, fit abolir le serment au souverain d’Angleterre.

En 1937, il fit adopter une nouvelle constitution qui renomma l’État en Éire ou, en anglais, Ireland. Un traité conclu en 1938 avec l’Angleterre, lui laissant ses bases navales en Irlande, entérinait cette indépendance. L’Irlande resta neutre durant la Seconde Guerre mondiale, interdisant même officiellement à l’Angleterre l’usage militaire de ses ports et aéroports.

En février 1948, c’est le parti Fine Gael qui remporta les élections. Le gouvernement de coalition qu’il constituait avec le parti travailliste proclama la République d’Irlande, le 18 avril 1949, quittant le Commonwealth.

  1. Cette domination économique, politique et sociale de l’aristocratie foncière protestante est connue sous le nom d’Ascendancy.
  2. « The Wind that Shakes the Barley », ballade irlandaise du XIXe siècle qui a donné son titre au film de Ken Loach, est la complainte d’un jeune rebelle de Wexford sur le point de se sacrifier lors du soulèvement de 1798.
  3. Cette dernière permettait de satisfaire les trois principales exigences des irlandais : des tenures fixes, des loyers raisonnables et le libre droit de vente des terres.
  4. L’un des moments clefs du film, 1538, est la rencontre de Damien et Dan, citant de concert James Connolly, dont l’idée maîtresse est que la lutte pour l’indépendance, si elle n’aboutit pas à une république socialiste, quand bien même elle s’affranchirait du joug britannique, est vouée à l’échec.
  5. C’est ce qui inaugura la naissance de l’Irish Republican Army, ou IRA.
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