Pour nuire à leur diffusion parce qu’ils abordent de manière non raciste notre société postcoloniale, des campagnes particulièrement agressives et diffamatoires sont menées par l’extrême droite sur les réseaux sociaux contre certains films qui méritent d’être vus. C’est le cas notamment de « Quelques jours pas plus » de Julie Navarro et de « Avant que les flammes ne s’éteignent » de Mehdi Fikri. Nous reproduisons ci-dessous deux articles qui l’expliquent : « Pourquoi le film “Quelques jours pas plus” est la cible de la fachosphère ? » par Margot Bonnéry, paru dans l’Humanité le 25 avril 2024, et « Comment l’extrême droite s’attaque au cinéma », publié par la coopérative cinématographique des Mutins de Pangée.
Pourquoi le film « Quelques jours pas plus » est la cible de la fachosphère ?
par Margot Bonnéry, publié dans l’Humanité le 25 avril 2024.
Le dernier long-métrage de Julie Navarro, « Quelques jours pas plus », suscite la haine de militants d’extrême droite. Dans un communiqué, la société des réalisatrices et réalisateurs de films s’indigne et alerte sur le déclin de « la liberté de création ».
Après « Rodéo » de Lola Quivoron, « Ma France à moi » de Benoît Cohen ou encore « Avant que les flammes ne s’éteignent » de Mehdi Fikri, la dernière fiction de Julie Navarro déchaîne la rage de la fachosphère. « Quelques jours pas plus » est pourtant attrayant : Arthur (Benjamin Biolay), journaliste, souhaite séduire Mathilde (Camille Cottin), responsable d’une association d’aide aux migrants, en hébergeant un jeune Afghan prénommé Daoud (Amrullah Safi).
Mais dès la publication de la bande-annonce, la réalisatrice a reçu une avalanche de messages injurieux sur le compte Facebook de son distributeur, Bac Films. Une campagne que la société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) qualifie de « violente et massive ».
« Un truc pro migrant », « A vomir », « Les Français d’abord », « La daube habituelle financée par le contribuable », « Que ces deux blindés bobos « artistes » les accueillent chez eux au lieu de faire des films », « On aide d’abord nos Français et les migrants on les laisse sur leur bateau flottant »…
Les commentaires AlloCiné pour champ de bataille
Sans même avoir vu le film, l’extrême droite crible la page AlloCiné du film de mauvaises notes (0/5, 0.5/5, 1/5) pour dissuader les spectateurs d’aller en salles. Sur Instagram, Julie Navarro raconte : « La boule au ventre, impuissants, on a effacé les 971 messages un à un. On a fermé nos gueules ». Sur la chaîne Youtube d’AlloCiné, rebelote.
Le compte est contraint de désactiver l’espace dédié aux commentaires. Face au manque cruel de modérateurs et à l’incapacité de filtrer les messages haineux et racistes, la réalisatrice tempête. « Pour museler l’extrême droite, on muselle tout le monde ! », s’indigne-t-elle.
Ces croisades massives ont des effets très concrets : elles entravent la diffusion des films. « On ne veut pas d’ennuis, on renonce à certaines actions ou certains sujets. Plus besoin de censure », ajoute Julie Navarro qui craint le déclin de la liberté de création.
Dans son communiqué, la SRF demande à Allociné de ne pas laisser des œuvres cinématographiques et leurs auteurs face à de tels raids. Elle leur propose la mise en place d’un « système pour vérifier que les personnes postant un commentaire aient effectivement vu » le film comme cela se fait déjà sur d’autres sites équivalents.
Comment l’extrême droite s’attaque au cinéma
par les Mutins de Pangée, coopérative cinématographique.
Il y a l’image lissée et rénovée d’une extrême droite qui se prépare à accéder aux manettes, se montrant rassurante pour les médias et les patrons, sage et raisonnable, en bonne flèche de « l’arc républicain », bien propret sur TikTok pour séduire les jeunes gens… Et puis, il y a des campagnes peu glorieuses de dénigrements, de rumeurs, de mensonges, organisées en traîtres, par des Trolls, avec des éléments de langages fabriqués et poussés par les toxiques réseau asociaux (écouter notre podcast Toxic Data, comment les réseaux manipulent les opinions), s’appuyant sur des délires conspirationnistes, des peurs et des aigreurs sur lesquelles prospèrent les idées d’extrême droite, un prêt à penser low cost, de la malbouffe du cerveau, facile à fourguer. Un cas symptomatique est celui de la campagne qui a visé Avant que les flammes ne s’éteignent de Medhi Fikri sur AlloCiné et qui a considérablement fait chuter sa note sur le site, la note étant désormais un critère de prescription plus important que la critique de la presse cinéma spécialisé (ce qu’on peut par ailleurs déplorer, mais c’est ainsi). Une telle campagne peut tuer un film à sa sortie, tout le monde l’a compris.
Ce phénomène n’est pas nouveau, il a déjà été observé sur des films de Philippe Faucon, ou encore sur Rodeo de Lola Quivoron. Faire pression sur la diffusion d’un film n’est pas nouveau non plus dans l’histoire du cinéma d’avant le règne des pouces, des like et des étoiles. C’est une histoire remplie de censures (du pouvoir en premier lieu jusqu’à la grève de la faim victorieuse de René Vautier en 1973 pour la suppression du visa de censure politique, voir le livre du coffret Rouge Bretagne).
L’histoire du cinéma est émaillée d’attaques de groupes d’extrême droite, de groupes religieux intégristes, qui sont animés par les mêmes esprits réduits. Les copains cinéastes et cinéphiles algériens nous ont raconté les années noires des années 90, la pression sur les artistes ayant été poussée jusqu’aux assassinats, mais on a vécu aussi en France des attaques violentes, comme l’attentat contre notre cher cinéma Espace Saint-Michel à Paris pour La dernière tentation du Christ de Martin Scorcese en 1988.
Nous avons souvent vu des pressions sur les films de René Vautier et sur tout ce qui touche à notre histoire avec l’Algérie (récemment encore), mais aussi les films sur « les banlieues », avec son pendant : la glorification des films qui mettent en avant la BAC et autres polices censées « faire le ménage » et « mater la racaille ».
Même si une campagne de dénigrement en ligne n’est pas comparable à des attentats, on peut noter, pour le moins, « un manque d’élégance » des groupes se liguant en meute contre une œuvre de cinéma, signe d’un racisme sournois qui se glisse partout dans la société et qui montre, une fois de plus, à quel point le cinéma est encore un enjeu important de notre temps…
Voir aussi l’entretien du réalisateur de Avant que les flammes se s’éteignent (Medhi Fikri) avec David Dufresne, sur le replay de #AUPOSTE.
La LDH soutient « Avant que les flammes ne s’éteignent », un film de Mehdi Fikri
Ce film de Mehdi Fikri (1) est une fiction, mais celle-ci est tellement proche de la réalité. Cette réalité, la LDH la dénonce hélas régulièrement, et c’est ce qui justifie le soutien qu’elle apporte à ce long-métrage : violences policières, gestion sécuritaire des quartiers, refus du dialogue social et violence qui en découle.
(1) Mehdi Fikri a travaillé comme journaliste ; il a enquêté sur les violences policières, les quartiers populaires, les mouvements sociaux… C’est son premier long-métrage.
Nous sommes dans la banlieue de Strasbourg. Suite à la mort de son petit frère lors d’une interpellation policière, et après la douleur, l’abattement, Malika se lance dans un combat afin de faire éclater la vérité, d’exiger justice et de réparer le malheur en lui donnant un sens social – au péril de l’équilibre familial. Mais les autorités tentent de créer de l’opacité autour de cet homicide, pour que la famille ne pose pas de questions et que la société ne s’insurge pas contre des violences liées aux biais raciaux ancrés chez nombre de policiers. Dans le même temps, la victime est déconsidérée, ramenée à des faits de petite délinquance, qu’on lui a reprochés. Une pratique habituelle.
Pour autant, ce n’est pas un film manichéen, certains personnages peuvent exprimer des points de vue différents allant de la colère voire la violence à la désillusion ou au contraire à l’empathie.
Les dernières images sont celles d’archives, montrant les luttes contre les violences policières depuis les années 1990 et de nombreuses familles de victimes.
Pour la LDH, ce film est une opportunité pour animer des débats et évoquer ses revendications : formation des policiers aux biais discriminatoires, police de proximité au service de la population, interdiction des pratiques dangereuses, suppression des amendes forfaitaires…
Voir la bande annonce de
« Avant que les flammes ne s’éteignent »
Réalisation : Mehdi Fikri
Production : Topshot Films, The Film ; durée : 94’