Le point
Le gel des pensions a été décrété en 1959, et habillé du joli nom de « cristallisation ». En 2001, le Conseil d’Etat, par l’arrêt Diop, estime que la cristallisation constitue une discrimination. Le gouvernement décide alors d’indexer les pensions sur le pouvoir d’achat des pays d’origine – la retraite d’un combattant varie donc selon la nationalité. Elle est aujourd’hui de 461,65 euros par an pour un Français, 193,71 pour un Sénégalais, 106,26 pour un Tunisien, 101,97 pour un Algérien, 60,06 euros pour un Marocain et… 38,28 euros pour un Vietnamien. Avant l' »effort » gouvernemental, les Vietnamiens touchaient 15,84 euros.
Au total, près de 80 000 vétérans, âgés de plus de 65 ans, originaires de 23 pays devraient bénéficier de la nouvelle revalorisation. La moitié d’entre eux sont originaires d’Afrique du Nord : 15 000 Algériens, 15 000 Marocains et un peu moins de 5 000 Tunisiens. Viennent ensuite 15 000 soldats d’Afrique subsaharienne, avec les Sénégalais (quelque 2 000) et les Tchadiens en tête, puis les anciens soldats de Madagascar et d’Indochine (Vietnam, Cambodge et Laos).
Les anciens combattants algériens devraient toucher environ 360 euros de plus par an, les Vietnamiens 424 euros et les Sénégalais près de 270 euros, à la suite de cette revalorisation de pensions.
Communiqué commun – ATMF, Catred, Gisti, LDH1
Revalorisation a minima des prestations versées aux anciens combattants étrangers : encore un faux semblant
En réaction à « l’appel pour l’égalité des droits, lancé par l’équipe du film Indigènes, le gouvernement vient d’annoncer une revalorisation des pensions versées aux anciens combattants des ex-colonies françaises.
Selon le ministre délégué aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, il s’agit d’assurer la parité des « pensions du sang », c’est-à-dire de la retraite du combattant et des pensions militaires d’invalidité. La mesure, qui sera introduite par voie d’amendement à la loi de finances pour 2007, représente un coût de 110 millions d’euros par an.
Ces annonces visent à allumer un contre-feu face au retentissement médiatique que le film a donné à une question qu’on avait tenté d’enterrer et n’assureront en rien l’égalité des droits. La revalorisation prévue n’est en effet que partielle et a minima.
Partielle : parce que la mesure ne concerne qu’une infime partie des prestations versées aux anciens fonctionnaires civils et militaires : la retraite du combattant et les pensions militaires d’invalidité. Sont laissées de côté toutes les autres prestations, en particulier les pensions civiles et militaires de retraite et les pensions de réversion.
A minima : parce que les deux prestations revalorisées portent sur des montants dérisoires : 450 euros par an pour la retraite du combattant à taux plein et moins de 700 euros pour une pension d’invalidité à taux plein.
À la suite de l’arrêt Diop par lequel le Conseil d’État avait censuré la loi de cristallisation en 2001, le gouvernement Jospin avait évalué le coût de la revalorisation totale des pensions à 1,8 milliards d’euros par an, 10 milliards d’euros avec le paiement des arriérés sur les 4 dernières années. On est bien loin du compte aujourd’hui avec les 110 millions annoncés. Pas question non plus de rattrapage. La revalorisation s’appliquera seulement pour ceux qui sont encore en vie au 1er janvier 2007.
Le contentieux des pensions des anciens combattants étrangers est donc loin d’être soldé. L’injustice de la cristallisation des pensions continuera à faire de nombreuses victimes.
L’attitude minimaliste du gouvernement traduit une fois de plus la désinvolture de la France à l’égard des vieux immigrés qui ont combattu ou travaillé pour elle, et n’en récoltent qu’indifférence ou mépris.
Vu d’Afrique
Hausse des pensions en trompe l’oeil
lundi 25 septembre 2006
Les autorités françaises ont profité du torrent médiatique provoqué par le film Indigènes pour annoncer dimanche la revalorisation de certaines pensions d’anciens combattants étrangers. Un geste sans grande incidence sur la vie des militaires retraités, mais avec lequel le gouvernement espère freiner leur ardeur à réclamer une égalité de traitement avec leurs collègues français.
Jacques Chirac veut participer à la fête Indigènes mais ne veut pas payer. Ou si peu. Hamlaoui Mekachera, le ministre français délégué aux Anciens combattants, a attendu la sortie du film de Rachid Bouchareb, mercredi prochain, avec Jamel Debbouze, pour annoncer dans le Journal du Dimanche la revalorisation de certaines pensions aux combattants étrangers engagés auprès de la France. Depuis 1959 et la « cristallisation » (le gel) de leurs pensions , les anciens combattants étrangers, de même que les fonctionnaires civils, touchaient les mêmes sommes sans que celles-ci ne puissent être réévaluées. Mais suite à l’arrêt Diop, adopté en novembre 2001 par le Conseil d’Etat, les autorités françaises ont dû revoir leur copie. La haute juridiction administrative jugeait en effet que la France, en ne donnant qu’un tiers de la retraite que ce sergent-chef sénégalais aurait perçue s’il avait été Français, s’était rendue coupable de discrimination fondée sur la nationalité. La solution, trouvée en 2002 (loi de financement rectificative du 30 décembre 2002) : calculer les pensions sur la base du pouvoir d’achat propre au pays de chaque fonctionnaire. C’est la « parité du pouvoir d’achat ».
Une parité inventée qui est loin de satisfaire les anciens combattants, qui souhaitent un alignement pur et simple sur les pensions françaises, de deux à trois fois plus élevées que les leurs. Dimanche, Hamlaoui Mekachera a justement annoncé qu’on allait désormais tendre « vers la parité nominale, en euros ». Mais seulement pour les pensions de ceux qui ont payé « le prix du sang », précise-t-il. « Mekachera a inventé ce concept pour signifier que la revalorisation sera limitée à la retraite du combattant et aux pensions militaires d’invalidité », explique Serge Slama, maître de conférence en droit public et membre du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Ces pensions représentent peu par rapport aux retraites mensuelles ( acquises après 15 ans de service pour la France ) des militaires de carrière étrangers et vont rester indexées sur le pouvoir d’achat du pays.
Avoir payé « le prix du sang » et dormir dehors
« Le prix du sang ? Nous avons tous servi sous la mort, quelle différence cela fait-il ? », demande Alioune Kamara, directeur de l’Office national des anciens combattants sénégalais et ancien d’Indochine et d’Algérie. « S’il s’avère que seules les retraites de combattant et les pensions d’invalidité sont concernées, c’est insignifiant. La retraite de combattant est touchée tous les six mois et n’est que de 68 000 FCFA au Sénégal, contre 150 000 en France. Même si elle est revalorisée, ce sera insignifiant. C’est un alignement de toutes les pensions qui aurait arrangé les anciens combattants africains », poursuit-il, expliquant comment certains d’entre eux sont amenés à dormir quelques mois dans la rue afin de faire l’économie d’un loyer.
Même après la loi de financement de 2002, le Gisti, d’autres associations et des particuliers, ont continué à dénoncer l’existence d’une différence de traitement fondée sur la nationalité et dissimulée derrière un critère de résidence. Le Gisti a porté l’affaire en 2005 auprès de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), qui n’a pas donné suite. Il a ensuite ouvert un recours auprès du Conseil d’Etat, qui a rendu un arrêt le 18 juillet dernier. Soit quatre jours après que le président Chirac eut fait part de son intention de faire un geste en direction des anciens combattants étrangers lors de son discours du 14 juillet. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a reconnu une différence de traitement entre nationaux et ressortissants des anciennes colonies, mais a affirmé qu’elle ne constituait plus, depuis 2002, une discrimination. La Haute juridiction laisse en effet au gouvernement une « marge d’appréciation » pour juger si il trouve des « justifications objectives et raisonnables » à cette différence de traitement. Mais rien n’indique que cette argumentation serait tenable devant la Cour européenne des droits de l’homme.
« Une course de vitesse médiatique »
« Au sein des ministères de l’Economie et des Finances et des Anciens combattants – deux des trois ministères de tutelle, avec la Défense – on a fait l’analyse que nous ne lâcherions pas, explique Serge Slama. Il y avait une réflexion de la part des autorités pour parer à d’éventuelles attaques devant la cour européenne des droits de l’homme, mais les décisions n’auraient sans doute pas été annoncées si vite ». Avec la sortie d’Indigènes, « ils se sont précipités dans une course de vitesse médiatique », estime le juriste.
Ce ne serait donc pas seulement pour faire plaisir à Jamel Debbouze ou à Bernadette Chirac, émue par le film, que Mekachera a fait sa sortie médiatique dimanche. Ouf ! Même s’il faut saluer le travail de communication fait autour de la question des pensions par les cinq principaux acteurs d’Indigènes, Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Sami Nacéri et Bernard Blancan, tous primés pour leur interprétation à Cannes.
Le Gisti qui suit l’affaire depuis des années a constitué un dossier accessible sur Internet,
intitulé Les arnaques des annonces de Jacques Chirac et Hamlaoui Mekachera.
Vous y trouverez notamment une brochure accompagnée d’un fascicule d’actualisation. Ils peuvent être commandés au Gisti et au Catred, ou téléchargés gratuitement :
http://www.gisti.org/doc/publications/2002/retraites/index.html