par Gilles Manceron, publié dans Mediapart le 12 mars 2024.
Il y a consensus aujourd’hui sur la légitimité de la Résistance française, mais pas sur celle d’autres mouvements nationaux extérieurs à l’Europe. Un hommage aux martyrs de l’indépendance algérienne a été interdit à Paris. Et le droit des Palestiniens à avoir eux aussi un Etat peine à être reconnu. Toutes ces luttes sont légitimes. Sans qu’on puisse négliger la question des moyens employés.
Cela a été relevé par plusieurs médias français (1), des manifestations liées à l’Algérie et au Hirak prévues le 18 février 2024 à Paris ont fait l’objet d’arrêtés d’interdiction par la préfecture de police. En particulier le rassemblement annoncé place de la Nation pour la Journée du Chahid (martyr) à la mémoire de ceux et celles qui ont perdu la vie en combattant pour l’indépendance de l’Algérie (2). Mais cela n’a pas soulevé dans notre pays l’indignation que cela aurait du provoquer.
Pourtant, l’hommage rendu trois jours plus tard au Panthéon aux résistants qui, autour de Missak et Mélinée Manouchian, ont combattu et péri pour la libération de la France implique qu’on reconnaisse la légitimité du combat pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et que tous ceux et celles qui ont mené un tel combat d’émancipation nationale méritent le même hommage et d’être reconnus au même titre comme martyrs de la liberté.
La protestation de l’Association Josette et Maurice Audin
Rares ont été les protestations comme celle de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA) dans le communiqué qu’elle a rendu public le 29 février 2024. Cette association avait accepté de participer à ce rassemblement pour la Journée du Chahid (martyr) organisée par la diaspora algérienne en France pour rappeler, quant à elle, le combat de Maurice Audin, jeune mathématicien membre du parti communiste algérien assassiné par des militaires français en juin 1957, comme de nombreux civils algérois durant la « bataille d’Alger ». Audin est considéré en Algérie comme un Chahid ayant donné sa vie pour l’indépendance du pays. Dans le centre d’Alger, la place Audin, où a été installé un buste à son effigie, est un symbole de son engagement et le lieu de rassemblement des nombreux Algériens qui se sont mobilisés entre 2019 et 2021 dans le Mouvement (Hirak) pour une Algérie réellement sociale, libre et démocratique.
Ce rassemblement était appelé, place de la Nation, devant la plaque posée en juillet 2017 par la Mairie de Paris rappelant la répression policière du 14 juillet 1953 contre le cortège des indépendantistes algériens qui, quelques mois avant le début de la guerre d’indépendance algérienne, avait fait sept morts, six ouvriers algériens et un syndicaliste français de la CGT métallurgie qui avait cherché à les protéger. Une date qui mérite d’entrer dans la mémoire collective comme celle du 17 octobre 1961 et qui est l’objet depuis 2017 de diverses initiatives.
Les victimes de la répression de 1953, comme en 1957 et de toutes celles qui les ont précédés ou suivies, méritent un hommage. Le droit à la résistance à l’oppression est un droit de l’homme universel et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui est reconnu par le droit international concerne tous les peuples. C’est ce qu’a affirmé l’Association Josette et Maurice Audin. Pour elle, cette interdiction par la préfecture de police de Paris contredit les hommages légitimes rendus, trois jours plus tard, au Panthéon à d’autres hommes et femmes héroïques qui ont combattu pour la liberté.
Toutes les luttes d’indépendance nationale ont la même légitimité
Répondre aux questions du quotidien algérien El Moudjahid a été l’occasion de dire la légitimité de la Journée du Chahid, qui honore des hommes et des femmes ayant donné leur vie pour l’indépendance de leur pays, et il en a été de même de participer à une réunion organisée à Paris le 17 février et largement ouverte à la diaspora algérienne.
Et la lutte du peuple palestinien ?
L’émigration vers la Palestine de Juifs fuyant les pogroms et l’antisémitisme qui sévissait en Europe, à l’origine de constitution de l’Etat d’Israël, se situe aussi dans le vaste mouvement de la volonté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais la Palestine n’était pas une « terre sans peuple » et cette histoire doit aussi être replacée dans le vaste mouvement de l’expansion coloniale européenne. L’aspiration du peuple palestinien à résister à une colonisation souvent violente est tout aussi légitime. Elle s’est développée d’autant plus qu’après la guerre des Six jours de juin 1967, l’Etat d’Israël ne s’est pas contenté du partage de la Palestine que les Nations-Unies avaient tracé en 1947 et s’est lancé dans une occupation complète des territoires palestiniens, Jérusalem-Est, Cisjordanie et Gaza.
L’aspiration des Palestiniens à disposer, eux aussi, de leur Etat est reconnue par le droit international. C’est le refus de l’Etat d’Israël d’appliquer les résolutions des Nations-Unies qui a conduit à la situation actuelle où des colonies de plus en plus nombreuses sont implantées en Cisjordanie, où un processus d’annexion de Jérusalem-Est est à l’œuvre et où l’enclave de Gaza s’est trouvée entièrement isolée.
Il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître la légitimité de la résistance palestinienne à combattre cette politique de colonisation ininterrompue que subissent les Palestiniens.
Un combat légitime justifie-t-il n’importe quel moyen ?
Pour autant cela dispense-t-il un mouvement de résistance de s’interroger sur les méthodes de son combat et sur les cibles de ses actions armées ? Les crimes de guerre sont proscrits par le droit international et la justesse d’une cause ne donne nullement l’autorisation d’en commettre.
La guerre d’indépendance algérienne a connu de multiples débats internes au FLN sur la place respective de la lutte politique par rapport à la lutte armée, ainsi que sur l’importance de l’action diplomatique. Et sa victoire finale n’a pas été militaire mais a reposé largement sur l’adhésion grandissante des populations du pays et sur le soutien de l’opinion internationale.
A certains moments, comme lors du Congrès FLN de la Soummam, en août 1956, ont été formellement condamnées des violences exercées par des militants contre certaines populations civiles et a été affirmé l’objectif de rallier à la cause de l’indépendance le maximum d’Européens et de Juifs d’Algérie. Des courants favorables à la guerre d’indépendance comme celui des communistes algériens ont pratiqué des opérations armées tout en ayant le souci de choisir soigneusement leurs cibles et d’expliquer leurs actions (3). Leurs opérations militaires n’excluaient pas un travail politique, comme celui qui, précisément, était confié au jeune mathématicien d’origine européenne, Maurice Audin, par un parti qui s’était engagé pourtant dans la guerre d’indépendance.
En Afrique du sud, quand l’ANC a chargé en 1962 sa branche militaire, l’Umkhonto we Sizwe, d’opérer des actions armées, il s’est agi d’actes de sabotage contre des infrastructures et non d’attentats contre des civils.
Pour revenir à la Palestine, tout en soutenant le combat des Palestiniens pour leurs droits, il est clair qu’il faut reconnaître le caractère de crimes de guerre de certains actes perpétrés lors de l’action armée du Hamas du 7 octobre 2023. Aucune résistance, aussi légitime soit-elle, ne peut faire abstraction des droits de tous les êtres humains. Et c’est la même défense de ces droits qui conduit à exiger cinq mois plus tard que cesse le massacre génocidaire dont est victime la population de Gaza.
Notes
(1) Voir Le Monde, Le Figaro, 20 minutes, RFI, Ouest-France, Le Point, RTL, Valeurs actuelles.
(2) Treize arrêtés de la préfecture de police de Paris ont interdit le 18 février 2024 des manifestations liées à l’Algérie , dont celle, place de la Nation, en l’honneur des Chahid (martyrs) tombés dans la lutte pour l’indépendance de leur pays.