Publié par Afrique XXI le 18 décembre 2023. Source
Afrique XXI reproduit cet article publié le 26 novembre 2023 avec l’accord de Carbon Brief, site spécialisé sur les politiques du réchauffement climatique. L’original est disponible ici. Traduit de l’anglais par Michael Pauron.
Selon le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), il existe des preuves « sans équivoque » que l’homme a réchauffé la planète, provoquant des changements « rapides et généralisés » dans les océans, les glaces et les terres émergées. Le résumé destiné aux décideurs politiques indique que le réchauffement actuel a été causé par « plus d’un siècle d’émissions nettes de GES [gaz à effet de serre] provenant de l’utilisation de l’énergie, de l’utilisation des terres et des changements d’affectation des terres, du mode de vie et des habitudes de consommation, ainsi que de la production ».
Il est pratiquement certain que le réchauffement de la planète atteindra un nouveau record en 2023. Les émissions de CO2 d’origine humaine sont le principal facteur du réchauffement, et il existe une relation directe et linéaire entre la quantité de CO2 libérée et le réchauffement de la surface de la Terre. Pourtant, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter et ont également atteint des niveaux records en 2023. Le changement climatique a déjà des répercussions importantes qui touchent de manière disproportionnée les pays à faible revenu, qu’il s’agisse de vagues de chaleur et de sécheresse meurtrières ou d’une perte de glace « catastrophique », souligne encore le Giec.
©Carbon Brief
En outre, le moment où 1 tonne de CO2 est émise n’a qu’un impact limité sur l’ampleur du réchauffement qu’elle provoquera en fin de compte. Mais, une fois émise, l’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère qui en résulte est permanente à l’échelle humaine. Et ce même si les molécules de CO2 ont une durée de vie limitée dans l’atmosphère1 puisqu’elles circulent à travers le « cycle du carbone »2. Par conséquent, les émissions de CO2 des siècles précédents continuent de contribuer au réchauffement de la planète, et le réchauffement actuel est déterminé par le total cumulé des émissions de CO2 au fil du temps.
Le budget carbone dépassé dans cinq ans
La quantité totale de CO2 qui peut être émise pour rester en deçà d’une limite donnée des températures mondiales est appelée « budget carbone ». L’analyse suivante utilise les dernières estimations du budget carbone restant pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C par rapport aux températures préindustrielles.
L’addition de toutes les émissions de CO2 d’origine humaine recensées dans cette analyse, au cours de la période 1850-2023, s’élève à 2 558 Gigatonnes de CO2 (GtCO2). Cela signifie que le budget carbone restant pour l’objectif des 1,5 °C ne sera que de 208 GtCO2 à la fin de 2023. Il reste moins de 8 % du budget – et celui-ci sera épuisé en moins de cinq ans si les émissions mondiales de CO2 se poursuivent aux niveaux actuels.
Au cours de la première décennie couverte par l’analyse de Carbon Brief, les émissions liées à la terre, y compris la déforestation, représentent plus de 90 % du CO2 émis chaque année. Ce schéma est inversé aujourd’hui, les combustibles fossiles et la production de ciment représentant environ 91 % des émissions mondiales de CO2 en 2023, comme le montre la figure ci-dessous.
Les émissions annuelles mondiales de CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment ont dépassé les émissions liées à la terre pour la première fois en 1947 – par coïncidence, l’année où l’Inde et le Pakistan ont obtenu leur indépendance. Dans l’ensemble, les combustibles fossiles et le ciment représentent plus des deux tiers des émissions cumulées de CO2, soit 71 % des émissions totales produites entre 1850 et 2023. L’utilisation des terres et la sylviculture représentent les 29 % restants.
Les estimations de Carbon Brief concernant les émissions cumulées depuis 1850 – et le budget carbone restant à ce jour – sont entièrement alignées sur les dernières mises à jour du Giec en 2021. L’épuisement accéléré du budget carbone qui permet de ne pas dépasser 1,5 °C est illustré par des marqueurs dans la figure ci-dessus, montrant les années où 25 %, 50 % et 75 % du budget ont été utilisés. Cela illustre qu’il a fallu 107 ans pour épuiser le premier quart du budget carbone, puis seulement 33 ans pour utiliser le quart suivant et seulement 22 ans pour le troisième quart. Au rythme actuel, le dernier quart du budget 1,5 °C sera épuisé en 16 ans.
La responsabilité du réchauffement modifiée
La responsabilité historique est éthiquement complexe, mais il est clair que les puissances coloniales ont eu une influence significative sur les paysages, l’utilisation des ressources naturelles et les modèles de développement qui ont eu lieu sous leur domination. Il serait difficile de justifier le fait de l’ignorer complètement. En effet, il est bien connu que les puissances coloniales ont extrait des ressources naturelles des terres colonisées pour soutenir leurs puissances économique, militaire et politique.
Pourtant, le lien avec les émissions historiques n’avait jamais été quantifié. Cette analyse attribue l’entière responsabilité des émissions passées à ceux qui détenaient le pouvoir de décision ultime à l’époque, à savoir les dirigeants coloniaux. Cela va à l’encontre de l’hypothèse implicite des analyses précédentes, dans lesquelles aucune responsabilité n’était attribuée aux puissances coloniales. Il est permis de penser que la véritable part de responsabilité dans le réchauffement actuel se situe quelque part entre ces deux extrêmes, où les émissions sont entièrement attribuées soit aux puissances coloniales, soit à leurs anciennes colonies. Conformément à cette approche, l’analyse attribue la responsabilité des émissions dans les anciennes républiques soviétiques à la Russie, car le pouvoir de décision était fortement centralisé à Moscou.
La figure ci-dessous montre les vingt premiers pays du monde en termes d’émissions historiques cumulées de CO2. Les colonnes bleues indiquent les émissions qui ont lieu à l’intérieur des frontières actuelles de chaque pays, tandis que les parties rouges indiquent les émissions qui ont eu lieu sous sa domination, dans les territoires qu’il contrôlait. Les parties bleu clair indiquent les émissions des anciennes colonies réaffectées à l’ancienne puissance coloniale.
Les principales puissances européennes postcoloniales, dont le Royaume-Uni (+70 %), la France (+51 %) et les Pays-Bas (+181 %), voient toutes leur part d’émissions historiques augmenter de manière significative. Bien qu’ils ne figurent pas dans le top 20, la Belgique (+33 %), le Portugal (+234 %) et l’Espagne (+12 %) enregistrent des effets similaires. Collectivement, l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni assument une responsabilité beaucoup plus grande (+28 %). En revanche, l’Inde (-15 %) et l’Indonésie (-24 %) se distinguent particulièrement par la réduction de leur part d’émissions cumulées, dans le cadre de cette nouvelle approche de la responsabilité historique du réchauffement.
La Russie voit également une augmentation significative de sa responsabilité historique dans le réchauffement actuel, qui augmente de deux cinquièmes pour atteindre 9,3 % du total mondial, selon l’approche adoptée dans cette analyse. Néanmoins, certains affirment que la nature de la dynamique du pouvoir au sein de l’ex-Union soviétique était différente de celle qui existait entre les colonialistes européens et les peuples qu’ils avaient colonisés à l’étranger.
Bien qu’ils ne figurent pas dans le top 20, l’Autriche (+72 %) et la Hongrie (+70 %) enregistrent également des changements importants, en raison de l’ancien empire austro-hongrois. Cet empire était lui aussi d’une nature différente des colonisations d’outre-mer des autres puissances européennes.
Un classement bouleversé
La prise en compte de la domination coloniale modifie le classement d’un certain nombre de pays. Le Royaume-Uni en est l’exemple le plus frappant, passant du huitième au quatrième rang des pays contribuant au changement climatique. Cela signifie qu’il dépasse son ancienne colonie, l’Inde, en termes de responsabilité passée. De même, si les Pays-Bas ne dépassent pas tout à fait l’Indonésie, leur classement relatif est sensiblement différent après prise en compte de la responsabilité coloniale dans les émissions passées.
Ces changements sont illustrés dans la figure ci-dessous, qui montre les vingt premiers pays du monde classés en fonction de leur part d’émissions cumulées. À gauche, seules les émissions à l’intérieur des frontières actuelles sont prises en compte, tandis qu’à droite, les émissions sous la domination coloniale sont ajoutées (l’UE et le Royaume-Uni sont représentés comme un bloc).
Les autres changements évidents dans le classement ci-dessus concernent l’Ukraine et le Kazakhstan, deux anciennes républiques soviétiques qui ont été soumises au pouvoir centralisé de Moscou pendant la majeure partie du XXe siècle. Ces républiques et d’autres anciennes républiques soviétiques voient de grandes quantités d’émissions de CO2 basées sur les combustibles fossiles supprimées de leurs comptes.
Le graphique présenté plus haut, qui montre au fil du temps les émissions d’origine fossile par rapport à celles d’origine terrestre, explique pourquoi ces deux pays, en particulier, voient leurs émissions baisser de manière importante. Les émissions annuelles de CO2 ont été dominées par les contributions de l’Utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie (UTCF) jusqu’au milieu du XXe siècle, lorsque l’utilisation des combustibles fossiles a commencé à exploser. De nombreuses anciennes colonies européennes d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et des Amériques ont accédé à l’indépendance bien avant le moment où l’utilisation des combustibles fossiles s’est accélérée. En revanche, les anciennes républiques soviétiques ont fait partie de l’Union soviétique administrée par Moscou bien plus tard, jusqu’à son effondrement, en 1991.
Une soif de ressources naturelles
L’histoire de l’impérialisme européen est « inséparable de l’histoire du changement environnemental mondial », affirment les professeurs William Beinert et Lotte Hughes dans leur ouvrage Environment and Empire (Oxford University Press, 2007). Pour le Royaume-Uni, l’un des moteurs a été ce qu’ils décrivent comme la « déforestation intérieure progressive » du pays, qui a « accéléré la dépendance au charbon pour l’énergie » et stimulé la demande d’importations de bois.
À son tour, le passage à l’énergie mécanique basée sur les combustibles fossiles « a énormément élargi les possibilités de production et de consommation métropolitaines [et] a facilité une nouvelle poussée de l’expansion impériale, portée par les navires à vapeur, les chemins de fer et les véhicules à moteur », indiquent Beinert et Hugues. Mais encore : « Les pays métropolitains ont recherché des matières premières de toutes sortes, du bois aux fourrures en passant par le caoutchouc et le pétrole. Ils ont créé des plantations qui ont transformé l’écologie des îles. Les colons ont introduit de nouvelles méthodes d’agriculture ; certains ont déplacé les peuples indigènes et leurs méthodes de gestion de la terre. »
Cette soif de ressources naturelles a entraîné la déforestation et la modification de l’environnement dans les pays colonisés, des Amériques à l’Asie, des Caraïbes à l’Océanie, en passant par l’Afrique. À la Barbade, par exemple, l’établissement de plantations « a nécessité la destruction des forêts […] par une combinaison de cerclage et de brûlage », selon Beinert et Hughes. De même, à Madère, « l’un des mythes fondateurs évoqués par les colons était un feu qui brûlait pendant sept ans – une puissante métaphore de la déforestation ».
Également, alors que les forêts coloniales étaient vidées de leur capacité à produire du bois de qualité, la colonisation a conduit aux débuts des « pratiques et idées conservationnistes », écrivent Beinart et Hughes : « Alors que les ressources naturelles ont été intensément exploitées, un processus connexe, la montée des pratiques et des idées conservationnistes, était également profondément enraciné dans l’histoire impériale. De grandes étendues de terre ont été réservées aux forêts, aux parcs nationaux ou à la faune. »
Le déboisement, un moyen de contrôler les colonies
L’Empire britannique était particulièrement étendu, contrôlant environ un quart de la surface terrestre à son apogée, à la fin du XIXe siècle – et plus d’un quart de sa population. Dans la nouvelle analyse de Carbon Brief, les émissions des quarante-six anciennes colonies sous domination britannique sont réaffectées au Royaume-Uni, ce qui double presque sa part au niveau mondial. Ce résultat est représenté dans la figure ci-dessous, avec des contributions notables de l’Inde et du Myanmar, ainsi que de pays tels que l’Australie, le Canada, la Tanzanie, la Zambie et les Émirats arabes unis, hôtes de la COP 28.
La contribution la plus importante aux émissions coloniales du Royaume-Uni provient de l’Inde et la deuxième du Myanmar, comme le montre la figure ci-dessus. Dans leur livre, Beinart et Hughes décrivent les liens étroits entre la colonisation de ces pays et l’exploitation de leurs ressources naturelles, les deux interagissant et se renforçant mutuellement, les ressources étant utilisées pour consolider le contrôle britannique. Ils écrivent : « Les bois durs indigènes constituaient la première richesse, essentiels à l’armée, à la marine et aux chemins de fer britanniques, ils sont devenus les rouages de la conquête de l’Inde. Les nouvelles exigences ont inévitablement conduit à la déforestation. Les chemins de fer [qui étaient au cœur de la demande intérieure de bois en Inde] étaient essentiels pour déplacer les troupes et ainsi contrôler le territoire. La Compagnie des Indes orientales considérait également le déboisement pour faire place à la culture comme un moyen d’étendre son contrôle. »
Beinart et Hughes évoquent également l’utilisation particulière du teck de Myanmar pour la construction de navires de guerre : « Le teck de Birmanie, ou teck de l’Amirauté, était réputé pour être le plus solide. Utilisé pour les frégates de la marine, on dit qu’il a sauvé la Grande-Bretagne pendant les guerres napoléoniennes [au début du XIXe siècle, NDLR] et qu’il a contribué à son expansion maritime. » Plus tard, l’épuisement des forêts de feuillus indigènes a conduit à des efforts de conservation coloniaux, bien que les motivations – et les moyens utilisés – ne soient pas que la préservation.
Les deux chercheurs citent Hugh Cleghorn, conservateur des forêts pour la présidence de Madras, qui écrit, en 1861, sur la « rapacité insouciante de la population autochtone, qui coupe et défriche [les forêts], sans être en aucune façon sous le contrôle ou la réglementation de l’autorité ». Il poursuit :
Lorsqu’un département forestier [indien] a été créé en 1864, la Grande-Bretagne ne disposait que de peu d’experts. [Le forestier allemand Dietrich] Brandis avait été amené deux ans plus tôt de Birmanie, où on lui attribuait le sauvetage des forêts de teck birmanes des marchands de bois, au profit des constructeurs de navires britanniques… Les conservateurs étaient sous pression pour gérer efficacement les forêts, répondre aux besoins de l’amirauté et d’autres acteurs en grandes quantités de bois, tout en réalisant des bénéfices et en limitant les revendications des populations locales sur les forêts. Les Britanniques revendiquaient des territoires qu’ils considéraient comme inoccupés et non réclamés, et considéraient les propriétés princières comme leur appartenant en vertu du droit de conquête.
Des dynamiques similaires étaient à l’œuvre en Indonésie, longtemps sous domination néerlandaise. Le professeur Peter Boomgaard, historien de l’Indonésie, a écrit en 1999 que la déforestation sur l’île indonésienne de Java « a commencé à être perçue comme un problème vers 1850 »3. Boomgaard ajoute que cela a conduit à la mise en place d’un service forestier colonial et à la création de forêts protégées. Ce schéma, qui comprend la confiscation des terres et l’exclusion des populations autochtones au nom de la conservation, s’est répété dans de nombreuses autres anciennes colonies.
Les vestiges de la colonisation subsistent
La figure ci-dessous montre que les émissions cumulées à l’intérieur des frontières des Pays-Bas (à gauche), soit quelque 12,6 GtCO2 entre 1850 et 2023, sont presque triplées si l’on tient compte des émissions qui ont eu lieu sous la domination coloniale néerlandaise, en particulier en Indonésie (à droite).
Sur son blog, le professeur Budiman Minasny, pédologue indonésien, décrit l’impact de la colonisation néerlandaise sur l’île de Sumatra :
Lorsque nous parlons de déforestation, l’Indonésie apparaît toujours comme le principal coupable. On parle moins de l’origine néerlandaise de la déforestation en Indonésie. Les Néerlandais ont découvert l’industrie du tabac à Deli dans les années 1860 et ont créé un système de plantation à l’échelle industrielle. Les sultans locaux ont collaboré et ont accordé des concessions de 1 000 à 2 000 hectares de terres à chaque entreprise dans le cadre d’un bail de 75 ans. Les planteurs coloniaux néerlandais sont partis du principe que le tabac ne pouvait bien pousser que dans le sol qui venait d’être défriché de la jungle vierge. C’est ainsi que l’industrie a conduit au défrichage à grande échelle des forêts vierges pour produire des feuilles de tabac exportées vers l’Europe et l’Amérique.
L’héritage actuel de la domination coloniale fait l’objet d’un débat, mais de nombreux vestiges subsistent, que ce soit dans la structure des fonctions administratives de l’État ou dans la présence d’intérêts commerciaux détenus par des multinationales basées dans les anciennes puissances coloniales. Comme l’explique une étude publiée en 2015, ces héritages coloniaux perdurent : « Bien que le colonialisme ait été démantelé dans la première moitié du XXe siècle, ses politiques de nationalisation des forêts sont restées inchangées dans de nombreux États indépendants des tropiques, y compris le Nigeria », estiment Oliver O. O. Enuoh et Francis E. Bisong4.
Beinart et Hughes estiment par ailleurs que « le contrôle impérial britannique de l’Inde a eu un impact majeur sur la gamme extraordinairement variée d’arbres et de produits forestiers. Il a également limité l’accès des plus pauvres aux forêts. L’exclusion ultérieure des humains des parcs naturels était également en partie ancrée dans les lois forestières coloniales, qui traitaient les populations locales comme des gaspilleurs et des destructeurs. Mais les pressions sur la forêt n’ont pas cessé avec l’indépendance. Le taux actuel de déforestation serait largement supérieur à 1 million d’hectares par an. »
Rapporter les émissions à la population
Les émissions globales cumulées sont ce qui importe pour l’atmosphère, étant donné qu’elles sont directement liées au niveau de réchauffement que nous connaissons aujourd’hui. Toutefois, du point de vue de l’équité et de la justice climatique – les frontières nationales étant des constructions politiques arbitraires –, il convient également de considérer la responsabilité au niveau individuel. Cela implique de pondérer les totaux des émissions cumulées par les nations en fonction des populations respectives de ces nations, afin de calculer les émissions cumulées par habitant.
La première approche prend les émissions cumulées d’un pays à ce jour et les divise par la population en 2023. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui montre les dix principaux émetteurs et cinq autres pays sélectionnés. Les émissions par habitant à l’intérieur des frontières de chaque pays sont indiquées en bleu, tandis que les émissions par habitant produites dans les anciens territoires sous domination coloniale sont indiquées en rouge. Les émissions par habitant réaffectées à une puissance coloniale sont indiquées en bleu clair.
Les anciennes puissances coloniales que sont les Pays-Bas (2 014 tonnes de CO2 par personne) et le Royaume-Uni (1 922 tCO2) sont les principaux émetteurs mondiaux sur cette base cumulée par habitant. Ils sont suivis par la Russie (1 655 tCO2), les États-Unis (1 560 tCO2) et le Canada (1 524 tCO2). La figure montre que la responsabilité coloniale dans les émissions fait reculer les États-Unis et le Canada, qui passent respectivement de la première à la quatrième place, et de la deuxième à la troisième place.
D’autres anciennes puissances impériales, dont la Belgique (1 487 tCO2) et l’Autriche (987 tCO2), figurent également dans le top 10, de même que les anciennes colonies que sont l’Australie (1 088 tCO2, soit une baisse de 10 % due à la réaffectation des émissions coloniales) et Trinité-et-Tobago (948 tCO2, soit une baisse de 16 %). La figure montre également cinq autres pays sélectionnés : le Portugal (945 tCO2) et la France (857 tCO2), dont l’empreinte coloniale est importante, ainsi que les grands émetteurs que sont la Chine (217 tCO2) et l’Inde (52 tCO2), qui sont loin derrière les autres nations sur une base par habitant. Le graphique ne montre pas la moyenne du continent africain (92 tCO2), qui, comme celle de l’Inde, est bien inférieure à la moyenne mondiale de 318 tCO2.
La deuxième méthode de pondération des émissions historiques rapportées à la population prend en compte les émissions par habitant d’un pays pour chaque année et les additionne au fil du temps. Les émissions par habitant des populations d’hier et d’aujourd’hui ont ainsi le même poids. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui énumère à nouveau les dix premiers émetteurs et cinq autres pays sélectionnés.
Il est à noter que les Pays-Bas est le premier émetteur, quelque soit la méthode. De même, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada restent dans les cinq premiers sur ce deuxième calcul.
Une fois que l’on tient compte des importantes émissions initiales par habitant, dues à la déforestation sous le régime colonial, la Nouvelle-Zélande et l’Australie reculent dans le classement sur ce deuxième calcul par habitant. Le graphique inclut cinq autres pays sélectionnés, dont la Malaisie et l’Indonésie, qui présentent des dynamiques similaires à celles de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. Enfin, le graphique inclut à nouveau la Chine et l’Inde, montrant que leurs émissions cumulées par habitant sont loin derrière celles de la plupart des autres pays.
Les importations, l’autre source d’émissions
La recherche de ressources naturelles outre-mer, pour alimenter l’essor de l’industrialisation et de la mondialisation, a été l’un des moteurs de la conquête coloniale. Dans l’ère postcoloniale, le commerce international continue de stimuler les importations et les exportations de CO2, intégrées dans les biens et services à forte intensité de carbone. Alors que la comptabilité standard des émissions est basée sur l’endroit où le CO2 est émis, la comptabilité des émissions basée sur la consommation donne l’entière responsabilité à ceux qui utilisent les produits et les services rendus. Cela tend à réduire le total pour les principaux exportateurs, tels que la Chine.
Cependant, le calcul des émissions sur cette base présente des difficultés, car il nécessite des tableaux commerciaux détaillés. Les données sur les émissions liées à la consommation utilisées pour cette analyse ne commencent qu’en 1990 et n’incluent que le CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment, ce qui signifie qu’elles excluent le commerce antérieur à 1990 et l’UTCF. En gardant ces limites à l’esprit, la figure ci-dessous montre comment la responsabilité nationale pour les émissions historiques est encore déplacée lorsque l’on tient compte du CO2 échangé dans les biens et services.
Les émissions cumulées au cours de la période 1850-2023, y compris celles qui ont eu lieu à l’étranger sous le régime colonial, sont indiquées en bleu foncé. Les parties rouges montrent le CO2 supplémentaire associé aux biens et services importés depuis 1990, tandis que le bleu clair montre le CO2 incorporé dans les exportations.
Les anciennes puissances coloniales, comme le Royaume-Uni et la France, ont également été des importateurs nets de CO2 depuis 1990, comme le montre le graphique – bien que l’impact sur leurs totaux globaux soit faible. Si l’on tient compte de ces importations et exportations de CO2, la part du Royaume-Uni dans les émissions historiques passe de 5,1 % à 5,3 %, tandis que celle de la France passe de 2,2 % à 2,3 %. À l’inverse, la part de la Chine dans les émissions historiques et sa responsabilité dans le réchauffement actuel tombent de 12,1 % à 11,1 %, si l’on tient compte des échanges de CO2 depuis 1990. La part de l’Inde dans le total mondial diminue également légèrement, passant de 2,9 % à 2,8 %.
Les biens exportés représentaient jusqu’à un quart des émissions annuelles de la Chine au milieu des années 2000. Plus récemment, cependant, leur part est tombée à environ 10 % de la production annuelle de CO2 de la Chine. L’inclusion des échanges à forte intensité de carbone antérieurs à 1990 modifierait le tableau présenté dans la figure ci-dessus. Le Royaume-Uni, en tant qu’« atelier du monde » au XIXe siècle, a exporté d’importants volumes de biens à forte intensité énergétique et de carbone, souvent fabriqués à partir de ressources provenant de son empire. D’autres nations en voie d’industrialisation, telles que les États-Unis et l’Allemagne, étaient également de grands exportateurs de produits manufacturés, jouant, comme l’indique un article publié en 2017 dans la revue Ecological Economics5, un rôle similaire à celui de la Chine dans la lutte contre le changement climatique.