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La loi de 2006 sur « l’immigration choisie » vue d’Afrique

Dans un entretien accordé au Progrès de Lyon, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, l'ancien président sénégalais Abdou Diouf a déclaré combien il était heurté par le projet de loi du ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy : ce projet est « politiquement et moralement inacceptable ». Il n'est pas le seul à le penser !

Le président de la commission de l’Union africaine :
“Non à l’immigration choisie !”

[publié le 4 avril 2006, dans Le soir d’Algérie]

Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Alpha Oumar Konaré, a fermement dénoncé l’attitude unilatérale de certains pays en ayant recours à des politiques migratoires unilatérales en adoptant l’immigration sélective en déclarant à ce propos: «De façon unilatérale, on décide de piller, de pomper les pays africains de leurs cerveaux. Chaque année, plus de 25 000 diplômés, dans tous les domaines, quittent l’Afrique.» Un continent qui, selon lui, est « victime d’une traite des cerveaux» pénalisant ses efforts de développement.

En effet, ils sont plus de 4 millions d’Africains diplômés installés en Europe et presque autant dans le reste du monde. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) indique que chaque diplômé accueilli équivalait à une économie minimale de 184 000 dollars. Alpha Oumar Konaré comparera cette traite des cerveaux à celle des esclaves africains aux XVIIe et XVIIIe siècles. S’indignant, il s’est exclamé : «Ceci est inacceptable et extrêmement grave !» Le président de la commission de l’UA note que l’Afrique doit verser 4 milliards de dollars annuellement pour faire venir des expatriés. Il a appelé à un débat en «s’asseyant autour d’une même table avec nos partenaires (pays développés) pour discuter de ce problème ». Pour ce qui est des sites de transit, Alpha Oumar Konaré a invité les pays développés à ne plus traiter la question de l’immigration uniquement sous l’angle sécuritaire. «On ne peut pas acculer les pays africains à jouer les gendarmes et à être les gardiens des autres. Cela n’est pas possible », a-t-il affirmé en substance. Et d’ajouter : «Dire que les pays de transit en Afrique du Nord doivent être ceux où les candidats à l’immigration doivent être bloqués et parqués n’est pas acceptable. Cela ne doit pas se faire et n’arrivera jamais.» Il conclut en encouragent la lutte contre les passeurs et les marchands de sommeil, qui ont quasiment pignon sur rue.

M. O.

Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy et aux ministres de l’intérieur de l’UE : Ils arriveront quand même…

[Ce texte a été édité, le 5 avril 2006, sur le site du SEDELAN (Service d’éditions en langues nationales) au Burkina-Faso]

rapatries_camion.jpg L’une de vos préoccupations aujourd’hui semble être d’endiguer le flux ininterrompu des réfugiés économiques qui assiègent les frontières de l’Union Européenne, réfugiés qui, pour beaucoup, viennent d’Afrique noire.

Nous savions depuis longtemps que la pression était forte et des milliers de cadavres balisent déjà les routes du désert quand les vieux camions rendent l’âme, le détroit de Gibraltar quand coulent les frêles embarcations, ou les autoroutes d’Europe quand on oublie d’aérer citernes ou conteneurs où ils voyagent.

Qu’une route se ferme, une autre s’ouvre… et il va en être ainsi pour longtemps !

Vous pouvez bien affréter ces humiliants charters de « retour au pays » qui blessent profondément l’âme hospitalière africaine, elle qui garde mémoire d’avoir été convoquée pour défendre la mère patrie,

vous pouvez bien mettre une troisième rangée de grillage à Ceuta et Mellilla (Que faisons-nous encore là-bas ?) ou faire disparaître le camp de Sangate,

vous pouvez bien organiser des reconduites aux frontières sous les feux des caméras de télévision,
cela rassurera peut-être vos opinions publiques mal informées, mais cela n’arrêtera pas l’arrivée des réfugiés économiques.

Ils arriveront quand même parce que les gouvernements français et européens n’ont jamais vraiment souhaité que les paysans d’Afrique de l’Ouest (80% de la population) puissent vivre du travail de leur terre. Vous refusez d’acheter leurs produits à un prix rémunérateur qui leur donne la possibilité de rester chez eux. Vous refusez d’investir dans l’agriculture familiale qui seule peut fixer les populations chez elles.

Vous avez toujours préféré distribuer de l’aide déstructurante quand il est trop tard et que les plus faibles sont déjà morts. Vous préférez apporter une aide tardive avec vos stocks d’invendus transportés à grands frais, plutôt que de créer un environnement qui permette aux paysans africains de développer leurs propres productions et leurs propres stocks.

Vous déstabilisez leurs marchés avec les faux prix du pseudo marché mondial, que vous bricolez à votre guise (par des subventions ou du dumping). Et vous annoncez à tous cette nouvelle soit-disant vérité : Commerce ultra-libéral = développement.

Alors que nous voyons chaque jour que cette recette ne fait qu’enrichir les riches et appauvrir les pauvres…

Ils arriveront quand même parce que vos collègues chargés du développement l’ont trop souvent réduit à des aides budgétaires ou à des prêts ponctuels favorisant des régimes corrompus à la tête d’Etats où règnent le non-droit, la corruption et le racket permanent des plus faibles. Peu de chances alors de voir les plus jeunes se motiver dans un tel environnement. Ils veulent venir en Europe, et ils viendront.

Ils arriveront quand même parce que, quittant la campagne, ces jeunes ne trouvent dans les villes sous-équipées ni travail, ni considération, ni perspectives d’avenir. Les quelques emplois qui existent sont déjà aux mains d’une minorité qui se les réserve. Restent les seuls chemins de l’aventure que « TV5 monde » fait briller à leurs yeux. Ils rêvent de l’Europe.

Ils arriveront quand même parce que finalement vous en avez besoin

– dans l’agriculture (légumes, fruits et primeurs) parce que la grande distribution, en écrasant les prix, ne permet pas de salarier normalement ceux qui produisent et récoltent,

– dans le bâtiment, parce que les contrats de sous-traitance de nos grands groupes BTP, s’ils favorisent la création d’importants bénéfices, ne permettent pas non plus de rémunérer normalement la main-d’oeuvre de ce secteur,

– et parce qu’il faudra bien remplacer l’importante génération du « baby-boom » qui commence à prendre sa retraite.

Quand la communauté européenne prendra conscience que le monde a besoin de toutes les agricultures du monde,

quand la communauté européenne décidera qu’il est juste et bon que l’Afrique protège ses filières de productions naissantes (agricoles et autres) pour parvenir à la souveraineté alimentaire,

quand la communauté européenne ouvrira vraiment ses marchés aux productions de l’Afrique sub-saharienne pour qu’elle devienne enfin solvable,
quand la communauté européenne renoncera à imposer ses Accords de Partenariat Economique (APE, qui sont en fait des accords de libre-échange) qui vont ruiner ce qu’il reste encore de production locale et appauvrir un peu plus les Etats africains,

quand la communauté européenne cessera de soutenir les  » démocratures  » africaines,

Alors, Monsieur le ministre, Messieurs les ministres, alors seulement, peut-être, la pression sera moins forte à vos frontières.

Bon courage !

à Koudougou, le 5 avril 2006

Jacques LACOUR

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